Monsieur le Président, je tiens à préciser que je partagerai mon temps de parole avec l'honorable député de Pierre‑Boucher—Les Patriotes—Verchères.
C'est avec beaucoup d'agacement que je prends la parole aujourd'hui concernant la motion présentée dans le cadre de cette journée de l'opposition du Parti conservateur:
Que, étant donné que le ministre de la Défense nationale a manifestement perdu le respect des membres des Forces armées canadiennes, y compris parmi les plus hauts gradés, pour avoir, entre autres, (i) induit les Canadiens en erreur relativement au retrait des avions de combat dans la lutte contre Daech, (ii) induit les Canadiens en erreur relativement à ses états de service, (iii) présidé à la mise en accusation injustifiée et au congédiement abusif du vice-amiral Norman, (iv) participé à la dissimulation d'allégations d'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes, la Chambre blâme officiellement le ministre de la Défense nationale pour exprimer la déception de la Chambre des communes à l'égard de sa conduite.
C'est un secret de polichinelle que le Bloc québécois votera en faveur de la motion. Le Bloc québécois a déjà demandé au ministre de la Défense nationale de démissionner à cause de ses échecs répétés pour lutter contre l'inconduite sexuelle dans les Forces armées. J'étais présente aux côtés de notre chef, le député de Beloeil—Chambly, et de mon collègue de Rivière-du-Nord lors de la conférence de presse où nous avons fait cette demande.
Un blâme, tel que proposé par la motion, n'écarte toutefois pas ce ministre, qui n'a pas pris au sérieux les allégations d'inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes. Tel qu'expliqué dans le contexte de la motion, le ministre a commis une série de bévues, bien que la plus grave soit celle d'avoir protégé le général Vance et d'avoir tenté de camoufler sa mauvaise gestion, y compris le fait de n'avoir rien fait pour mettre en œuvre les recommandations du rapport Deschamps de 2015.
En tant que porte-parole en matière de condition féminine et d'égalité des genres, j'aborderai mon discours sous cet angle dans un premier temps. Je suis très sensible à cette cause et je le ferai avec tout le respect que j'ai pour les victimes qui sont venues témoigner au Comité permanent de la défense nationale et au Comité permanent de la condition féminine. Je parlerai ensuite de quelques autres scandales qui ont éclaboussé les Forces armées canadiennes. Je terminerai par quelques souhaits pour tenter d'améliorer la confiance dans les Forces armées.
Premièrement, alors que le ministre de la Défense nationale devait mettre en œuvre le rapport Deschamps de 2015, tout indique qu'il n'a rien fait et qu'il a même tenté d'étouffer le dossier du général Vance. Je ne peux pas croire que je sois encore ici à rappeler l'historique de toute cette saga lamentable.
Comme élément marquant, l'ex-juge Marie Deschamps a publié le 27 mars 2015 un rapport dévastateur sur l'inconduite sexuelle, jugeant que l'inconduite sexuelle était généralisée dans les Forces armées et qu'il y régnait une culture sexiste qui fermait les yeux sur les cas d'inconduite. Le rapport a été commandé dans la foulée des accusations contre l'adjudant André Gagnon, qui a agressé sexuellement une subordonnée, la caporale Stéphanie Raymond, en décembre 2011. Cette dernière est venue témoigner en comité de tous les préjudices qu'elle a subis.
La caporale Raymond avait porté plainte contre l'adjudant Gagnon en 2012, mais sa chaîne de commandement s'était tournée contre elle, la poussant à se faire congédier pour inconduite en 2013. L'adjudant Gagnon avait été acquitté en 2014, mais, en 2021, après que la caporale Raymond ait réussi à faire porter en appel le jugement, il a finalement plaidé coupable.
La situation de la caporale Raymond, ainsi que les accusations qu'elle a formulées contre les Forces armées, a mené au rapport de l'ex-juge Marie Deschamps. Ce rapport contenait 10 recommandations, dont la principale était de rendre le système de signalement des plaintes indépendant des Forces armées et du ministère de la Défense nationale. C'était en 2015, et, même si nous sommes rendus en 2021, rien n'a toujours été fait.
Lorsqu'elle a témoigné au Comité permanent de la défense nationale en février 2021, Marie Deschamps jugeait que très peu avait été fait depuis la publication de son rapport en 2015 et que peu de choses avaient réellement changé, ce qu'elle a réitéré au Comité permanent de la condition féminine en mars dernier.
Je vais tout de même prendre le temps de souligner que les allégations ne datent pas d'hier et qu'elles avaient même débuté sous le gouvernement conservateur, puisque c'est en avril 2015 que Jonathan Vance a été désigné comme futur chef d'état‑major de la Défense. Peu avant sa désignation, des allégations d'inconduite sexuelle avaient été soulevées contre lui. Quelques mois plus tard, en juillet 2015, l'ancien ministre des Anciens Combattants et actuel chef de l’opposition a demandé à son chef de cabinet de parler avec Ray Novak à propos d'une autre allégation contre le général Vance. Cette allégation était en lien avec une relation inappropriée.
Le général Vance niait toute inconduite, et les enquêtes ne menaient nulle part, faute de preuves. La police militaire aurait également enquêté sur son cas. Le 17 juillet 2015, le général Vance a été nommé chef d'état‑major et l'une de ses premières politiques a été de mettre en œuvre l'opération Honneur, qui visait à mettre fin à l'inconduite sexuelle. Il faut le faire.
Comment est-ce donc possible que le général Vance, pourtant visé par des allégations très graves, ait été désigné, considérant son rôle et son mandat à titre de chef d'état‑major, comme responsable pour donner un coup de barre contre l'inconduite sexuelle?
En effet, la journée même où le général Vance est devenu le chef d'état‑major, la police militaire a décidé d'abandonner l'enquête contre celui qui était alors devenu leur patron. C'est tout un hasard et toute une coïncidence.
L'opération qui a été abandonnée par l'actuel chef d'état-major a eu un impact mitigé, mais elle n'a visiblement eu aucun effet sur les hauts gradés qui était au-dessus de tout. Bref, les conservateurs ont quand même décidé de nommer quelqu'un qui faisait l'objet d'accusations comme patron des Forces armées canadiennes, alors qu'ils savaient que le mandat de celui-ci consistait à s'attaquer à la conduite sexiste des forces.
Rappelons maintenant quelques allégations sous le gouvernement libéral.
Le 1er mars 2018, l'ombudsman Gary Walbourne a eu une rencontre privée avec le ministre de la Défense nationale. Walbourne tente de soulever un cas d'inconduite sexuelle impliquant Vance. La victime ne voulait pas aller plus loin dans le processus, puisqu'elle avait peur des représailles, ce qui liait les mains de l'ombudsman. Toutefois, l'ombudsman, qui avait entre les mains des preuves crédibles contre Vance, voulait les montrer au ministre qui a carrément refusé de les voir.
L'ombudsman souhaitait qu'il intervienne pour protéger la victime, car elle était subordonnée à Vance qui pouvait facilement détruire sa carrière en un claquement de doigts. Le ministre était fermé et hostile. Il aurait carrément refusé de regarder les preuves qu'avait Walbourne et a brusquement quitté la réunion. Le ministre a plutôt transmis le cas au Bureau du Conseil privé. Walbourne a tenté de parler au ministre à 12 reprises par la suite, mais ce dernier a toujours refusé de le rencontrer jusqu'à ce que Walbourne prenne sa retraite quelques mois plus tard.
Le Bureau du premier ministre et le Bureau du Conseil privé ont échangé des courriels pour parler de la situation. Par la suite, la situation n'a fait que dégénérer et d'autres faits sont maintenant connus. Le scandale a été rendu public en février 2021 où Global News rapportait des cas d'inconduite contre Vance, y compris sa relation avec une subordonnée et des courriels obscènes échangés en 2012 avec une militaire beaucoup plus jeune. La femme qui était en relation avec lui s'était fait menacer par Vance à plusieurs reprises, selon ce qu'elle a déclaré publiquement. Vance s'estimait intouchable. Il a affirmé qu'il contrôlait le Service national des enquêtes des Forces armées.
Le Comité permanent de la défense a donc choisi d'entreprendre une étude sur les allégations contre Vance. Le ministre de la Défense y est allé à quelques reprises et s'est contredit. En plus, les libéraux n'ont pas hésité à faire de l'obstruction pour éviter que des employés libéraux, Zita Astravas et Elder Marques notamment, soient convoqués au Comité. J'y ai même personnellement assisté, lorsque j'ai siégé à ce comité en tant que remplaçante. C'était un moment triste.
Avec le témoignage d'Elder Marques, nous comprenons que tout le monde autour du premier ministre était au courant, mais ce dernier continue de le nier. Lorsque d'autres employés ont été convoqués par la Chambre, les libéraux ont choisi d'envoyer plutôt le ministre de la Défense. Ils ont dit qu'ils empêchaient leurs employés de témoigner.
Les libéraux ont fait de l'aveuglement volontaire dans ce dossier. Les libéraux ont choisi de ne rien voir dans ce dossier, avec le ministre qui a carrément refusé de rencontrer l'ancien ombudsman à 12 reprises, qui a refusé de regarder les preuves, prétextant de ne pas vouloir s'ingérer dans l'enquête.
L'entourage du premier ministre savait qu'il y avait des allégations contre Vance, même si le premier ministre n'avait pas tous les détails. Tout le monde autour de lui se doutait que ces allégations concernaient des cas d'inconduite sexuelle. Il y a même des courriels échangés qui parlaient directement d'inconduite sexuelle. Le ministre de la Défense a même déclaré que la nature des accusations contre Vance n'avait pas d'importance et que, ce qui comptait, c'était les actions. Justement, les libéraux n'ont absolument rien fait dans ce dossier. Ils n'ont même pas mis en œuvre les principales recommandations de la juge Deschamps, notamment sur un processus de plainte complètement indépendant de la défense pour toutes les plaintes d'inconduite sexuelle.
Les faits parlent d'eux-mêmes. Nous sommes aujourd'hui rendus à quatre généraux qui ont des plaintes d'inconduite contre eux. En 2021, six ans après le dépôt du rapport Deschamps, les libéraux ont décidé de nommer l'ex-juge Louise Arbour pour mener une autre enquête sur la façon d'améliorer le système. Ces travaux auraient dû commencer en 2015, pas en 2021. Le ministre n'a jamais pris la situation au sérieux. C'est lorsqu'il a été acculé au mur qu'il a décidé de commencer à agir, uniquement pour sauver sa peau à la suite des pressions des partis de l'opposition à la Chambre et des travaux aux deux comités.
Pour en rajouter, le numéro deux des Forces armées canadiennes, le lieutenant-général Mike Rouleau, était allé jouer au golf avec l'ancien général Vance, bien que Vance fasse l'objet d'une enquête à la police militaire et que le numéro deux des Forces soit supérieur à la police militaire. Cet incident a mené à la démission de Rouleau, en plus de mettre en avant l'échec du gouvernement fédéral à instaurer un système indépendant pour traiter les dossiers d'inconduite sexuelle. Les libéraux n'ont rien fait depuis 2015. Il y a des conséquences comme en témoigne cet événement.
Comme le temps file, je n'aurai pas le temps d'aborder tout ce dont j'aurais voulu parler dans mon discours, c'est vraiment un dossier que j'ai étudié au Comité permanent de la condition féminine et au Comité permanent de la défense depuis des mois. Il y a tellement de choses.
En terminant, les libéraux prétendent qu'ils ne connaissent pas la nature des allégations contre Vance, le ministre de la Défense allant même jusqu'à dire que la nature des allégations n'a pas d'importance. Tous ces événements ont contribué à éroder davantage la confiance du public et des femmes et de la diversité plus particulièrement. Il faut se soucier du sort des victimes. Les libéraux et leur ministre de la Défense ont donc échoué à agir pour redonner confiance envers les Forces armées.
Une dernière chose, on pense que c'est loin de nous, mais le père d'une ex-militaire m'a récemment avoué que sa fille avait dû démissionner à la suite d'une grossesse. Son supérieur, avec qui elle avait eu une relation, lui avait demandé de se faire avorter pour ne pas révéler l'histoire. Elle a refusé, et on lui a demandé de démissionner. On en est encore là, en 2021. Par respect pour les victimes, nous devons agir.