Madame la Présidente, je prends la parole aujourd'hui au sujet de la motion de l'opposition pour discuter de nos efforts en vue de prévenir les inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes et au ministère de la Défense nationale et en vue de remédier à ces inconduites.
Je veux parler de ces efforts mis en lumière lors de l'annonce de la semaine dernière concernant une nouvelle étude externe complète et indépendante, ainsi qu'une nouvelle organisation consacrée à la mise en place des conditions d'un changement de culture durable dans l'ensemble de l'institution.
Nous reconnaissons que nos efforts passés ont échoué. De graves allégations contre de hauts dirigeants militaires ont jeté une ombre sur l'ensemble des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale. Nous reconnaissons que nos efforts n'ont pas résolu pleinement les problèmes soulevés par les survivants ni obtenu les résultats qu'ils méritaient.
Nous avons la responsabilité de veiller à ce que les Canadiens travaillent dans un environnement où ils sont traités avec dignité et respect. Nous prenons cette responsabilité très au sérieux. Cela dit, je tiens à prendre un instant pour répondre aux récentes accusations concernant le ministre de la Défense nationale et aux allégations contre le général Vance, ancien chef d'état-major de la Défense.
Quand le ministre a rencontré l'ombudsman des Forces armées canadiennes de l'époque le 1er mars 2018, M. Walbourne a soulevé la question des allégations portées contre le général Vance à la toute fin de la rencontre, sans toutefois préciser exactement quelle était la teneur de ces allégations. Il n'est pas entré dans les détails. Par respect pour l'intégrité et l'indépendance du processus d'enquête, le ministre a ordonné à l'ombudsman de transmettre les allégations aux autorités compétentes. L'affaire a été communiquée au Bureau du Conseil privé, qui est directement responsable des nominations par le gouverneur en conseil, y compris la nomination du chef d'état-major de la Défense.
Une enquête juste et équitable sur les allégations d'actes répréhensibles est fondamentale pour notre système de justice. C'est un élément fondamental de notre conception de la démocratie. Il ne doit jamais y avoir d'ingérence politique, réelle ou apparente, dans de telles enquêtes. Les mesures prises par le ministre sont les mêmes que celles qui ont été prises par le gouvernement conservateur précédent. En réalité, le chef de l'opposition a pris les mêmes mesures quand il a entendu des rumeurs d'inconduites sexuelles concernant le général Vance avant sa nomination au poste de chef d'état-major de la Défense.
Au cours des derniers mois, nous avons entendu le récit atroce d'autres personnes qui ont été victimes d'inconduite sexuelle dans l'exercice de leurs fonctions. Cela veut dire que de graves problèmes minent notre culture organisationnelle. D'ailleurs, nous avons souligné la nécessité d'instaurer un changement généralisé et durable. Un grand nombre de survivants et de personnes touchées ont communiqué avec moi personnellement, et je tiens à les remercier de dénoncer la situation et d'avoir raconté ce qu'ils ont vécu. Cela contribue à faire progresser les choses. Nous écoutons ces personnes et nous agissons.
Comme l'a annoncé le ministre jeudi dernier, l'ancienne juge de la Cour suprême, Mme Louise Arbour, a accepté de diriger un nouvel examen externe indépendant et complet des politiques et de la culture de notre organisation. Cet exercice prendra appui sur les efforts déployés précédemment, notamment le rapport Deschamps.
À l'issue de cet examen, Mme Arbour formulera des recommandations cruciales tangibles à savoir comment nous pouvons mieux protéger nos gens et créer des conditions favorables à un changement de culture durable. Nous espérons en particulier que Mme Arbour nous fournira conseils et recommandations au sujet de l'établissement d'un mécanisme externe indépendant pour porter plainte, c'est-à-dire un mécanisme qui ne fait pas partie de la chaîne de commandement et qui répondra aux besoins des victimes d'inconduite sexuelle dans le milieu de la défense nationale. Nous espérons également que Mme Arbour nous aidera à faire en sorte que notre système de justice militaire puisse traiter adéquatement les plaintes en mettant l'accent sur l'intérêt des survivants.
Nous renforcerons nos structures existantes, tant du côté militaire que du côté civil, y compris le Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle, de manière à susciter une plus grande confiance parmi les personnes qui ont besoin d'aide. Nous examinerons le système d'évaluation du rendement et de promotion au sein des Forces armées canadiennes en portant une attention particulière à la façon dont notre organisation choisit et forme ses dirigeants.
Cet élément de leadership est très important. En fait, il est essentiel. Comme on l'a vu dans les médias, le gouvernement conservateur précédent a décidé de nommer le général Vance au poste de chef d'état-major de la Défense, alors qu'il faisait l'objet d'une enquête pour agression sexuelle par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes et que l'actuel chef de l'opposition était au courant de ces rumeurs.
Alors que les conservateurs étaient sur le point de nommer le candidat de leur choix à la tête des Forces armées canadiennes, le commandant qui dirigeait l'enquête sur le général Vance a déclaré subir des pressions pour abandonner l'enquête. Des pressions de la part de qui? Qui était à l'origine de ces pressions? Le gouvernement conservateur a-t-il fait pression pour que l'enquête soit close, afin de laisser la voie libre au général Vance? Ce sont des questions importantes auxquelles j'espère que mes collègues répondront, mais je m'égare.
J'ai parlé de Mme Arbour un peu plus tôt. Elle nous fournira des recommandations cruciales et concrètes sur la manière de mieux protéger nos gens et de créer les conditions d'un changement de culture durable. Elle fera ce travail de manière transparente et indépendante de la chaîne de commandement, avec la contribution des interlocuteurs appropriés à l'intérieur et à l'extérieur de la Défense nationale. Elle évaluera nos progrès dans l'application des recommandations du rapport Deschamps et nous aidera à poursuivre ces efforts. Tout au long du processus, elle sera en mesure de nous fournir des recommandations provisoires, auxquelles nous donnerons suite au fur et à mesure qu'elles nous parviendront.
En plus de l'examen mené par Mme Arbour, nous avons mis sur pied une nouvelle structure au sein de l'Équipe de la Défense qui sera chargée de créer les conditions permettant une transformation de la culture dans l'ensemble de l'institution. Ces travaux sont déjà commencés. Nous savons qu'il existe des aspects problématiques au sein de la culture militaire qui peuvent favoriser les inconduites sexuelles et d'autres comportements néfastes. On parle des valeurs, des croyances et des comportements qui mettent à l'avant-plan la dureté et l'agressivité aux dépens de l'intelligence émotionnelle et de la coopération.
Ce pan de notre culture est complètement inacceptable. Il rend l'organisation moins efficace et moins fiable. Il effrite la confiance de la population envers l'institution et, plus important encore, il fait du mal à ceux qui ont choisi de porter l'uniforme et de consacrer leur vie à assurer notre sécurité.
Sous la gouverne de la lieutenante-générale Jennie Carignan, cheffe de la conduite professionnelle et de la culture, la nouvelle structure cherchera des solutions pour éliminer ces éléments toxiques de la culture militaire canadienne en s'appuyant sur les pratiques exemplaires et sur les conseils d'experts, d'intervenants et de personnes qui ont une expérience concrète, autant au sein des Forces canadiennes qu'à l'extérieur de celles-ci. La nouvelle structure sera chargée d'unifier, d'intégrer et de coordonner les efforts en cours et notamment de veiller à ce que les mesures intérimaires recommandées par Mme Arbour soient pleinement prises en compte immédiatement. Ultimement, elles proposeront des mesures concrètes en vue de prévenir les inconduites sexuelles et d'autres comportements néfastes.
La tâche qui a été confiée à cette nouvelle organisation de même que les efforts de Mme Arbour tiennent compte du fait que l'inconduite sexuelle ne se produit pas dans une bulle et qu'elle ne constitue pas le seul comportement néfaste pouvant laisser des traces indélébiles. Si nous voulons apporter des changements durables, il nous faut tenir compte du problème dans son ensemble.
Nous devons examiner les problèmes systémiques comme les abus de pouvoir, la discrimination, les préjugés et les stéréotypes négatifs, et nous attaquer à chacun de façon appropriée. Nous devons nous débarrasser de la notion désuète et toxique de ce que signifie être un guerrier, car une telle attitude peut engendrer ces valeurs et ces comportements néfastes. Nous devons transformer la culture des forces armées de fond en comble et mettre en place des structures appropriées de dénonciation et d'enquête pour traiter les incidents dès qu'ils se produisent.
Nous sommes déterminés à bâtir une culture d'inclusion à l'échelle de l'organisation de la défense. Grâce à ces nouvelles initiatives, nous prenons des mesures concrètes pour prévenir l'inconduite sexuelle et les autres comportements néfastes en examinant nos structures actuelles, ainsi que les valeurs et les comportements propres à notre institution.
Nous nous assurons que tous les membres de notre équipe sont traités avec dignité et respect en toute circonstance. Nous savons aussi que nous devons faire plus pour accompagner les victimes. C’est la raison pour laquelle, dans le budget de 2021, notre gouvernement investit plus de 236 millions de dollars dans nos systèmes de soutien, afin que les allégations d’inconduite sexuelle puissent être examinées en toute indépendance et que le système de justice militaire soit mieux en mesure de traiter les cas de harcèlement et de violence fondée sur le sexe. Dans cette optique, nous prévoyons d’élargir la portée des centres d’intervention sur l’inconduite sexuelle, partout au Canada. De cette façon, les militaires et les anciens combattants qui ont été victimes de traumatisme sexuel pendant leur service pourront avoir accès aux ressources et au soutien dont ils ont besoin.
Nous avons reçu des témoignages de victimes de traumatisme sexuel pendant leur service, et nous savons que les difficultés qu'ils éprouvent sont différentes de ceux des survivants d’autres formes de traumatisme subi au combat. C’est la raison pour laquelle les centres d’intervention sur l’inconduite sexuelle jouent un rôle très important. Depuis 2015, ils sont le principal recours de ceux et celles qui, dans notre organisation, ont été victimes d’inconduite sexuelle. Ils offrent à tous ceux qui en ont besoin un soutien confidentiel et du counseling 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ils fonctionnent en toute indépendance de la chaîne de commandement militaire.
La Dre Denise Preston et les membres de son équipe guident les militaires parmi tous les services de soutien qui leur sont offerts, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du ministère. Ils les aident à choisir les mécanismes adéquats pour signaler des cas d’inconduite sexuelle, notamment une équipe de liaison militaire composée d’un officier de liaison de la police militaire, d’un conseiller militaire spécial et d’un officier de liaison militaire. Cette équipe travaille exclusivement pour le centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, et ses membres sont des experts dans leur domaine. Ils peuvent donner aux militaires des conseils sur la façon de déposer une plainte et sur la façon dont est menée une enquête, et ils peuvent aider la victime à faire un signalement, le cas échéant.
Le centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle peut également nommer un conseiller attitré pour aider les victimes pendant tout le processus, y compris pour les défendre, les accompagner à des rendez-vous et les aider dans leur milieu de travail. Mais ce n’est qu’une partie de ce que le centre fait.
En effet, le personnel du centre travaille également avec les victimes pour élaborer de nouveaux programmes et mettre en place une stratégie nationale pour les survivants, et il joue un rôle consultatif important en donnant des avis et en faisant des recommandations sur les politiques et programmes du ministère.
Pour accompagner tous ces efforts, le budget de 2021 accorde les crédits nécessaires à l’élaboration d’un nouveau programme de soutien par les pairs. Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, nous allons travailler avec Anciens Combattants Canada, des professionnels, des professionnels de la santé mentale et d’anciennes victimes pour lancer ce programme qui comprendra des services de soutien en ligne et en personne, selon les meilleures pratiques établies, et qui sera accessible à tous les membres des Forces armées canadiennes et à tous les anciens combattants qui ont été victimes d’inconduite sexuelle.
Enfin, ces crédits permettront de poursuivre les efforts visant à mettre en œuvre la déclaration des droits des victimes dans notre système de justice militaire.
Nous avons beaucoup travaillé avec les groupes de victimes et nous allons bientôt mettre en ligne un questionnaire à l’intention des employés du ministère de la Défense nationale et des membres des Forces armées canadiennes, dont les réponses resteront anonymes. Grâce à tout ce travail, nous pourrons effectuer les changements qui sont nécessaires pour moderniser notre système de justice militaire, conformément aux engagements pris dans le projet de loi C-77. Nous sommes résolus à faire en sorte que le système de justice militaire adopte une approche centrée sur les victimes et qu’il prenne véritablement en compte le témoignage des victimes et des survivants. Nous avons déjà fait beaucoup de progrès dans la mise en œuvre du projet de loi C-77 et nous avons l’intention de poursuivre dans ce sens.
Nous voulons nous assurer que les victimes ont accès aux meilleurs services de soutien, et cela sera possible grâce aux crédits prévus dans le budget de 2021. Nous savons qu’à cause de lacunes dans nos politiques institutionnelles, nous n'avons pas été à la hauteur des attentes que nos membres avaient placées en nous. Nous n’avons pas su les protéger, comme nous en avions la responsabilité. Nous sommes conscients que les valeurs que nous chérissons ne correspondent pas toujours à l’expérience que vivent nos membres.
Tous les militaires, comme tous les Canadiens, ont le droit de travailler dans un environnement exempt de harcèlement et de discrimination, un environnement où ils sont traités avec respect et dignité, un environnement où ils sont appréciés pour leurs compétences. Pour autant, les derniers mois nous ont montré que nous avons encore beaucoup à faire pour qu’un tel environnement soit une réalité.
Aux victimes je tiens à exprimer mes regrets les plus sincères. Nous vous avons écoutées, et nous continuons de vous écouter. Nos efforts doivent porter sur les causes du problème. Nous ne pouvons pas nous contenter de traiter le problème de l’inconduite sexuelle au cas par cas. Nous avons également appris qu’il ne suffit pas d’imposer un changement culturel d’une telle ampleur. Il faut que chacun d’entre nous comprenne véritablement ce qui, dans notre culture, est la source du problème. Il faut déployer de vastes efforts soutenus pour éliminer les obstacles systémiques qui nous empêchent d’aller de l’avant.
Je sais que de nombreuses personnes sont sceptiques quant à nos efforts, à juste titre. Trop de dégâts ont été causés. Beaucoup trop de gens ont été touchés.
Toutefois, je promets que nous ferons ce qu'il faut pour transformer la culture de nos Forces armées canadiennes et pour aller à la racine de l'inconduite sexuelle et d'autres comportements toxiques.
Je veux aussi être claire: les mesures annoncées la semaine dernière par le ministre ne sont que les premières étapes basées sur les conclusions de l'examen approfondi externe et indépendant.
Sous les efforts de la cheffe de la conduite professionnelle et de la culture et sous les recommandations et l'expertise d'autres personnes dédiées à la transformation culturelle, nous allons continuer à faire avancer les choses.
Nous ferons tout ce qu'il faut pour rétablir la confiance, et nous continuerons à travailler pour une véritable culture de dignité et de respect pour tous ceux et celles qui servent dans les forces.