Monsieur le Président, quelle belle façon de terminer notre passage à la Chambre durant la session parlementaire.
L'objectif du projet de loi est de créer le poste d'artiste visuel officiel du Parlement, chargé non seulement de concevoir des œuvres, mais aussi de promouvoir les arts au Canada par l'intermédiaire du Parlement, notamment en encourageant la population à mieux connaître les arts, à les apprécier, à y être sensible et en favorisant leur développement. C'est noble, mais c'est ambitieux pour une seule et même personne.
L'art visuel peut être universel, entre autres, et il ne se bute pas à la barrière de la langue. L'art visuel raconte, invente et projette, le réel comme l'abstrait. Selon le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec, de par sa nature même, l'art est le reflet de l'expression humaine et est profondément lié à la société qui lui est contemporaine. Il est, de ce fait, un véhicule de diffusion et de dialogue exceptionnel, offrant au public des occasions d'échange, indispensables à l'évolution de la société. C'est une belle définition. Même si l'art est souvent considéré comme un miroir de la société, tout comme elle, il s'interprète en fonction du vécu et de l'histoire de la personne qui le regarde. Ce vécu, qui est le nôtre, enveloppe notre regard de ces teintes, de sorte que là où quelqu'un voit la mer, un autre peut voir le ciel; là où une personne comprend la solitude, une autre peut se sentir empreinte liberté; là où un humain voit le désir d'exister ou de se souvenir, un autre peut percevoir de la haine, et même du mépris.
L'art est un moyen d'expression puissant, et trouver une personne qui le maîtrise en étant capable de s'exprimer sans censure dans une œuvre forte et pure et dans un contexte où l'on politise tout, ce ne sera, ma foi, pas une mince affaire. Comment peut-on exiger d'un artiste passion et neutralité, inspiration et représentativité? C'est tout un défi. Les textures, les couleurs, les nuances, tout peut être un symbole, positif pour l'un, négatif pour l'autre. Tout peut être une arme à interprétation. Nous l'avons malheureusement vu à plusieurs reprises. L'art commande la liberté. Même si je suis la dernière à vouloir empêcher une personne de créer et de vivre de sa créativité, il n'en demeure pas moins que cet artiste aura de très grandes responsabilités.
Étant moi-même créatrice de chansons engagées, je sais que le choix des mots est d'une extrême importance et influence mon auditeur. D'ailleurs, j'ai déjà créé une œuvre où la chanson rencontrait les artistes visuels. Mon œuvre, intitulée Chansons sur toiles, qui a gagné un petit prix en Suisse, était le reflet, le miroir, d'images de Charlevoix peintes par les artistes de Charlevoix. Mes chansons ont donc été peintes à ce moment-là.
Ayant rencontré plusieurs artistes d'arts visuels et voyant l'ampleur du défi que représente peindre une chanson, je comprends peut-être davantage le défi qui attend cette personne. La manière de porter au regard et à l'esprit de toutes et tous l'expression visuelle du Parlement et de tous les citoyens qui y sont représentés, souvent dans la confrontation ou à tout le moins dans la divergence, n'est pas une simple tâche. Une période aussi grise, aussi triste, où nous avons dû, bien malgré nous, être éloignés les uns des autres et être séparés contre nature, n'allège en rien le défi que l'artiste devra relever.
Cela étant dit, l'art a le pouvoir de nous émouvoir, de nous choquer, de nous émerveiller à nouveau et de nous faire réfléchir et évoluer. Tout cela, alors que nous voyons désormais la vie d'un autre œil. Nous comprenons maintenant à quel point nous avons besoin les uns des autres, que chaque petit geste compte et à quel point aussi nous ressentons intensément le besoin de nous revoir, de nous étreindre.
L'art reflètera certes notre sortie de la noirceur. Il est rare que nous puissions affirmer que l'humanité toute entière a vécu une même tragédie. Or le message d'espoir et d'amour qui en ressortira sera d'autant plus beau, d'autant plus grand. L'art se devra de refléter tout cela, et plus encore. Il devra nous guider vers la suite, en captant notre attention sur les valeurs et les espoirs que nous chérissons et qui ne sont pas animés par les mêmes objectifs. Qu'en sera-t-il de l'influence que cet artiste aura sur les changements climatiques, par exemple, et les divers points de vue du Parlement?
Comment véhiculera‑t‑il la différence fondamentale qu'il y a entre le multiculturalisme libéral et l'interculturalisme souhaité par le Québec, plus novateur et mieux adapté à la réalité, et ce, en toute impartialité? Plutôt que dans son isolement ou sa fausse indifférence, sera‑t‑il libre d'exprimer la diversité, qui se veut un élan de partage et d'échange culturel, dans ce qu'elle a de plus beau, à savoir sa singularité et sa reconnaissance?
Cet artiste sera également responsable de favoriser et promouvoir l'art. Il faudra donc trouver le ton puis le promouvoir, d'où l'importance, voire la nécessité de la justesse. Or, je ne sais à quel point l'obligation de le faire par l'entremise du Parlement du Canada pourra lui donner la latitude et la liberté dont il aura besoin.
Devra‑t‑il respecter un quelconque critère historique ou politique? Ce type de bien est très insidieux et il faut pouvoir rassurer toutes les communautés, à savoir que l'art sera mis en valeur pour ce qu'il est, pour sa valeur culturelle, sociale et historique, et contextualisé dans le vécu de chacune d'elle, et non pas comme une succession d'œuvres simplement canadiennes dans le respect absolu des valeurs canadiennes, parfois imposées par le pouvoir en place.
Non, l'artiste doit être de Medicine Hat, avec tout ce que cela représente, un Fransaskois, un Huron‑Wendat, un Franco‑Ontarien du Nord de l'Ontario, un Acadien, un Montréalais de Côte‑des‑Neiges, du Plateau ou d'Hochelaga, un Nordien ou un Nisga'a, un Charlevoisien, un Madelinot, un Bleuet du Lac ou un Innu, avec toutes les richesses que chaque histoire, chaque racine et chaque conviction portent.
C'est pourquoi le doute s'installe lorsque je pense à qui pourrait porter cette grande responsabilité digne des plus grandes vertus et devenir l'artiste du Parlement. Le Bloc québécois n'étant point contre la vertu, nous espérons que l'artiste sera à la hauteur exigeante de ce mandat. Ce qui forme une nation appartient à celle‑ci et l'expression de ce qu'elle est appartient à ses artistes, dont les visions sont diverses et parfois divergentes. C'est exactement ce qui fait qu'une société évolue vers le meilleur.
C'est pourquoi mon humble réflexion se résume à ceci: limiter le Parlement à une seule signature, aussi libre puisse‑t‑elle être dans son interprétation personnelle, c'est donner le pouvoir du message à un seul esprit, aussi large soit‑il. Cela ne peut que limiter l'immense ouverture dont ce Parlement a besoin pour que s'exprime l'entièreté de nos projets multiples et qui nous sont propres, pour aujourd'hui et demain. C'est ce que je souhaite à ce Parlement et à cet artiste qui habitera ces lieux.