Madame la présidente, je pense que ce débat exploratoire arrive à point nommé parce que cela nous permet de faire le point sur l’état de la collaboration entre le Canada et l’Ukraine depuis l’invasion à grande échelle de ce pays par la Russie en 2022.
Que dire, sinon que cette entente, qui s'intitule « Partenariat stratégique Canada‑Ukraine pour la sécurité », a été signée le 24 février 2024 lors du passage du premier ministre à Kiev avec le président Volodymyr Zelensky. Mon souhait, c'est évidemment que ce partenariat donne des fruits. Ma crainte, c'est que ce soit à la hauteur de ce qu’on a fait jusqu’à présent, c’est-à-dire que, justement, on ne soit pas à la hauteur.
Je me permets de revenir un peu en arrière. Je pense que l’erreur fatale que les pays occidentaux ont faite dès le départ a été de laisser entendre que, quoi qu’il arrive, nous n’allions pas intervenir, ce qui, je le crois, a donné carte blanche à Vladimir Poutine pour faire à peu près tout ce qu’il souhaitait faire. Je pense que, dès le départ, nous n’avons pas été à la hauteur.
Lorsque le conflit a débuté, on se rappellera que nous nous sommes empressés de livrer de l’aide humanitaire. Sur le plan militaire, nous avons livré à l’Ukraine, à ce moment-là, des armes dites non létales: des casques, des vestes pare-balles, des lunettes de vision nocturne. Imaginons qu'on est Ukrainien, qu'on voit arriver les troupes russes, et que le Canada nous envoie des casques, des vestes pare-balles et des lunettes de vision nocturne.
Évidemment, on a compris assez rapidement — je pense que l’objectif était d’éviter de provoquer la Russie — que ce n’était pas tout à fait ce dont avait besoin l’Ukraine. Là, on s’est mis à envoyer des munitions. Au bout d’un certain temps, on s’est mis à envoyer des fusils mitrailleurs. Puis, au bout d’un certain temps, on s’est mis à envoyer de l’artillerie. Au bout d’un certain temps, on s’est mis à envoyer des armes de défense antiaérienne. Puis, au bout d’un certain temps, on a envoyé des chars d’assaut. Là, on a commencé à envoyer des avions de combat.
Quelques semaines après le déclenchement du conflit, je me suis rendu à Bruxelles, au siège de l’OTAN. J’ai alors posé la question suivante au commandement militaire: qu’en est-il des avions de combat? Ce qu’on m’a répondu à ce moment-là, c’est: ça prend six mois pour former un pilote. Je suis retourné, il y a quelques mois, au siège de l’OTAN. J’ai de nouveau posé la question au commandement militaire: qu’en est-il des avions de combat? On m’a répondu: ça prend six mois pour former un pilote. Là, je me suis permis de dire au commandant en chef de l’OTAN que, si on avait commencé à former des pilotes dès le départ, peut-être qu’on n’aurait pas permis aux Russes de se retrancher et de fortifier leurs positions, si bien qu’ils sont maintenant quasi indélogeables, et peut-être que nous n’en serions pas là où nous en sommes présentement.
Je pense que nous avons mal évalué le seuil au-delà duquel nous risquions de faire réagir les Russes. Honnêtement, entre vous, moi et la boîte à pain, madame la présidente, les Russes en avaient déjà pas mal plein les bras avec les Ukrainiens. Ce n'est pas sûr qu’ils se seraient engagés dans un conflit à grande échelle avec les pays membres de l’OTAN. Je pense qu’il y a eu une erreur d’appréciation de la part des pays membres de l’OTAN dès le départ, erreur qui a fait en sorte que nous avons, à toutes fins utiles, permis à la Russie de s’incruster dans le décor en Ukraine. C’est extrêmement malheureux.
Je reviens à ce Partenariat stratégique Canada‑Ukraine pour la sécurité, qui est valide, semble-t-il, pour une période de 10 ans. Cet accord permet d’accroître l’échange d’informations, d'accroître la coopération, d'augmenter l’aide militaire, d'aider l’Ukraine à intégrer l’OTAN et d'aider à la reconstruction du pays. Tout cela paraît bien beau, mais qu’est-ce qui, là-dedans, va au-delà de l'apparence, de l’image?
Je me souviens de cette image extrêmement frappante de la ministre des Affaires étrangères, de la ministre de la Défense nationale et du premier ministre qui se sont rendus à Kiev. C'est une image spectaculaire. On a hissé un drapeau au mât de l'ambassade canadienne en disant que l'ambassade était ouverte. Toutefois, elle ne l'est toujours pas aujourd'hui. Certes, on a du personnel qui travaille sur le territoire de l'Ukraine, à la maison, dans des hôtels, mais pas à l'ambassade.
Qui plus est, pour tout ce qui touche les demandes de visas, on demande encore aux Ukrainiens de sortir de leur territoire et d'aller dans un pays européen pour présenter leur demande de visa parce que l'ambassade à Kiev n'est toujours pas en mesure d'accueillir les citoyens ukrainiens qui souhaiteraient présenter une demande de visa.
Je veux bien qu'on ait une déclaration commune de soutien à l'Ukraine. Je veux bien que cela puisse aider les Ukrainiens. On sait que toutes les formations politiques à la Chambre, si on exclut peut-être le petit épisode de l'accord de libre-échange où les conservateurs n'ont peut-être pas été à la hauteur, sont d'accord pour soutenir l'Ukraine. Il y a une unanimité à ce sujet. Encore faut-il qu'on joigne la parole aux gestes. Encore faut-il que les bottines suivent les babines. Or, ce qu'on constate, c'est que les bottines ne suivent pas les babines.
J'en veux pour preuve le fait que le ministre de la Défense ukrainien a déclaré, à un moment donné: « À l'heure actuelle […] 50 % [des] engagements [en armes] ne sont pas livrés dans les temps ». « À cause de ces retards, “nous perdons des gens, nous perdons des territoires”, a-t-il ajouté. » On peut se dire que, 50 % des engagements, c'est bien terrible, que les États occidentaux ne sont pas à la hauteur des attentes. C'est 50 % des engagements qui ne sont pas remplis. C'est épouvantable. Dans le cas du Canada, c'est presque 60 %.
Le 19 février, Le Devoir a publié un article sur les manquements du Canada à ses engagements pour fournir l'aide à l'Ukraine. « [P]rès de 60 % de la valeur de l'aide en équipement militaire promise par le Canada à l'Ukraine dans la foulée du déclenchement de la guerre d'invasion russe, il y a deux ans, n'a toujours pas été honorée […] Sur les 2,4 milliards de dollars d'aide militaire promis par Ottawa depuis le 24 février 2022 […], 1,4 milliard ne s'est toujours pas matérialisé sur le terrain ». Cela veut donc dire que 58 % de tout ce qui avait été promis à l'Ukraine n'a pas été livré. Là, on va me dire que ce sont des chiffres.
Allons-y. « [L]e système national de missiles surface air perfectionné (NASAMS) et les munitions associées, d'une valeur de 406 millions de dollars », n'ont pas été livrés. « [L]es 35 caméras haute résolution pour drones, d'une valeur de 76 millions, » n'ont toujours pas été livrées. « [L]es vêtements et le matériel d'hiver, d'une valeur de 25 millions de dollars, » qui permettraient à 2 000 soldats ukrainiens de profiter « de […] bottes, [de] “pièces de superposition thermique”, [de] sacs de couchage d'hiver et [d']“uniformes militaires à motif”, selon l'annonce faite à l'époque », n'ont toujours pas été livrés.
[L]'Ukraine est toujours en attente d'armes légères et de munitions pour une somme de 60 millions de dollars que la Corporation commerciale canadienne cherche à obtenir auprès d'un fabricant d'armes en Ontario. Même chose pour 10 000 munitions de 105 mm, pour des munitions navales de 76 mm, pour 277 bombes aériennes de 1000 livres et ensemble de fusées connexes, pour 955 projectiles fumigènes d'artillerie de 155 mm, pour plus de 2000 projectiles fumigènes de mortier de 81 mm et pour 2260 masques à gaz, qui pourtant doivent venir des stocks des Forces armées canadiennes.
On sait que nos stocks ne sont pas particulièrement bien garnis. Or, ce qu'on a, on pourrait l'envoyer sans tarder. Cela n'a pas été fait. On est encore en train de taponner alors que les Ukrainiens sont dans une situation absolument dramatique.
Ce qui est encore plus dramatique, c'est que faute d'armes, les soldats ukrainiens subissent vague après vague les assauts des Russes qui, eux, ont du monde en masse. Cependant, ils n'ont pas les munitions pour être en mesure de faire face aux offensives russes.
Un accord de partenariat stratégique entre le Canada et l'Ukraine pour la sécurité, j'en suis. Si on propose quoi que ce soit pour pouvoir aider l'Ukraine réellement, je suis partant. Encore une fois, il faudrait cesser de n'être que dans l'image, de n'être que dans les bonnes intentions, de n'être que dans les vœux pieux et faire en sorte de pouvoir effectivement remplir ses engagements.