Madame la Présidente, j'ai le goût de dire enfin: on est capable de voir la révision et la modernisation de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Ce serait un euphémisme de dire qu'il était grand temps.
Pendant plus de 20 ans — c'est presque 25 ans, finalement —, les gouvernements fédéraux successifs n'ont pas accordé l'attention nécessaire à cette loi. Pendant que le Canada ne faisait rien, de la réglementation environnementale s'est concrétisée partout dans le monde. Nous en sommes à l'étape du rapport du projet de loi S‑5. La porte du changement vient de s'ouvrir un peu. Il va falloir mettre le pied avant qu'elle ne se referme, j'en ai peur.
Le projet de loi a d'abord cheminé au Sénat. Il est arrivé au Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes un peu avant Noël. Pour ma part, tout au long de 2022, j'ai eu un nombre impressionnant de rencontres afin de mieux cerner les attentes et les besoins exprimés par les associations des experts de différents domaines techniques, scientifiques et juridiques et des organisations vouées à la protection de l'environnement.
Le ministre de l’Environnement reconnaissait au lendemain des élections de 2021 que le projet de loi visant à moderniser la Loi canadienne sur la protection de l'environnement serait le premier de plusieurs. En effet, l'ampleur de cette pièce législative est telle qu'une révision en bonne et due forme ne pouvait se concevoir qu'en plusieurs étapes. De plus, l'étude du projet de loi S‑5 a certainement justifié la nécessité de ne pas tarder à déposer la suite de la modernisation. Je l'attends avec impatience.
Avec le temps qui m'est donné à cette étape du rapport, je ne pourrai pas mettre de l'avant tout ce qui aurait mérité d'être dit. Quand tout semble important, les choix sont un peu difficiles. La troisième lecture me donnera sûrement l'occasion d'aborder d'autres éléments. Je l'espère.
Allons-y sans détour: le droit à un environnement sain. Le champ d'application des articles relatifs au droit à un environnement sain est celui du périmètre d'action de la loi elle-même. Cela n'a pas d'effet sur les autres lois du Canada. Si la protection de ce droit est ajoutée à la mission du gouvernement fédéral, les modifications apportées ne créent pas pour autant un véritable droit fondamental de vivre dans un environnement sain, ce qui aurait été souhaitable. Cela a été confirmé sans ambiguïté par les hauts fonctionnaires, tant au comité du Sénat qu'au Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre.
Il s'agit d'un droit dont la portée devra être pondérée par ce qui est défini dans la loi comme des limites raisonnables et comme des facteurs socioéconomiques. Nous devrons donc attendre le cadre de mise en œuvre. Quand je disais que la porte est seulement entrouverte, c'est un exemple.
Personne n'est contre la vertu, mais il faut nommer les choses telles qu'elles sont. Nous avons ici une avancée, certes prudente et très encadrée, qui ne donnera pas forcément plus de droits aux citoyens pour aller devant les tribunaux et demander à ce que des projets ou des situations qui portent atteinte à l'environnement soient sanctionnés. Je salue au passage ma collègue de Saanich—Gulf Islands pour les amendements rigoureux qu'elle a présentés en comité, mais qui n'ont malheureusement pas été retenus.
Un autre point: les plans de prévention de la pollution, ou les PPP, n'ont aucun progrès, zéro. Les PPP devraient être considérés comme une pièce maîtresse du cadre juridique environnemental, un pilier même. Quelques années avant que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement de 1999 reçoive la sanction royale, le comité de l'environnement de ce temps disait, et je cite: le Comité estime que la prévention de la pollution devrait être l'approche prioritaire en matière de protection de l'environnement. De plus, la LCPE devrait fournir un fondement législatif clé pour promouvoir la prévention de la pollution au Canada. Un changement majeur d'orientation est nécessaire dans la législation: passer de la gestion de la pollution après sa création à la prévention de la pollution en premier lieu. Nous croyons que la prévention de la pollution évitera, éliminera et réduira plus de pollution que les stratégies de réaction et de guérison.
Cet extrait date de 1995. Exiger la planification de la prévention de la pollution s'avérait important il y a 25 ans, imaginons aujourd'hui. Je dis bien aujourd'hui, parce que l'occasion de rectifier l'inertie des deux dernières décennies au sujet des normes de contrôle de la pollution fondées sur la prévention, engendrant une gestion serrée des risques et des dangers, était à portée de main.
On connaît mon intérêt pour la santé humaine et ses liens avec l'environnement. En médecine, on dit souvent, avec raison, qu'il vaut mieux prévenir que guérir. C'est la même chose avec la pollution environnementale. La prévention, que ce soit de la maladie ou de la pollution, ça se planifie.
L'Association canadienne du droit à l'environnement en a fait une recommandation clé, qui a été appuyée par plusieurs organisations et experts du droit à l'environnement. Ces experts ont été invités à témoigner tant au Sénat qu'en comité.
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles a pu formuler un amendement qui a rallié tous ses membres. Lorsque le projet de loi S‑5 a été renvoyé à la Chambre basse, la majorité des membres du Comité permanent de l'environnement et du développement durable préféraient le mettre de côté, s'en départir. Ils ont donc voté contre.
Focaliser le contenu du projet de loi S‑5 sur des principes tenant de la gestion de la pollution et non de sa prévention, c'est acquiescer aux souhaits de l'industrie d'aller toujours dans une direction moins contraignante.
Je disais, il y a une minute, que rectifier l'inertie était à notre portée. C'est vrai, car il y a toute une science et des savoirs qui ont progressé autour de l'environnement et des effets des substances toxiques sur l'environnement et sur notre santé dans les 25 dernières années.
Il y a des experts qui ont étudié et analysé le régime réglementaire, tant d'un point de vue technique que juridique, qui ont soumis des recommandations, qui ont témoigné au Sénat et en comité. Nous n'étions pas dépourvus de ressources. Nous avions des ressources pour nous instruire sur ce qui se passe ailleurs, pour prendre la pleine mesure de ce qui pourrait réellement structurer le progrès, pour cultiver l'espoir que cette révision serait fructueuse.
C'est l'avis de l'industrie qui prévaut lorsque vient le temps de parler du cadre réglementaire relatif aux substances toxiques. Plus largement, la volonté de l'industrie était de voir une mesure législative pas trop contraignante. On va me dire que c'est une vérité de La Palice.
Cela dit, je ne nie pas que l'écoute de l'industrie soit essentielle pour une foule de bonnes raisons. Par contre, lorsque le discours dominant de l'industrie s'apparente à une certaine intransigeance et que l'industrie semble s'essuyer les pieds sur des considérations environnementales et de santé humaine pour maintenir le statu quo, je commence à être agacée. Je pense que le mot est faible.
Nous savons qu'entre 2006 et 2020, il y a eu une réduction impressionnante des quantités de substances toxiques qui s'échappent dans l'air, une baisse de 60 %.
Après les fleurs, le pot. On sait aussi que, durant la même période, les rejets terrestres toxiques, volontaires ou accidentels, ont bondi de plus de 50 %. Ici, on a tourné le dos aux analyses et aux faits.
Habilement ou pas, le gouvernement a gravement porté atteinte aux excellents amendements du Sénat, du Parti vert, du NPD et du Bloc québécois en lien avec les processus de consultations et de participation du public. Ici, on tourne le dos à la transparence.
Lorsque les ressources expertes de grande qualité nous ont orientés vers des mises à jour réglementaires incontournables et que la coalition libérale-conservatrice a choisi de soutenir l'industrie, ici, on a tourné le dos à l'équilibre.
Le Bloc québécois comprend bien entendu que la politique environnementale requiert nécessairement des arbitrages entre, d'une part, les objectifs de protection de la santé et de l'environnement, et d'autre part, les intérêts commerciaux et industriels. Nous comprenons cela.
La porte est au moins entrouverte. Pour faire progresser la réglementation, il faut être capable de reconnaître les faiblesses et les écueils qui caractérisent ce régime au Canada. Il y a un bout qui a été fait à cet égard.
Le législateur doit se rappeler ses responsabilités à l'égard des citoyens et de l'environnement. Il ne faut pas laisser de la place à la complaisance qui favoriserait non pas la protection de la santé de millions de personnes et la santé de l'environnement, mais la santé financière du commerce et de l'industrie.
J'aimerais bien dire qu'on a fait un petit pas pour l'homme et un grand pas pour l'humanité. Je dirais plutôt qu'on a fait un petit pas pour la santé et la protection de l'environnement, mais qu'on a bien hâte de faire de vraies enjambées.