Madame la Présidente, je vais commencer par parler de démocratie, mais de démocratie syndicale.
Parfois, il y en a qui pensent que les syndicats font ce qu'ils veulent comme ils le veulent, mais ce n'est pas du tout cela. D'abord, c'est un droit qui est reconnu, n'est-ce pas? Ensuite, les gens qui sont à la tête des syndicats sont élus. J'ai le goût de dire qu'il s'agit parfois de sièges éjectables lorsque les membres ne sont pas contents, ne sont pas satisfaits. Les dirigeants ne font pas n'importe quoi, n'importe comment, et leur pouvoir est limité par la volonté de leurs membres. J'en sais quelque chose, car j'ai été pendant 10 ans présidente d'un syndicat qui comptait 10 000 membres. Alors, la démocratie s'applique, comme je le dis toujours.
Maintenant que j'ai expliqué que le syndicat est une instance très démocratique, je reviens au sujet d'aujourd'hui.
Dans à peu près chacun de leurs discours, mes collègues ont exprimé d'emblée que le Bloc québécois était très favorable à ce projet de loi, qui est important. Je tiens à ajouter ce qui suit. Nous aurons attendu longtemps et nous aurons espéré. Comme on le dit, mieux vaut tard que jamais. Une loi antibriseurs de grève est un dispositif législatif qui permet aux travailleuses et aux travailleurs qui, pour arriver à être respectés relativement à leurs conditions de travail, doivent recourir à l'ultime moyen de pression, soit une grève, de le faire correctement. Ce n'est jamais avec enthousiasme qu'on propose un mandat de grève.
Mon discours sera largement inspiré d'un dossier sur ce sujet qui a été préparé par Unifor. Unifor a été fondé par deux grands syndicats canadiens: le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile et le Syndicat des communications, de l'énergie et du papier. Unifor compte un peu plus de membres que mon syndicat. Il compte 315 000 membres, 696 sections locales et 29 secteurs. Les gens d'Unifor savent de quoi ils parlent. Je situe une telle loi dans le cadre du respect fondamental, rien de moins. Alors, je m'inspire d'Unifor et je vais dire ce qu'il donne comme prémisse:
Les briseurs de grève déchirent les communautés, rabaissent les travailleuses et les travailleurs, et prolongent les conflits, une situation que nous, chez Unifor, connaissons trop bien.
Depuis la formation d'Unifor en 2013, nos trois conflits de travail les plus longs en nombre total de jours perdus impliquaient des briseurs de grève. Les conflits de travail impliquant des briseurs de grève ont duré en moyenne six fois plus longtemps que ceux sans briseurs de grève.
Les briseurs de grève n'incitent pas les patrons à négocier équitablement, ils retirent le pouvoir des mains des travailleuses et travailleurs qui tentent d'exercer leur droit de refuser de fournir des services lorsqu'un employeur est déraisonnable.
Je trouve que ces propos tirés du site d'Unifor ont le mérite d'être clairs.
Il sera toujours bon de rappeler à la Chambre que le Québec a mis en place un tel cadre législatif en 1977. J'ai le goût de dire qu'il y avait peut-être beaucoup de gens ici qui n'étaient pas nés ou qui n'étaient pas vieux à l'époque, et qui pourraient peut-être avoir un manque de sensibilité à l'égard des effets délétères qui découlent de l'absence d'une telle loi. C'est une question de conviction. C'est une question de perception. Toutefois, le code québécois a ses limites. Il ne s'applique pas aux salariés qui relèvent du fédéral.
La base, c'est le respect des travailleurs et des travailleuses et de leur loyauté. C'est aussi le respect de leur demande légitime d'être entendus par leurs employeurs. C'est de faire en sorte que, lorsque vient le temps de renégocier une convention collective arrivée à échéance, on puisse envisager des négociations aussi productives, honnêtes, et équitables que possible.
Les briseurs de grève sont donc une attaque directe contre le droit de grève. L'imposition de retour au travail avec des lois spéciales en est une aussi. C'est quelque chose que le Canada a largement utilisé. Je me rappelle que cela a eu lieu durant mon premier mandat à propos de Postes Canada, je crois. Cela aussi, c'est une attaque.
Or, la Cour suprême écrit ceci: « Dans notre régime de relations de travail, le droit de grève constitue un élément essentiel d'un processus véritable de négociation collective. »
On voit bien que le droit de s'organiser et le droit de faire la grève pour faire progresser les conditions de travail sont des droits reconnus au pays.
Alors, il était grand temps de ramener cette loi dans le cadre fédéral tandis que les travailleurs qui œuvrent dans les secteurs qui sont réglementés par le fédéral au Québec devenaient en quelque sorte une autre catégorie de salariés. C'est la même chose pour la Colombie‑Britannique qui, en 1993, s'est dotée d'une loi de la même nature. Cela veut dire que, au Québec et en Colombie‑Britannique, les salariés n'ont pas tous les mêmes droits.
Ici, à la Chambre des communes, le Bloc québécois a déposé 11 projets de loi depuis sa création. Il y a eu également ceux du NPD.
Notre estimé confrère et collègue à la Chambre, le doyen de notre assemblée, aura attendu 33 ans pour voir cet aboutissement, ayant déposé le premier projet de loi antibriseurs de grève en 1990 et 11 autres projets de loi par la suite. Le député de Bécancour-Nicolet-Saurel doit revivre certains moments forts de cette époque ces jours-ci.
Je reviens maintenant à ce qu’on peut trouver dans le document de fond qui a été fait par Unifor.
Le briseur de grève est peut-être la figure la plus polarisante dans le monde de relations de travail. Pour les employeurs, il représente un moyen efficace d’exercer une pression économique lorsque les négociations contractuelles avec le syndicat échouent, soit en réduisant l’impact financier d’un lock-out, soit en compromettant l’efficacité d’une grève. [De l’autre côté,] pour les travailleuses et travailleurs syndiqués qui font du piquetage, le briseur de grève représente une rupture de la ligne de force, et une perte de solidarité et de pouvoir collectif. En même temps, le recours aux briseurs de grève détruit complètement l’essence même d’un conflit de travail, c’est-à-dire un retrait de la main-d’œuvre entraînant un coût pour le syndicat et l’employeur.
Les dispositions prévues au projet de loi C‑58, à commencer par l’interdiction de faire appel à des travailleurs de remplacement, donc ceux de sous-traitance — sauf dans des situations bien précises —, l’interdiction de franchir la ligne de piquetage et les amendes prévues en cas de non-respect de la loi sont les éléments constitutifs de base d’une telle mesure législative
C’est à partir de ces interdictions, qui sont claires, que vont s’articuler les dispositions supplémentaires, notamment celles qui précisent les délais pour chaque intervention ou les pouvoirs qui sont conférés au ministre pour réglementer l’établissement des sanctions.
Or, faut-il se surprendre que des groupes d’entreprises, dont la Chambre de commerce du Canada et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, soient inquiétés par le projet de loi C‑58? La réponse est non. Je pense aux activités des lobbyistes. J’y reviens dans quelques secondes.
Perdre cet avantage concurrentiel sur leur main-d’œuvre, à savoir de régler un conflit de travail en n’ayant aucun impact industriel ou commercial quand on paie d’autres individus, ils ne le veulent pas; jamais de la vie. Leur positionnement est le suivant: « [...] si le projet de loi était adopté, il priverait les employeurs de la possibilité d’atténuer les préjudices causés par des interruptions de travail prolongées et entraînerait d’autres problèmes dans les chaînes d’approvisionnement qui se remettent encore des fermetures liées à la pandémie de COVID‑19. »
La COVID‑19 a le dos large, c’est clair. Cependant, j’ai envie de demander: et les préjudices aux travailleurs, qu'est-ce qu'on en fait, bon sang?
En 2023, que de pareilles organisations se défilent, c’est franchement décevant. Je dirais que c’est archaïque de penser que les préjudices ne sont aucunement subis par les travailleurs, mais surtout pour les employeurs qui verraient leurs affaires ou leur business se dégrader.
Le retard du gouvernement du Canada à mettre en place cette mesure législative me laisse, en tant qu’ancienne présidente syndicale, une espèce d’arrière-goût dans la bouche. Ce n’est pas nécessaire non plus d’attendre 18 mois après que le projet de loi obtienne la sanction royale pour que cette loi entre en vigueur. On n’a jamais vu une affaire pareille.
Il n’est pas obligatoire pour le gouvernement, dont le rôle est de légiférer, de plier aux demandes du patronat. Oui, nous y sommes: le poids des lobbys, comme dans d’autres domaines, c’est toujours d’affaiblir les lois et les règlements.
Je garde mes derniers mots pour lire un extrait du discours The Scab, de Jack London.
Dans la lutte collective pour le partage du produit commun, les travailleurs utilisent le syndicat avec ses deux grandes armes, la grève et le boycottage, tandis que le capital utilise le pouvoir de la fiducie et de l’association, dont les armes sont la liste noire, le lock-out et le briseur de grève. Le briseur de grève est de loin l’arme la plus redoutable des trois. C’est lui qui brise les grèves et cause tous les problèmes.
Je vais être réaliste et je vais terminer là-dessus, on ne va pas se réjouir trop vite. Cela peut être long. Va-t-il y avoir de l’obstruction? Va-t-il y avoir des élections anticipées qui auront pour effet que le projet de loi C‑58 mourrait au Feuilleton?
Il y a encore loin de la coupe aux lèvres, mais le Bloc québécois se réjouit que les salariés, sous le Code canadien du travail, aient bientôt les mêmes droits que tous les autres Québécois. Il s’agit de réparer une grande iniquité.