Monsieur le Président, je soulève la question de privilège au sujet des incidents qui se sont produits le 31 mars entre moi et la députée de Fort McMurray—Cold Lake.
Pendant la période des questions, la députée et moi-même avons eu un échange verbal. Après la période des questions, la députée a invoqué le Règlement et a porté des accusations qui, à mon avis, constituent de prime abord une atteinte au privilège. Selon La procédure et les usages de la Chambre des communes, les députés ne doivent pas faire de déclarations visant à induire volontairement la Chambre en erreur. J'estime qu'il y a matière à conclure que la députée de Fort McMurray—Cold Lake a intentionnellement induit la Chambre en erreur et que, par conséquent, il y a eu atteinte à mon privilège.
Je vous réfère à La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, 2017, sous la direction de Marc Bosc et André Gagnon, et plus précisément à la rubrique « L’exercice abusif de la liberté de parole ». On peut y lire ceci:
Le privilège de la liberté de parole est une immunité très puissante et la présidence a à l’occasion mis les députés en garde contre son utilisation abusive. Dans une décision concernant une question de privilège rendue en 1987, le Président Fraser a longuement insisté sur l’importance de la liberté de parole et sur la nécessité pour les députés d’être prudents dans leurs propos [...]
Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège. Je songe en particulier aux députés. Les conséquences d’un abus risquent d’être terribles. Des innocents risquent d’être victimes de diffamation sans avoir aucun recours. Des réputations risquent d’être ruinées par de fausses rumeurs. Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu qui leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre.
J'attire aussi votre attention sur la section intitulée « La protection contre l'obstruction, l'ingérence, l'intimidation et la brutalité ». D'après les explications qu'on y trouve, la question de privilège serait fondée de prime abord, puisque la députée de Fort McMurray—Cold Lake a fait intentionnellement des déclarations trompeuses à mon sujet. Voici un extrait de la section:
Il est impossible de codifier tous les incidents qui pourraient être considérés comme des cas d’obstruction, d’ingérence, de brutalité ou d’intimidation et, par conséquent, constituer une atteinte aux privilèges de prime abord. On trouve toutefois, parmi les questions de privilège fondées de prime abord, l’atteinte à la réputation d’un député, l’usurpation du titre de député, l’intimidation d’un député et de son personnel ainsi que de personnes appelées à témoigner devant un comité et la communication d’informations trompeuses.
Le tort injustement causé à la réputation d’un député peut constituer un cas d’obstruction si celui-ci a été empêché de remplir ses fonctions parlementaires. En 1987, le Président Fraser a déclaré:
« Tout acte susceptible d’empêcher un député ou une députée de s’acquitter de ses devoirs et d’exercer ses fonctions porte atteinte à ses privilèges. Il est évident qu’en ternissant injustement la réputation d’un député, on risque de l’empêcher de faire son travail. Normalement, un député qui estime avoir été victime de diffamation a le même recours que n’importe quel autre citoyen ; il peut intenter des poursuites en diffamation devant les tribunaux avec la possibilité de réclamer des dommages pour le tort qui lui a éventuellement été causé. Par contre, il ne peut pas avoir recours à de telles poursuites si la diffamation s’est produite à la Chambre. »
Il existe plusieurs exemples et décisions concernant des questions soulevées par des députés qui ont été considérés comme des atteintes au privilège de prime abord. J'aimerais citer un de ces exemples, car je crois qu'il est lié à la question de privilège d'aujourd'hui. Dans la section sous « Débats », le 6 octobre 2005, aux pages 8473 et 8474, et en particulier à la page 8474, la question a été renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Dans son rapport à la Chambre, le comité a déclaré: « Les députés sont des personnages publics, dont la réputation et l’intégrité comptent parmi les plus précieux atouts. Nous sommes tous au courant du cynisme public au sujet de notre système politique. »
Dans les décisions où le Président a conclu qu'il y avait de prime abord une atteinte au privilège, les déclarations ou les comportements reprochés à des députés avaient été commis pour induire volontairement en erreur un député de manière à l'intimider ou à lui nuire au point de l'empêcher de s'acquitter de ses fonctions.
J'aimerais expliquer à la Chambre les raisons pour lesquelles j'estime que la députée de Fort McMurray—Cold Lake a agi intentionnellement et a fabriqué de toutes pièces ses accusations. Je tiens d'abord à souligner que je ne pense pas qu'un député cherche sciemment à induire la Chambre en erreur lorsque des députés crient de l'autre côté de la Chambre et que le député entend mal ce qu'ils disent, puis leur prête des propos qu'ils n'ont pas tenus. Dans l'ensemble, je pense que les députés acceptent de reconnaître qu'ils ont peut-être tenu des propos qu'ils n'auraient pas dû tenir ou qu'ils ont mal entendu ce qu'un autre député a dit. Ils prennent la parole pour apporter les précisions nécessaires après coup.
Or, ce n'est pas ce qui s'est produit le 31 mars entre la députée de Fort McMurray—Cold Lake et moi. Plusieurs députés qui étaient assis autour de moi pendant la période des questions ont confirmé qu'ils ne m'ont pas entendue prononcer les paroles que la députée d'en face m'a reprochées. Mes paroles n'étaient même pas proches de ressembler à ce que la députée a allégué. De plus, j'ai immédiatement répondu à ses allégations et j'ai déclaré sans équivoque à la Chambre que je n'avais jamais tenu des propos ressemblant un tant soit peu à ceux qu'elle me prêtait.
À la Chambre, nous considérons que chacun d'entre nous est honorable. Ainsi, j'aurais espéré qu'après avoir clarifié ce qui avait été dit, la députée de Fort McMurray—Cold Lake aurait accepté la vérité et se serait rétractée.
À la suite de ces allégations, mon bureau a reçu plusieurs appels téléphoniques, courriels et réactions sur les médias sociaux, qui étaient menaçants et agressifs. Cet incident m'a rendu vulnérable aux menaces, ainsi que mon personnel. C'est pourquoi les rédacteurs de La procédure et les usages de la Chambre des communes reconnaissent à juste titre que les actes d'intimidation ou toute entrave à l'exercice des fonctions d'un député peuvent revêtir de nombreuses formes, y compris celle de déclarations trompeuses faites intentionnellement dans le but de nuire à la réputation d'un député. Une telle intimidation a pour but d'inciter un député à réfléchir à deux fois avant d'utiliser sa tribune pour dénoncer les actions d'autrui, de peur de faire l'objet d'accusations qui les exposeraient, lui ou son personnel, à des menaces et du harcèlement, s'il est perçu comme provocateur.
Tout au long de ma carrière, j'ai milité pour qu'un plus grand nombre de femmes se lancent en politique. Lorsque j'étais plus jeune, je ne pensais pas qu'une personne comme moi pouvait avoir sa place dans cette enceinte. J'espère que les générations futures verront un milieu politique différent et plus représentatif de la diversité du pays. Dans cette enceinte, les femmes se font rappeler constamment que cette Chambre n'a pas été conçue pour elles. Elles en sont conscientes chaque fois qu'elles viennent dans cette enceinte.
J'ai parlé à maintes occasions de la misogynie dans cette enceinte, y compris lorsque j'ai critiqué le chef de l'opposition pour avoir utilisé des mots-clics qui ciblent des groupes anti-femmes qui diffusent des messages de violence contre les femmes.
Je crois que ces déclarations trompeuses à mon sujet auraient pu être une tentative de représailles visant à ternir ma réputation pour m'intimider et me faire taire. Cette enceinte est un endroit où nous pouvons tenir des débats vigoureux, remettre en question des points de vue et représenter nos collectivités. Cependant, nous ne devrions jamais accepter que quelqu'un invente des déclarations dans le seul but de ternir la réputation d'un autre député à des fins purement politiques.
C'est pour cela que j'ai soulevé la question de privilège aujourd'hui. Cette conduite porte atteinte à cette Chambre et à tous les députés qui s'y trouvent, car n'importe qui d'entre nous pourrait devoir faire face à des accusations trompeuses, sans possibilité de recours. À première vue, j'estime qu'on a porté atteinte au privilège parlementaire dans cette enceinte.
Pour clore cette affaire et poursuivre notre travail au nom de la population canadienne, je m'estimerais satisfaite si la députée de Fort McMurray—Cold Lake retire ses paroles et présente ses excuses à la Chambre.
Je suis reconnaissante au Président d'avoir écouté avec attention la question de privilège que j'ai soulevée. Je terminerai en précisant que malgré les efforts de certaines personnes, je ne me laisserai pas intimider ni réduire au silence. Cela ne ferait que récompenser les actes de mauvaise foi, plutôt que d'encourager plus de femmes et de minorités à travailler dans cette enceinte, ce dont la Chambre et la population dans son ensemble bénéficieraient sans aucun doute.