Madame la Présidente, nous allons nous remettre un petit peu de nos émotions.
Dans ce débat, on voit le gouvernement s'appuyer sur le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir pour modifier le projet de loi C‑62.
Le Bloc québécois aurait bien aimé donner son consentement. Le problème, c'est que nous disions qu'il ne faudrait pas renvoyer aux calendes grecques la possibilité, pour quelqu'un qui souffre d'un trouble mental irrémédiable, pour lequel aucun psychiatre digne de ce nom n'a été capable de traiter, de traiter sa souffrance et de l'amoindrir, de faire une demande d'aide médicale à mourir. Il ne faudrait pas qu'après 10 ans, 20 ans ou 30 ans de souffrance, la décision de demander, ou pas, l'aide médicale à mourir revienne à cette personne et voir si elle sera admissible.
De notre côté, nous disions de modifier le projet de loi. Pourquoi faire cela en trois ans alors que, l'an dernier, on nous disait que cela prendrait un an pour nous assurer de l'établissement sûr et adéquat de l'ouverture de l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes de troubles mentaux? Par ailleurs, et c'est là la critique fondamentale que nous devons faire au gouvernement, il y a eu une élection en 2015, mais aussi l'arrêt Carter. Le gouvernement et ce Parlement ont accouché d'une très mauvaise loi, d'une loi semblable à celle que le Québec avait adoptée un an auparavant.
Le Québec a adopté une loi qui ne concernait et ne couvrait que les cas de fin de vie, des gens en phase terminale de vie. Je dois le répéter, quand on est en phase terminale de vie, le processus de la mort est commencé et est irréversible. Quand on est en situation de soins palliatifs, il peut arriver de recevoir de bons soins. Des bons soins palliatifs, comme le prescrivait Cicely Saunders à l'époque, c'est un accompagnement complet, global et holistique vers la mort. Il s'agit de faire en sorte de soulager adéquatement la souffrance, la douleur et la souffrance psychologique et d'accompagner la famille; tout cela, dans un environnement qui ressemble le plus possible à un environnement naturel. Or, il est possible que, tout à coup, dans ce processus, une demande d'aide médicale à mourir émerge parce que le patient en question, en train de mourir à petit feu, est, un matin, serein et prêt à lâcher prise. Cela, à mon avis, ce n'est pas un échec. Cela peut être vu comme une réussite des soins palliatifs. Je souhaite à tous mes collègues, le jour où ils seront au seuil de leur vie, qu'ils puissent être sereins, en paix. C'est ce qu'on peut souhaiter à tout le monde.
Donc, le Québec avait fait cette démarche. Voilà qu'on arrive au Parlement et qu'il y a l'arrêt Carter qui dit que Mme Carter n'est pas en phase terminale de vie, mais qu'elle souffre énormément; on considère alors que de ne pas pouvoir lui permettre de recevoir l'aide médicale à mourir, c'est porter atteinte à son droit à la vie. Pourquoi est-ce le cas? C'est parce qu'on la force à écourter sa vie prématurément alors qu'au fond, si on lui donne la possibilité de déterminer la suite, elle va pouvoir agir. C'est à elle de définir ce qu'est le seuil du tolérable et de sa souffrance.
C'était une mauvaise loi. Il a fallu déposer le projet de loi C-7. Quand on est arrivé à l'étude du projet de loi C‑7, il y avait un élément supplémentaire qui pouvait, à l'époque, se justifier; on était en 2021.
Selon l'arrêt Carter, on ne peut pas prévoir une interdiction absolue de l'aide médicale à mourir parce que des gens appartiennent à un groupe donné, à un groupe vulnérable. Il faut faire une évaluation au cas par cas.
Il est possible, effectivement, que des gens soient aux prises avec des troubles mentaux irrémédiables. Le caractère irrémédiable est établi au moyen de tout un processus. Dans ce processus, il faut être certain que la personne n'a jamais refusé un traitement dont on sait de façon claire, nette et précise qu'il aurait pu vraiment améliorer sa situation.
Il existe effectivement des gens à qui le trouble mental cause des souffrances intolérables pour lesquelles la psychiatrie ne peut rien faire. S'il y a quelqu'un ici qui veut prétendre le contraire, à mon avis, il manque d'intégrité intellectuelle. Les psychiatres ne peuvent pas guérir tout le monde; c'est impossible. Par contre, le paternalisme médical est très fort dans le domaine de la psychiatrie.
Cela étant dit, ce que nous voulions, c'est que le gouvernement, dont le projet de loi C‑62 repose sur les travaux du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, voie venir le moment où il allait devoir déposer le projet de loi C‑62 et introduise de lui-même dans ce projet de loi une autre recommandation phare du Comité spécial mixte. Cette recommandation, qui a été déposée il y a déjà un an, avait fait l'objet d'un consensus. Il y a même une députée conservatrice qui s'était ralliée à cette majorité. Il s'agit d'un consensus en faveur des demandes anticipées.
Pourquoi cela n'est-il pas inclus dans le projet de loi? On aurait pu le prévoir. On savait qu'il fallait reporter cette date. On avait un an pour présenter à la Chambre une mesure qui aurait couvert aussi les gens qui souffrent de démence et d'Alzheimer. Pourquoi le gouvernement ne l'a-t-il pas fait? Nous demandions au gouvernement pourquoi il ne le faisait pas alors qu'il avait la chance de le faire. Le Québec a fait sa loi. C'est encadré, rigoureux et unanime au Québec.
Un sondage effectué par Ipsos indique que 85 % de la population du Canada soutient les demandes anticipées. En Colombie‑Britannique, c'est 84 % de la population qui soutient les demandes anticipées. En Alberta, c'est 84 %; en Saskatchewan et au Manitoba, c'est 81 %; en Ontario, c'est 84 %; au Québec, c'est 87 %; en Atlantique, c'est 81 %. Je pourrais continuer. Il y a d'autres chiffres. Cela varie. Or, c'est un échantillonnage de 3 500 personnes. Ce n'est quand même pas rien. Qu'est-ce que le gouvernement attend pour agir? Pourquoi n'a-t-il pas entendu cette demande? Pourquoi n'a-t-il pas parlé avec le Québec, qui avait travaillé sur la question? Pourquoi n'a-t-il pas entendu la volonté unanime de l'Assemblée nationale, encore la semaine dernière? Pourquoi a-t-il peur de son ombre? Pourquoi les libéraux manquent-ils de courage à ce point?
La dernière fois qu'ils ont manqué de courage, cela a donné le projet de loi C‑14. Quel est le problème du projet de loi C‑14? Le vrai problème du projet de loi C‑14, ce n'est pas un problème légal. C'est le problème d'un patient qui souffre et qui, pour pouvoir satisfaire au critère de mort naturelle raisonnablement prévisible, doit faire une grève de la faim. On a connu cela. C'est aussi le problème de gens qui, comme Mme Gladu et M. Truchon, doivent aller faire valoir leurs droits constitutionnels en cour. Quand je dis qu'il y a un manque de courage, voilà ce que je veux dire.
Mon seul point de vue, c'est le point de vue des patients qui souffrent. Tout ce que je défends ici, c'est le droit à l'autodétermination des patients qui souffrent. En matière d'aide médicale à mourir, les patients ont dû franchir plusieurs étapes contre le paternalisme médical à une certaine époque.
Comme je le disais la semaine dernière, à une certaine époque, les soins palliatifs, qui sont si chers à mes amis conservateurs et que je trouve personnellement très importants, s'appelaient de l'euthanasie passive. On faisait de l'acharnement thérapeutique en proposant des traitements sans arrêt, parce que le devoir du médecin était de sauver son patient. Comme on le sait bien, à l'époque, tous les médecins pensaient pouvoir sauver tout le monde. Ce sont des médecins, eux-mêmes atteints d'un cancer, qui ont revendiqué le droit au refus de traitement. Dans la bonne pratique médicale d'aujourd'hui, la cessation de traitement et le refus de traitement existent.
Pourquoi aujourd'hui n'étudions-nous pas le projet de loi? On présente une motion de bâillon. Nous n'allons pas critiquer la question du bâillon plus qu'il faut. Je le sais qu'il faut y arriver avant le 17 mars. Nous ne déchirons pas notre chemise, mais nous n'avons pas donné notre consentement et nous ne le donnerons pas non plus. Pourquoi? C'est parce que nous voulions un projet de loi qui respectait les recommandations du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir. Je veux avoir une réponse du gouvernement à cet égard.
Pourquoi, dans le cas d'une personne atteinte d'un trouble de santé mentale, reporte-t-on l'aide médicale à mourir? On fait ce que le Comité a demandé. On met même à l'intérieur du projet de loi C‑62 la recréation du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir afin qu'il évalue si le terrain est prêt. On fait tout cela. On prend quasiment la recommandation et on la met dans le projet de loi. Arrive ensuite la question des demandes anticipées, qui représente un consensus d'un océan à l'autre, mais on n'a pas le courage de ses convictions.
Les libéraux ont peur de la démagogie, car on fait beaucoup de démagogie sur cette question. On mêle tout. Or, il faut être cohérent à un moment donné dans son approche. Les libéraux savent très bien que le rôle de l'État n'est pas de décider à la place du patient ce qui est bien pour lui dans une décision aussi intime que celle de sa propre mort. Ce n'est pas l'État qui va mourir à sa place ni le voisin. Le rôle de l'État est de déterminer, mettre en place, assurer, garantir les conditions d'exercice d'un choix libre et éclairé. Si des gens ont peur des dérives ou de la pente glissante en ce qui concerne les demandes anticipées, qu'ils aillent voir la loi québécoise, qui est un modèle.
Ça aurait été facile pour le gouvernement d'introduire des dimensions de la loi québécoise dans son règlement. C'est bien beau de dire que la loi est un peu floue, mais la modification qu'on apporte à la loi sur l'aide médicale à mourir, l'ouverture qu'on fait dans le Code criminel à l'article 241, c'est suivi d'une procédure, d'un règlement sur l'application d'un règlement. C'est là-dedans qu'on met les différentes balises.
En matière de troubles mentaux, il y a des normes de pratiques. Il y a un an, un comité s'est penché sur des normes de pratique et ces normes de pratique seront acheminées aux organismes réglementaires dans chacune des provinces, c'est-à-dire les collèges de médecin. À partir du moment où on a des lignes directrices et des normes de pratiques claires et que les critères dont je parlais tantôt sont satisfaits, quelqu'un qui est en crise suicidaire ne peut pas avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Il faut le répéter, parce que j'entends beaucoup de confusion à ce sujet. Une personne suicidaire n'est pas admissible à l'aide médicale à mourir, même si elle souffre d'un trouble mental et qu'elle est en crise suicidaire et même si elle a été récemment prise en charge et diagnostiquée. J'ai souvent demandé aux psychiatres s'ils pensaient que l'ouverture de l'aide médicale à mourir aux personnes atteintes d'une maladie mentale pouvait aussi avoir une vertu préventive. Il y a des gens, qu'on n'a pas vu venir, qui se suicident. Il n'y a personne qui les connaît aujourd'hui, pas un médecin qui les a pris en charge.
Par exemple, constatant que l'aide médicale à mourir est possible, une personne pourrait dire: je lève la main parce que je souffre et que je la veux. Eh bien, cette personne n'est pas admissible. On va cependant la prendre en charge et pouvoir effectivement la soigner, puisque l’état suicidaire est réversible. Ce n’est même pas une question. Ce n’est pas de ces patients qu'il est question ici. Quand on a demandé à la présidente du comité d’experts, la psychiatre Mona Gupta, combien de patients dans sa pratique auraient été éligibles, elle nous a parlé de deux ou trois patients, au cours de toute sa pratique. Or, ce sont des gens qui souffrent.
Quand on nous parle du fait que les ressources ne sont pas au rendez-vous — les ressources en termes d'évaluateur de la capacité qu’un psychiatre indépendant puisse se pencher sur un cas —, je réponds qu'actuellement, la capacité décisionnelle d’une personne aux prises avec un trouble mental, mais qui a un cancer, par exemple, elle est vérifiée. Les psychiatres évaluent donc présentement la capacité décisionnelle de gens aux prises avec un trouble mental et une comorbidité. Selon leur état, ils sont capables de déterminer la capacité décisionnelle de ces personnes qui ont un trouble mental.
Ne pas leur ouvrir l'accès à l'aide médicale à mourir — la Cour suprême l’a bien indiqué —, c’est stigmatiser ces personnes. C’est non seulement les stigmatiser, mais c’est les discriminer. Pourquoi infantiliser et instrumentaliser les gens qui ont un trouble mental pour lequel aucun traitement n’a pu, de toute leur existence, alléger leur souffrance?
J’aime bien discourir et débattre avec mes collègues conservateurs. Ils y vont par conviction, mais il y a des conservateurs qui agitent l’épouvantail à moineaux et qui mélangent tout. Ce n'est pas suffisant de citer 20 fois quelqu’un qui est venu dire que l’irrémédiabilité est difficile à mettre en place. Tout le monde en convient. Même le comité d’experts commence par ça. Ils ne l’ont pas caché. Ils disent justement, parce que l’irrémédiabilité est difficile à établir, qu'il y a un système de balises et de principes de précaution qui est mis en place.
Je vais donc proposer l'amendement suivant:
Que la motion soit modifiée au paragraphe b)(ii):
a) Par adjonction, après les mots « soit réputé renvoyé à un comité plénier, » des mots « qu’une instruction soit réputée donnée au comité portant qu’il soit habilitée à élargir la portée du projet de loi de façon à prendre en considération les régimes provinciaux d’aide médicale à mourir applicable aux demandes anticipées formulées par des personnes atteintes d’une maladie menant à l’inaptitude à consentir aux soins, »,
b) Par substitution aux mots « réputé avoir fait l’objet d’un rapport sans amendement » de ce qui suit: « réputé avoir fait l’objet d’un rapport avec les amendements suivants:
Que le projet de loi soit modifié par l’ajout d’un nouvel article 241.21 au Code criminel, libellé comme suit:
Nouvel article 241.21
Critères d’admissibilité relatifs à l’aide médicale à mourir spécifiques aux demandes anticipées
241.21 Le gouvernement d’une province peut prévoir un régime d’aide médicale à mourir applicable aux demandes anticipées formulées par des personnes atteintes d’une maladie menant à l’inaptitude à consentir aux soins, en conformité avec la législation de la province. »,
c) Par substitution aux mots « réputé adopté à l’étape du rapport », de ce qui suit: « réputé adopté, tel que modifié, à l’étape du rapport ».