Monsieur le Président, nous sommes ici aujourd’hui, car le premier ministre a déjà invoqué la Loi sur les mesures d’urgence. Ce dont nous débattons à la Chambre, c’est de savoir si nous croyons que le recours à cette loi devrait être approuvé ou révoqué. Pour que la Chambre approuve le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, il faut atteindre deux seuils très élevés. Au moment où le projet de loi a été présenté, le gouvernement a délibérément mis la barre très haute. La Loi sur les mesures d’urgence est comme une alarme incendie qui ne peut être actionnée que si la vitre est brisée, et nous ne devrions permettre de l’actionner que si c’est justifié.
La Loi sur les mesures d’urgence ne doit être utilisée que s’il y a des menaces à la sécurité du Canada qui sont si graves qu’elles constituent une situation de crise nationale et qu’on ne peut y remédier au moyen des lois ou des outils en vigueur. Cette invocation échoue sur tous les points. Il n’y a aucune menace à la sécurité du Canada. Il y a une manifestation bruyante autour de la Colline du Parlement, mais elle n’empêche pas le Parlement de fonctionner, comme nous pouvons le constater aujourd’hui. La Chambre continue de siéger. Les députés traversent les manifestations tous les jours. Le premier ministre tient des conférences de presse à quelques pas de l’endroit où les camionneurs ont installé leur matériel et leurs enseignes.
Cette manifestation ne menace même pas la sécurité à la Chambre des communes, et encore moins la sécurité du Canada. Il ne s'agit pas non plus d'une urgence nationale. La manifestation s'étend sur quelques pâtés de maisons du centre-ville d'Ottawa. A-t-elle causé des perturbations? Oui. Les camions devraient-ils se déplacer ou être déplacés à ce moment-ci? Oui. La Loi sur les mesures d'urgence devrait-elle être invoquée pour ce faire? Absolument pas. Les forces de l'ordre disposent d'amplement de pouvoirs pour leur permettre de gérer la situation et de la résoudre de manière pacifique.
On l'a d'ailleurs constaté au poste frontalier de Coutts, au pont Ambassador, à Surrey et à Emerson. Tous ces incidents ont connu une issue pacifique avec l'exercice des pouvoirs policiers et gouvernementaux. La prédécesseure de cette loi, la Loi sur les mesures de guerre, a été invoquée seulement lors de la Première Guerre mondiale, de la Deuxième Guerre mondiale et de la crise du FLQ, qui sont des moments marquants de l'histoire canadienne. La situation qui sévit actuellement à Ottawa est bien loin d'atteindre le niveau nécessaire pour justifier cette mesure draconienne.
Les conservateurs s'opposeront à cet excès. Le Bloc Québécois a indiqué qu'il ferait de même. Les députés libéraux feront ce que le premier ministre leur dira de faire, comme toujours. Par conséquent, ce sont les votes du NPD qui détermineront si la Chambre appuiera ou non le recours à la Loi sur les mesures d'urgence pour suspendre les droits et libertés civiles de toute personne considérée par le premier ministre comme participant à une manifestation illégale.
En 1970, lorsque Pierre Elliott Trudeau a eu recours à la Loi sur les mesures de guerre pour envoyer l'armée et suspendre les libertés civiles de Canadiens, le NPD s'y est opposé. Le résultat du vote a été 190 pour et 16 contre. Le chef néo-démocrate Tommy Douglas, que je suis à peu près certain de n'avoir jamais cité, a déclaré: « On a perdu tout sens des proportions ». Qualifiant de mouvement de panique l'usage de la loi d'urgence, il a poursuivi en affirmant que recourir à la Loi sur les mesures de guerre était comme utiliser une masse pour écraser une cacahuète. Les mêmes citations pourraient et devraient être utilisées pour décrire la réaction excessive qu'a le premier ministre en recourant à la Loi sur les mesures d'urgence aujourd'hui.
De nombreux anciens députés néo-démocrates regardent avec incrédulité ce que leur parti se prépare à appuyer tout en sachant que cela créera un dangereux précédent qui pourrait donner carte blanche à un prochain gouvernement pour sévir contre des citoyens qui s'opposent à ses politiques. Les députés actuels du NPD se joignent aux libéraux en appuyant le recours à une loi qui prive de leurs droits des Canadiens qui n'épousent pas les vues du gouvernement. Aujourd'hui, les néo-démocrates sont prêts à piler sur leurs principes pour faciliter la tâche à un premier ministre libéral, qui lui, n'en a pas.
Le décret associé au recours à cette loi a une grande portée. Les Canadiens qui ont participé à des manifestations parfaitement légales et légitimes au cours des dernières semaines pourraient être pris rétroactivement dans ce filet. Les Canadiens qui ont fait de petits dons ou cuisiné des repas pour les camionneurs en route vers Ottawa pourraient être frappés par ces mesures excessives. Que dit le premier ministre à ceux qui ont soulevé ces préoccupations? « Faites-moi confiance. Donnez-moi le bénéfice du doute ». La confiance se mérite, et le premier ministre n'en mérite pas.
Le décret d'urgence permet au gouvernement de geler et de saisir des comptes bancaires sans recours judiciaire. Le gouvernement encourage les banques à ne plus faire affaire avec les manifestants. Des produits d'assurance pourront être suspendus et des biens pourront être saisis. Les personnes qui réclament la fin des restrictions gouvernementales pourraient se retrouver cinq ans derrière les barreaux.
Pensons-y une seconde. Les gens qui luttent pour la liberté en utilisant leurs droits de citoyens libres pour critiquer les politiques du gouvernement pourraient écoper d'une peine de prison allant jusqu'à cinq ans. Ils pourraient ne plus être en mesure de faire vivre leur famille. Leur hypothèque pourrait être confisquée. Ils pourraient perdre leur maison. Ces conséquences n'ont rien à voir avec la sécurité publique. C'est une façon de punir ceux qui ont osé décrier les politiques gouvernementales. Nous siégeons pour protéger les droits des Canadiens, et non pas pour les brimer au moindre prétexte ou pour punir ceux qui embêtent le premier ministre.
Nombreux sont ceux qui diront « bon débarras » aux manifestants et qui se réjouiront de leur ruine financière. De toute évidence, beaucoup de Canadiens appuient les manifestants, mais de nombreux autres sont révoltés par eux. En effet, des partisans libéraux sont ravis des tactiques d'intimidation que le premier ministre utilise contre nos concitoyens. Ils citent les sondages d'opinion, qui montrent que les gens appuient la décision du gouvernement de serrer la vis aux personnes qui l'embarrassent dans les rues d'Ottawa, de remettre les manifestants à leur place et d'avertir les autres qu'il y a des conséquences quand on ose remettre en question ou contester les décisions du gouvernement.
Je rappelle à la Chambre que la majorité des Canadiens et des députés ont applaudi des mesures adoptées par des gouvernements précédents, qui ont été justifiées dans cette enceinte, pour suspendre les droits et les libertés de nos propres concitoyens et qui ont donné lieu à bon nombre des chapitres les plus sombres de notre histoire, des chapitres auxquels nous repensons aujourd'hui avec incrédulité et honte. Cela ne signifie pas que ces personnes avaient raison. Cela ne signifie pas que ces mesures étaient justes. Au contraire, je crois que si nous laissons faire les choses, le temps viendra où un futur premier ministre prendre la parole à la Chambre pour présenter des excuses pour les actions de l'actuel premier ministre dans cette affaire.
Le premier ministre a fait le choix délibéré et politique de créer la division dont nous sommes témoins aujourd'hui dans ce pays. C'est ce qu'a confirmé le député libéral de Louis-Hébert. Au lieu de chercher à comprendre et à trouver un terrain d'entente, le premier ministre a voulu semer la division pour en tirer un avantage politique. Quand ses spécialistes des sondages lui ont dit qu'il pourrait dresser les Canadiens vaccinés contre les Canadiens non vaccinés et semer la division entre des amis, des voisins et des membres d'une même famille, il a sauté sur l'occasion.
Il a passé toute la campagne électorale à dresser les Canadiens les uns contre les autres. Il a dit de ceux qui ne sont pas d'accord avec lui que ce sont des gens racistes et misogynes qu'on ne devrait pas tolérer, et que c'est une minorité de marginaux aux opinions inacceptables, comme si le fait d'être premier ministre ou libéral lui donnait le monopole sur ce qui constitue une opinion acceptable. Il a aggravé la situation à Ottawa avec les propos qu'il a tenus, puis il est allé se cacher. Il continue de diviser la population à des fins partisanes. Maintenant, il voudrait que la Chambre se plie tout simplement à ses exigences et l'autorise à bafouer les droits des Canadiens qui ne sont pas d'accord, et il veut utiliser un outil à cette fin sans justification.
Le recours à la Loi sur les mesures d'urgence et le décret connexe ne sont pas justifiés dans le contexte actuel. La situation ne répond pas aux critères. Invoquer cette loi ne fera qu'aggraver les dissensions que le premier ministre a alimentées de façon délibérée. Le recours à cette loi ne va pas résoudre la crise nationale; cela pourrait même en créer une nouvelle.
Il est temps que le gouvernement cesse de se servir de ses pouvoirs pour punir ceux qui ont pris des décisions difficiles et impopulaires par rapport à leur propre santé. Il est temps de nous détourner de la voie de la division choisie par le premier ministre pour nous engager sur la voie de la guérison et de la réconciliation, et cela passe d'abord par le rejet de la proposition d'utiliser la Loi sur les mesures d'urgence contre nos concitoyens. Nous devons voter contre cette motion et chercher plutôt à travailler ensemble pour calmer le jeu, redonner aux Canadiens leurs droits et unir nos efforts pour apaiser les dissensions au sein de notre pays.