Monsieur le Président, je signale d'emblée que je partagerai mon temps de parole avec ma formidable collègue de Beauport—Limoilou.
J'écoute mes collègues des formations politiques fédéralistes s'exprimer depuis ce matin, à l'exception peut-être de nos amis du NPD, qui se gargarisent de leur fierté canadienne en voulant à tout prix protéger une institution étrangère. Qu'y a-t-il donc de typiquement canadien dans la monarchie britannique?
J'entends les conservateurs et les libéraux nous dire à quel point ils sont fiers du Canada, nous dire que c'est le plus beau et meilleur pays au monde, et nous dire qu'ils veulent protéger les institutions britanniques, la monarchie britannique. Ils nous répètent que ce débat n'est pas important, que personne ne leur parle de la monarchie dans leur circonscription respective.
Or, à quoi bon dépenser 67 millions de dollars annuellement pour une institution dont tout le monde se fout dans leur circonscription respective? C'est cela, au fond, la véritable question.
Si cela n'est pas important pour leurs concitoyennes et leurs concitoyens, pourquoi prendre de leur argent chaque année, au lieu de consacrer ces 67 millions de dollars aux missions essentielles de l'État, comme le logement social ou le soutien aux personnes sans emploi, par exemple? Pourquoi continuer cette gabegie de dépenses publiques au bénéfice de certains privilégiés?
Certains citoyens de ce pays, dont nos collègues sont si fiers, n'auront jamais l'occasion de se présenter à Rideau Hall pour partager les petits fours de Son Excellence la gouverneure générale du Canada. Ils tirent le diable par la queue tous les jours pour réussir à payer les dépenses qu'occasionne l'inflation.
Il est question ici du même cœur même de nos institutions démocratiques, lesquelles s'appuient sur l'égalité des citoyennes et des citoyens, sur un État de droit, et non pas sur la primauté du sang de quelques personnes qui, simplement par naissance, auraient le droit de régner sur tout un pays.
La monarchie va à l'encontre de plusieurs principes qui sont au cœur de nos institutions, qu'il s'agisse, comme je viens de l'indiquer, de l'égalité entre les citoyennes et les citoyens, de la souveraineté populaire, de la démocratie, qui en est le corollaire, et de la séparation de la religion et de l'État.
On nous parle de ce que pensent les citoyennes et les citoyens de ce pays. Or, selon un sondage de l'Institut Angus Reid réalisé en avril dernier, 71 % des Québécoises et des Québécois sont opposés au maintien de la monarchie et veulent qu'elle disparaisse au Canada. Ce sont 51 %, soit une majorité de concitoyennes et de concitoyens dans les circonscriptions de mes collègues, qui souhaitent l'abolition de la monarchie.
Le sondage indique également qu'il n'y a pas une seule province, au Canada, où le pourcentage de gens qui souhaitent la maintenir est supérieur au pourcentage de celles et ceux qui souhaitent qu'on s'en débarrasse.
Les députés devraient noter cela, eux qui disent que leurs citoyens et leurs citoyennes ne leur parlent pas de cela. Mes collègues doivent prendre note de ce que ces gens pensent, et la majorité de leurs concitoyennes et concitoyens pensent qu'on devrait abolir cette institution inutile.
Un autre sondage, de Léger, réalisé en juin, montre que 56 % des Canadiens et des Canadiennes sont opposés au serment d'allégeance. Au Québec, cela monte jusqu'à 75 %. L'Australie, qui a toujours comme chef d'État Sa Majesté le roi, a décidé de se départir du serment d'allégeance. Pourquoi le Canada ne ferait-il pas ainsi?
J'ai envie de partager avec mes collègues quelques mots que j'ai prononcés au moment où j'ai prêté serment pour la toute première fois, en 2005, à titre de député à l'Assemblée nationale du Québec. En faisant référence aux serments que j'avais prêtés ici, à la Chambre des communes, j'ai dit:
Mes précédentes assermentations se sont toujours déroulées de façon très intime, dans l'anonymat le plus complet. Je n'ai jamais invité personne à y assister, pas même mes collaboratrices et collaborateurs les plus proches, ni même ma conjointe [...]. Je faisais ça, comme on dit par chez nous, « à la sauvette »!
C'est que je ne voyais nul motif de célébration. Pour moi, l'assermentation ne constituait qu'une formalité, un passage obligé, pour me permettre de m'acquitter de mes responsabilités. En fait, ce rituel m'est même apparu comme une étape difficile, puisque le bon sens livrait une âpre lutte à ma conscience. Je pensais en effet, en posant ce geste, à nos ancêtres canadiens, qui, sous le régime anglais, étaient forcés de prêter le serment du test pour pouvoir exercer une charge publique; à mes ancêtres acadiens, dépossédés de leurs biens et déportés dans des conditions misérables sous le prétexte fallacieux qu'ils avaient prétendument refusé de prêter un serment d'allégeance inconditionnel parfaitement futile, en raison de leur statut avéré de sujets britanniques. Je ressentais un profond sentiment d'impuissance et de honte à l'idée de trahir ainsi leur mémoire en me prêtant à cet acte officiel qui avait été, pour eux, source de tant de malheurs.
J'entends encore une fois nos collègues se gargariser de leur fierté d'être Canadiennes et Canadiens. Le secrétaire parlementaire allait même jusqu'à dire que le Bloc québécois amène ce débat parce qu'il veut briser ce beau pays. Cela adonne qu'il y a des gens éminemment fédéralistes, pas des moindres, notamment John Manley, qui ont fait des déclarations en ce sens. John Manley, qui a été vice‑premier ministre et ministre des Finances dans le gouvernement de Jean Chrétien, qui a fait un certain nombre de déclarations que je vais me permettre de partager.
Je crois que lorsque les gens y réfléchissent, force leur est de constater que notre cheffe d'État est étrangère et que lorsqu'elle voyage, elle ne représente pas le Canada, mais bien le Royaume‑Uni. Je pense que les gens se rendent compte que la monarchie est, fondamentalement, une institution quelque peu dépassée que le Canada ne devrait pas conserver.
M. Manley a ajouté qu'on ne devait pas permettre que le prince Charles devienne le roi du Canada:
Au XXIe siècle, nous ne devrions pas envisager que le fils aîné hérite du rôle de chef d'État. Cette responsabilité devrait être confiée à un Canadien qui illustre la diversité canadienne et qui serait désigné par les Canadiens.
M. Manley a également dit ceci:
Personnellement, au terme du règne de la reine Elizabeth, je préférerais une institution exclusivement canadienne. La solution pourrait être aussi simple que de conserver le gouverneur général comme chef d'État au Canada. Quoi qu'il en soit, j'estime qu'il n'est pas nécessaire que le Canada conserve la monarchie.
Ici, on ne parle pas d'un méchant séparatiste et de quelqu'un qui a des accointances avec le Bloc québécois, on parle d'un ministre libéral. On ne parle pas d'un ministre junior, on parle du vice‑premier ministre et ministre des Finances sous le gouvernement de Jean Chrétien.
Les jeunes libéraux, qu'on ne peut pas non plus soupçonner de sympathies souverainistes, ont même déposé en 2012 — pas en 2002, comme ce fut le cas à l'époque de John Manley, — au congrès du Parti libéral une motion pour abolir la monarchie au Canada.
On voit bien que cela n'a strictement rien à voir avec le fait qu'on puisse être souverainiste ou non, puisque la majorité des concitoyennes et des concitoyens de mes collègues provenant d'un peu partout au Canada est également opposée à la monarchie.
Quand ils disent que les citoyens de leur circonscription ne leur parlent pas de cela du tout, je pense que, au contraire, cela parle fort. Cela parle fort que 67 millions de dollars par an soient consacrés à cette institution plutôt qu'investis, par exemple, dans le logement social. Cela représenterait 670 nouveaux logements sociaux qui seraient construits annuellement si on investissait ces sommes dans le logement social plutôt que dans l'entretien de Rideau Hall et de la personne qui y réside à nos frais.
Je fais abstraction ici de toutes les dépenses somptuaires que les médias ont rapportées depuis trop longtemps par rapport aux gouverneurs généraux du Canada et aux lieutenants‑gouverneurs un peu partout dans les provinces. Je fais grâce à la Chambre de l'énumération de tous ces gens.
On nous répète que la monarchie est un élément de stabilité pour la démocratie canadienne; je termine simplement en affirmant respectueusement qu'il y a énormément de démocraties dans le reste du monde qui ne sont pas des monarchies et qui sont très stables et très fonctionnelles.