Monsieur le Président, nous sommes ici pour parler du projet de loi C-253, Loi modifiant la Loi sur la Banque du Canada et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, notamment la Loi sur le vérificateur général, qui vise à ce que la vérificatrice générale du Canada et le vérificateur de la Banque du Canada puissent avoir accès aux activités de la Banque du Canada.
En gros, comme cela a été proposé entre autres par le député de Carleton, cela veut dire qu'un audit pourrait être fait par la vérificatrice générale sur l'argent dépensé pendant la pandémie, par exemple, qui effectivement provenait à l'origine d'une impression de monnaie par la Banque du Canada. On veut essentiellement étudier et évaluer la politique monétaire canadienne par le truchement d'un audit de la vérificatrice générale.
Cela ne surprendra personne: le Bloc québécois, étant respectueux des institutions canadiennes tant que le Québec fera partie du Canada, veut que la Banque du Canada soit totalement indépendante.
J'aimerais, dans le cadre de mon discours, apporter des nuances aux propos du Parti conservateur et aussi rappeler l'importance de l'indépendance de la Banque du Canada.
Premièrement, apportons des nuances à certains propos énoncés par le député de Regina—Qu'Appelle, le parrain de ce projet de loi. Ce dernier a dit que la Banque du Canada a été exemptée de la surveillance du vérificateur général. J'aimerais nuancer ces propos. Le vérificateur général, ou la vérificatrice générale dans ce cas-ci, peut procéder à l'examen des activités et des documents de la Banque liés à ses rôles d'agent financier du gouvernement, de conseiller sur la gestion de la dette publique et de responsable de la gestion du Compte du fonds des changes.
On peut commencer par dire que la vérificatrice générale a accès à une étude sur la structure de la Banque du Canada, sur l'examen de la vérification des activités de certains documents et ainsi de suite. La vérificatrice n'a en aucun cas comme rôle d'évaluer la qualité d'une politique, et encore moins la qualité d'une politique monétaire. Il est très important de le préciser.
De plus, des mesures de contrôle sont déjà en place pour la Banque du Canada. J'aimerais en rappeler quelques-unes. Selon la Loi sur la Banque du Canada, une fois par an, deux cabinets indépendants doivent procéder simultanément à la vérification des comptes de la Banque. Le ministre des Finances a le pouvoir d'élargir la portée de la vérification et de demander des vérifications et des rapports spéciaux.
On comprend donc que la Banque du Canada a déjà un processus de reddition de comptes, notamment au gouvernement. En plus, la Banque du Canada effectue sa reddition de comptes au comité et c'est au comité d'évaluer la pertinence de certaines politiques monétaires.
J'ai eu la chance de siéger justement au Comité permanent des finances alors que nous recevions le gouverneur général de la Banque du Canada. Les comités peuvent convoquer le gouverneur et les sous-gouverneurs de la Banque. Ils peuvent revoir les états financiers de la Banque et émettre des recommandations à cet égard. Les comités peuvent superviser les audits internes et externes. Ils peuvent enfin évaluer l'efficacité du cadre de la Banque en matière de gestion des risques, de contrôle interne et de gouvernance en ce qui a trait à la communication de l'information.
On peut donc voir qu'il y a déjà un processus de reddition de comptes de la Banque du Canada.
Par ailleurs, selon d'autres propos émis par le député de Regina—Qu'Appelle, il faudrait se baser sur nos partenaires du Commonwealth comme le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle‑Zélande et suivre leur exemple.
Ayant regardé ce qui se fait dans ces pays, on voit que le vérificateur général de la Nouvelle‑Zélande peut effectivement auditer la banque centrale. Toutefois, son rôle est de s'assurer que les états financiers sont justes et sans erreur. Il est explicitement énoncé dans les contraintes du vérificateur général qu'il ne peut en aucun cas se prononcer sur l'efficacité de la banque centrale.
En Australie, les objectifs du vérificateur général sont d'obtenir l'assurance raisonnable que les états financiers pris dans leur ensemble sont exempts d'anomalies significatives, que celles-ci résultent de fraudes ou d'erreurs, et de rendre un rapport d'audit contenant son opinion.
Encore une fois, dans ces pays que l'on devrait soi-disant suivre, la vérificatrice générale n'a en aucun cas l'objectif d'effectuer un audit sur une politique monétaire.
Au Royaume-Uni, c'est un peu plus complexe. Nous l'admettons. Le vérificateur général examine si la Banque d'Angleterre a une stratégie suffisamment ambitieuse pour développer des services centraux efficaces et rentables appropriés pour aider la Banque à apporter le changement et à contrôler les coûts.
Encore une fois, on a un terrain d'entente, et le vérificateur général ne se prononce pas sur les objectifs stratégiques de la banque centrale. Par conséquent, un audit sur une politique monétaire ne serait acceptable dans aucun de ces pays du Commonwealth. Il n'est jamais mention d'émettre une opinion ou de critiquer la conduite d'une politique monétaire. En bref, dans ces trois pays, le vérificateur général peut contrôler l'intégrité administrative de la banque centrale, mais pas l'efficacité de la politique monétaire.
Au Bloc québécois, nous ne sommes pas contre l'idée d'augmenter la reddition de comptes. Au contraire, nous en demandons souvent, et nous sommes tout à fait favorables à l'idée de poser les bonnes questions à la banque centrale, notamment en comité. Toutefois, le Bloc s'oppose à ce projet de loi parce qu'il n'emploie pas les bons moyens pour arriver à son objectif, qui est d'évaluer une politique monétaire au moyen d'un audit de la vérificatrice générale. Ce n'est ni son rôle ni le lieu pour le faire.
J'aimerais maintenant insister sur l'importance de l'indépendance de la banque centrale. La politique monétaire, je ne m'y aventurerais jamais, même si je suis économiste. C'est un exercice très complexe qui mérite d'être nuancé. La question de l'indépendance des banques centrales l'est tout autant. Rappelons que, par la politique monétaire, une banque centrale contribue à déterminer le niveau des prix, par exemple. Elle a un impact sur le taux de chômage d'une économie. Effectivement, la banque centrale a un impact très important sur notre économie.
Cela dit, les objectifs de stabilité à moyen et à long terme d'une banque centrale sont totalement différents des objectifs d'un gouvernement, qui est élu pour un maximum de quatre ans. Un gouvernement a des objectifs court-termistes, surtout dans certains cas. La stabilité à long terme constitue un autre objectif, et c'est la raison pour laquelle une banque centrale doit être complètement indépendante d'un gouvernement. Ces deux ont des objectifs différents. L'un vise une stabilité économique à long terme, alors que l'autre est susceptible d'élaborer une politique budgétaire plus court-termiste.
Par exemple, lorsqu'une banque centrale augmente le taux directeur, cela aura des répercussions sur l'économie environ 18 mois plus tard ou 2 ans plus tard. Je rappelle que nous avons un gouvernement minoritaire qui a une durée de vie potentielle de deux ans. Il n'y a donc aucun moment où les deux pourraient coïncider. L'élaboration d'une politique budgétaire est totalement différente de l'élaboration d'une politique monétaire, et c'est pourquoi la banque centrale doit demeurer indépendante. Sans cette indépendance, un gouvernement pourrait choisir une politique monétaire à court terme qui l'avantage, mais qui n'est pas optimale à long terme.
Le spectre de l'indépendance d'une banque centrale est très varié. Il y a autant de différents types d'indépendance de banques centrales qu'il y a de banques centrales. Par contre, j'aimerais parler des bonnes pratiques élaborées par l'Organisation de coopération et de développement économiques. « Les banques centrales détiennent un pouvoir considérable à l'égard de l'économie de leur pays [comme le sait]. Leur mandat, qui varie d'une banque à l'autre, vise généralement à créer les conditions propices à la stabilité économique et financière. Leurs outils les plus importants sont les politiques monétaires, c'est-à-dire les décisions relatives à la valeur de l'argent. Ces décisions concernent notamment la quantité de monnaie en circulation dans l'économie et les mesures à prendre pour assurer la stabilité de l'inflation. »
Nous sommes d'accord que la banque centrale joue un rôle énorme en ce qui a trait à la stabilité de l'inflation, et nous sommes d'accord que l'inflation est trop élevée en ce moment. Soit, la banque centrale avait l'objectif de garder l'inflation à 2 % et elle avait un accord avec le gouvernement en ce sens. Cependant, on sait que les causes de l'inflation sont beaucoup plus complexes qu'une politique monétaire. Dans ce cas-ci, il y a effectivement la pénurie de main-d'œuvre, de matériaux et de semi-conducteurs. Il y a des problèmes mondiaux dans les chaînes d'approvisionnement. Aucune banque centrale n'a réussi à s'attaquer réellement au problème de l'inflation.
En conclusion, j'aimerais citer mon économiste préféré, c'est-à-dire mon père. Il dit qu'une politique monétaire, c'est aussi complexe que la médecine. Les économistes sont un peu comme des médecins. La différence, c'est que les médecins ont 7 milliards de patients pour tester un médicament ou une nouvelle méthode, tandis que les économistes n'ont qu'une économie.
Soit, la banque centrale peut commettre des erreurs. C'est le rôle des comités de regarder ses erreurs et de l'interroger. Ce n'est pas à la vérificatrice générale de le faire. C'est avec des institutions indépendantes qu'on peut avoir une démocratie saine.