Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 23 novembre 2021 par le député de Louis‑Saint‑Laurent concernant le défaut de produire des documents. Je veux aussi traiter de celle soulevée le même jour par le député de Barrie—Innisfil concernant le deuxième rapport du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique lors de la deuxième session de la 43e législature. Bien qu’il s’agisse de questions de privilège distinctes, la présidence entend rendre une seule et même décision compte tenu de la similitude procédurale des deux questions.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, la présidence désire d’abord relater brièvement les derniers événements survenus dans la législature précédente.
En ce qui concerne la question du député de Louis-St-Laurent, le 21 juin 2021, le président de l’Agence de la santé publique du Canada a comparu à la barre de la Chambre pour être admonesté, mais ce dernier n’a pas remis les documents exigés conformément à l’ordre adopté le 17 juin 2021. Le député de Louis‑St‑Laurent a alors soulevé une question de privilège concernant le défaut de produire les documents. Le 23 juin 2021, le gouvernement a déposé une requête à la Cour fédérale afin de sceller les documents.
Pour ce qui est de la question du député de Barrie—Innisfil, le 10 juin 2021, le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique avait présenté son deuxième rapport à la Chambre qui exposait les difficultés rencontrées lors de son étude et le député de Leeds—Grenville—Thousand Islands et Rideau Lakes avait soulevé une question de privilège à ce sujet.
La Chambre s'est ensuite ajournée le 23 juin 2021 pour la période estivale avant qu'une décision sur ces questions de privilège ne soit rendue. Puis, la 43e législature a été dissoute le 15 août 2021.
Lorsqu’il a soulevé à nouveau sa question de privilège dans la session en cours, le député de Louis‑St‑Laurent a soutenu que la demande du gouvernement du 23 juin 2021 devant la Cour fédérale était sans précédent dans l’histoire canadienne. Bien que la contestation judiciaire a pris fin avec la dissolution, le député a argumenté que contester ouvertement l’autorité de la Chambre devant les tribunaux, en s’attaquant à ses droits fondamentaux, constitue un outrage.
Citant l’autorité en la matière, il a mentionné qu’un outrage commis dans une législature précédente peut être puni dans une nouvelle législature. Selon lui, la dissolution n’a pas eu pour effet de tuer les questions de privilège.
Le député de Barrie—Innisfil a également souligné que la Chambre peut se pencher sur un outrage commis lors d’une législature précédente. En se référant à la question de privilège soulevée précédemment par le député de Leeds—Grenville—Thousand Islands et Rideau Lakes, il a expliqué que le rapport du Comité — qui n’a pas été adopté par la Chambre — exposait plusieurs atteintes au privilège. Parmi celles-ci, des personnes citées à comparaître ne se sont pas présentées pour témoigner, le gouvernement a commis de l’ingérence en leur donnant instruction de ne pas se présenter et la députée de Waterloo, alors ministre, a donné des réponses trompeuses et évasives lors de son témoignage.
Le leader du gouvernement à la Chambre est intervenu sur les deux questions de privilège en répondant que toutes les affaires de la législature précédente ont pris fin au moment de la dissolution. Ainsi, selon lui, avant de pouvoir soulever une question de privilège sur ces enjeux, une motion ou un rapport de comité serait nécessaire dans la nouvelle législature pour que la Chambre puisse en être saisie. Il a plus tard fait part de la volonté du gouvernement de collaborer avec les partis de l’opposition afin de trouver un mécanisme approprié pour examiner les documents qui contiennent des renseignements confidentiels en matière de sécurité nationale, à l’instar de ce qui a été fait en 2010 concernant les documents liés aux prisonniers afghans. Le député de Louis‑St‑Laurent a répliqué que selon lui, une telle approche n’était pas nécessaire dans ce cas-ci au vu des mécanismes qui ont déjà été proposés pour protéger les renseignements de nature délicate.
Le député de Winnipeg-Nord est aussi intervenu pour répondre à la question de privilège du député de Barrie—Innisfil. Il a fait valoir que la citation tirée de la 20e édition d'Erskine May comme quoi un outrage peut être puni au cours d'une autre législature ne s'applique plus au contexte actuel. De plus, contrairement aux membres du personnel ministériel qui ont été appelés à comparaître devant le comité, ce sont les ministres qui sont responsables et qui doivent rendre des comptes au Parlement.
Il ne fait aucun doute pour la présidence que la Chambre ou ses comités puissent ordonner à un témoin de comparaître ou la production de documents, comme ce fut le cas avec les ordres adoptés lors de la dernière session. Il n'appartient pas au gouvernement de décider quelles autres personnes auraient dû être convoquées ou de dicter de conditions pour remettre les documents.
L'ordre adopté se doit d’être respecté. Cependant, lorsque vient le temps de se prononcer sur les questions qui nous occupent, la présidence doit avant tout prendre en considération les effets de la dissolution sur les travaux de la Chambre et de ses comités.
Voici ce qu'on peut lire à la page 397 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes:
La dissolution met fin à tous les travaux de la Chambre [...] À la dissolution, le gouvernement n'est plus tenu de répondre aux questions écrites et aux pétitions ni de produire les documents demandés par la Chambre [...] Les comités cessent d'exister jusqu'à ce que la Chambre les reconstitue après les élections. Tous les ordres de renvoi viennent à échéance [...]
Conséquemment, en raison de la dissolution de la 43e législature, les ordres adoptés par la Chambre le 25 mars et les 2 et 17 juin 2021 sont venus à échéance. Le gouvernement et les personnes citées à comparaître sont libérés de leurs obligations. De même, le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes et le Comité permanent de l'accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique ont pris fin, tout comme leurs études. Tout rapport présenté dans le cadre d'une étude n'engageait que le comité dans la législature précédente.
Comme l'ont évoqué les députés dans leurs interventions, La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, mentionne à la page 81, et je cite:
Les cas d'outrage commis pendant une législature peuvent même être punis au cours d'une autre législature.
Une formulation très similaire peut être trouvée dans une édition antérieure d'Erskine May, l'autorité procédurale du Royaume-Uni. Comme l’a mentionné le député de Winnipeg-Nord, on ne la retrouve pas dans l'édition actuelle. Les circonstances permettant de ramener une telle question sont toutefois plus limitées que ce qui est suggéré par cette citation.
En effet, on ne recense dans nos précédents que très peu d'occurrences de questions de privilège émanant d'une législature précédente et soulevées au cours d'une nouvelle législature. Le député de Leeds—Grenville—Thousand Islands et Rideau Lakes en a énumérées dans une intervention le 24 novembre 2021.
Des distinctions doivent être faites entre les questions qui nous occupent et les précédents cités. Lorsqu’on examine ces derniers, on constate que la Chambre ne s’était pas prononcée au préalable, car l’incident ou le problème survenu lors de la législature précédente était porté à l’attention de la Chambre pour la première fois à la lumière de faits nouveaux. Le Président Parent, dans sa décision du 9 octobre 1997, a d’ailleurs jugé la question non fondée en l’absence d’un rapport de comité. Lorsque les questions de privilège ont été soulevées dans la deuxième session de la 43e législature, elles tenaient compte des ordres alors en vigueur.
La dissolution est venue mettre fin aux travaux de la Chambre et des comités et, par le fait même, aux différents ordres. Puisque nous sommes dans une nouvelle législature, les enjeux soulevés ne sont plus devant la Chambre. Il appartient à la Chambre et à ses comités de décider s'il est souhaitable d’adopter à nouveau ces ordres dans la présente législature. Le cas échéant, il faudrait évaluer si le gouvernement ou les témoins acceptent de se conformer avant qu'une question de privilège ne soit soulevée.
Ainsi, il n’est pas possible, dans les circonstances actuelles, de saisir la Chambre de ces questions de privilège découlant de la législature précédente. Par conséquent, la présidence ne peut conclure qu’il y a, à première vue, matière à question de privilège.
Je remercie les députés de leur attention.
I am now prepared to rule on the question of privilege raised on November 23, 2021, by the member for Louis-Saint-Laurent concerning the failure to produce documents. I also want to deal with the question of privilege raised the same day by the member for Barrie—Innisfil concerning the second report of the Standing Committee on Access to Information, Privacy and Ethics during the second session of the 43rd Parliament. While they are distinct questions of privilege, the Chair intends to render a single ruling, given the procedural similarities of the two questions.
Before getting to the heart of the matter, the Chair wishes to briefly summarize recent events from the previous Parliament.
Regarding the question from the member for Louis-St-Laurent, on June 21, 2021, the president of the Public Health Agency of Canada appeared at the bar of the House to be admonished, but he did not hand over the documents required by the order adopted on June 17, 2021. The member for Louis-St-Laurent then raised a question of privilege concerning the failure to produce the documents. On June 23, 2021, the government applied to the Federal Court to seal these documents.
As for the question from the member for Barrie—Innisfil, on June 10 the Standing Committee on Access to Information, Privacy and Ethics had presented its second report to the House, which described the problems it encountered during its study, and the member for Leeds—Grenville—Thousand Islands and Rideau Lakes raised a question of privilege on the matter.
The House then adjourned for the summer on June 23, 2021, before a ruling on these questions was rendered. The 43rd Parliament was then dissolved on August 15, 2021.
When he again raised his question of privilege in the current session, the member for Louis-St-Laurent argued that the government’s application to the Federal Court on June 23, 2021, was unprecedented in Canadian history. While the court challenge ended with dissolution, the member argued that openly challenging the authority of the House before the courts, by attacking its fundamental rights, constituted contempt.
Citing the relevant authority, he pointed out that contempt committed in a previous Parliament can be punished in a new Parliament. He thus argued that dissolution did not eliminate the questions of privilege.
The member for Barrie—Innisfil also mentioned that the House can consider contempt committed during a previous Parliament, referring to the question of privilege previously raised by the member for Leeds—Grenville—Thousand Islands and Rideau Lakes. He explained that the committee report, which was not concurred in by the House, described several breaches of privilege. These included that the people summoned to appear had not appeared to give evidence, that the government had interfered by instructing them not to appear, and that the member for Waterloo, then a minister, had given evasive and inaccurate responses in her evidence.
The leader of the government in the House then intervened on the two questions of privilege by responding that all business from the previous Parliament ended with dissolution. He therefore argued that, in order to raise a question of privilege on these matters, a motion or a committee report would be needed in the new Parliament for the House to be seized of them. He later expressed the government’s willingness to work with the opposition parties to find an appropriate mechanism to examine the documents that contain confidential national security information, like what was done in 2010 in the case of documents relating to the Afghan detainees. The member for Louis-St-Laurent countered that he did not believe such an approach was necessary in this case, given the mechanisms that had already been proposed to protect sensitive information.
The member for Winnipeg North also intervened to talk on the question of privilege raised by the member for Barrie—Innisfil. He argued that the quote from the 20th edition of Erskine May, to the effect that contempt can be punished during a different Parliament, does not apply in the current context. Moreover, unlike the members of departmental staff who were summoned to appear before the committee, it is the ministers who are responsible and who are accountable to Parliament.
The Chair has no doubt that the House or its committees can order a witness to appear or order the production of documents, as was the case with the orders adopted in the last session. It is not up to the government to decide what other people should have been summoned or to dictate the conditions for the production of documents.
The order adopted must be respected. However, when the time comes to rule on the matters before us, the Chair must consider how dissolution affects the business of the House and its committees.
House of Commons Procedure and Practice, third edition, clearly stipulates, at page 397, the following:
With dissolution, all business of the House is terminated....The government’s obligation to provide answers to written questions, to respond to petitions or to produce papers requested by the House also ends with dissolution....Committees cease to exist until the House reconstitutes them following the election. All orders of reference expire....
Consequently, as a result of the dissolution of the 43rd Parliament, the orders of the House from March 25 and June 2 and 17, 2021, have expired. The government and the people summoned to appear are released from their obligations. Similarly, the Special Committee on Canada-China Relations and the Standing Committee on Access to Information, Privacy and Ethics have ended, as have their studies. Any report presented in connection with the study involved only the committee from the previous Parliament.
As members have mentioned in their interventions, House of Commons Procedure and Practice, third edition, states at page 81, as follows:
Instances of contempt in one Parliament may even be punished during another Parliament.
A very similar formulation can be found in a previous edition of Erskine May, the procedural authority for the United Kingdom. As indicated by the member for Winnipeg North, it is not found in the current edition. The circumstances in which such an issue may be raised are, however, more limited than this citation suggests.
In fact, we find very few precedents where questions of privilege from a previous Parliament were raised during a new Parliament. The member for Leeds—Grenville—Thousand Islands and Rideau Lakes listed some of them in an intervention on November 24, 2021.
Distinctions must be made between the matter at hand and the precedents cited. When we examine the latter, the House had not expressed itself beforehand, because the incident or problem that occurred during the previous Parliament was brought to the House's attention for the first time in light of new facts. Speaker Parent, in his ruling of October 9, 1997, found no grounds in the absence of a committee report. When the questions of privilege were raised during the second session of the 43rd Parliament, they took account of the orders then in effect.
Dissolution put an end to the business of the House and of the committees and, thus, to the various orders. Since we are in a new Parliament, the issues raised are no longer before the House. It is up to the House and its committees to decide whether it is desirable to adopt these orders once again in the new Parliament. Should that happen, it would be necessary to determine whether the government or the witnesses agree to comply before a question of privilege can be raised.
It is therefore not possible in the current circumstances to seize the House on these questions of privilege arising from the previous Parliament. Thus, the Chair cannot conclude that there is a prima facie question of privilege.
I thank the members for their attention.