Madame la Présidente, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C‑18, Loi sur les nouvelles en ligne. Ce projet de loi est revenu à la Chambre après avoir passé un certain temps au Sénat. Il a été envoyé au Sénat au début de l'année. Je crois que ce dernier en a commencé l'étude fin janvier ou début février. Il est revenu à la Chambre le 16 juin, le gouvernement l'a étudié puis une motion a été rédigée en lien avec les amendements du Sénat.
Pour nous rafraîchir la mémoire, je rappelle à la Chambre que le projet de loi C- 18 vise à soutenir les médias locaux et à créer un écosystème de l’information plus équitable, selon le ministre. Je reviendrai à ces fausses affirmations dans un instant. Le projet de loi obligerait les plateformes numériques, telles que Google et Facebook, à négocier des ententes avec les organes d’information afin de les payer dès qu'elles fournissent simplement un lien vers une source d’information et non l’intégralité du contenu. En vertu de ce projet de loi, ces négociations se dérouleraient entre les deux parties, et il n’y aurait aucune transparence quant à la nature des négociations ou aux conditions que les plateformes pourraient imposer à ces organes d’information. On peut donc se demander ce qu'il en résulterait pour l’indépendance journalistique. Qu'adviendrait-il du véritable journalisme et de la couverture de l’actualité au pays? J’y reviendrai dans un instant, mais je tiens à souligner qu’il s’agit de l’une des principales questions soulevées par ce projet de loi. C’est également un problème que le gouvernement avait la possibilité de résoudre.
Pour corriger le projet de loi, mon collègue conservateur et moi avons proposé des amendements à la Chambre des communes et au comité. Un sénateur conservateur a également proposé un amendement pour résoudre le problème. Le gouvernement a donc eu amplement l’occasion de le faire. Les témoins nous ont dit les uns après les autres que le projet de loi constituait une menace directe pour l’indépendance journalistique, et c’est donc sur cette base que nous devons entamer la discussion aujourd’hui. Nous savons que le projet de loi n'est pas acceptable, et ce, non seulement pour les journalistes et les organes d’information, mais aussi pour les Canadiens, car ils méritent d’avoir accès à des informations qui ne subissent pas l'influence d'un gouvernement ou d'une plateforme.
Nous devons commencer par examiner l’importance des médias. Les libéraux essaient de nous faire passer pour des adversaires des médias. Ils nous ont accusés d’être du côté des géants de la technologie. Le projet de loi n’est pas du tout pour les médias ou les journalistes indépendants, qui sont fiers de leur travail, jour après jour, et qui veulent continuer à faire du bon travail à l’avenir. Permettez-moi d’en parler un peu ici.
Les médias jouent divers rôles clés que nous soutenons dans la société, dont celui de chien de garde. Autrement dit, ils protègent l'intérêt public. Par exemple, rien que cette année, au cours des six ou huit derniers mois, les médias ont publié des reportages nous apprenant que le gouvernement avait fermé les yeux sur l'ingérence de la Chine dans les élections. Grâce à l'intervention d'un courageux lanceur d'alerte, nous savons qu'il y a eu de l'ingérence en 2019 et en 2021. Nous savons que le bureau du premier ministre était au courant et que le premier ministre a décidé de fermer les yeux et de ne rien faire du rapport du SCRS qu'on lui a mis sur son bureau ou peut-être dans les mains. D'après le témoignage de sa cheffe de cabinet devant le comité, nous savons qu'il lit tout et qu'on lui montre tout.
Nous voilà à la Chambre après les réunions du comité où nous avons posé des questions sur le problème de l'ingérence dans les élections. Si nous avons pu le faire, c'est grâce à l'intervention d'un courageux lanceur d'alerte. Cette personne travaille au SCRS, la principale agence de renseignement du Canada, et elle a révélé la vérité. Des documents ont été rédigés et transmis au premier ministre, qui a fermé les yeux et permis à Pékin de s'ingérer dans les élections parce qu'à long terme, ce serait à l'avantage des libéraux. Nous le savons parce qu'un courageux lanceur d'alerte a eu recours aux médias.
Ne nous méprenons donc pas: les médias ont un rôle important à jouer dans notre société. Les médias ont un rôle à jouer pour ce qui est de raconter des histoires, de sensibiliser les gens et de rendre des comptes. Les médias ont un rôle important à jouer pour célébrer les choses incroyables qui se passent dans notre pays et dans nos collectivités.
Les médias ont un important rôle à jouer pour renseigner les gens sur divers événements, par exemple, en ce moment, les nombreux feux de forêt qui sévissent partout au pays. Nous sommes reconnaissants du rôle clé que jouent les médias dans notre pays.
Pour que les médias puissent jouer leur plus grand rôle, il faut qu'ils demeurent indépendants, qu'ils puissent s'épanouir sans l'intervention du gouvernement, sans pression indue et sans qu'on leur dicte quoi faire. Or, le projet de loi C‑18 placerait le gouvernement au beau milieu de la salle de nouvelles.
Au moyen de ce projet de loi, le gouvernement détermine ce que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes — le CRTC — fera. Le CRTC prend ensuite des décisions, et ces décisions s'appliquent aux médias. Selon ce projet de loi, le CRTC peut obliger les entreprises de nouvelles à fournir des renseignements, même des renseignements confidentiels.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit des négociations entre les plateformes et les entreprises de nouvelles. Nous ne connaissons pas les modalités de ces négociations. Disons simplement qu'elles se résument à faire en sorte que les entreprises de nouvelles soient récompensées en fonction du nombre de personnes qui consultent leur contenu. Cela motive donc les entreprises de nouvelles à créer des pièges à clics plutôt qu'à produire des nouvelles. Il ne s'agit pas du type de nouvelles qui profite à la société canadienne.
Nous pouvons voir d'emblée que le projet de loi pose un énorme problème. Par conséquent, lorsque le ministre affirme que ce projet de loi vise à uniformiser les règles du jeu, à créer un milieu journalistique plus équitable, et à favoriser l'accès aux nouvelles, c'est tout simplement faux.
En définitive, s'il est vrai que nous avons besoin des médias, il nous faut des journalistes indépendants qui soient en mesure de raconter ce qui doit être dit, sans faire l'objet de pressions de la part du gouvernement ou des géants du Web. Nous avons besoin de journalistes qui soient vraiment libres d'aborder les choses d'un point de vue non partisan. J'aimerais qu'il y ait davantage de journalistes de ce type dans notre pays. Cela nous profiterait à tous.
Le ministre prétend que le paysage a changé et que le projet de loi est donc nécessaire. Je suis d'accord avec lui pour dire que le paysage a effectivement changé. Je ne suis toutefois pas d'accord avec lui pour dire que le projet de loi est la solution.
Nous savons que le paysage a changé. Nous savons que de moins en moins de gens achètent des journaux et regardent les nouvelles à la télévision. Nous savons que de plus en plus de gens tournent leur attention vers Internet. Ils préfèrent visiter un site Web, cliquer sur une publication Facebook ou accéder à un article par l'intermédiaire de Twitter.
Nous savons que les gens préfèrent regarder les nouvelles en continu. Beaucoup de gens lisent les nouvelles, mais ils ne vont pas nécessairement les lire sur papier; ils sont plus susceptibles de les lire sur un iPad ou un téléphone.
Oui, le paysage change. En raison de ce changement et de l'évolution des habitudes des consommateurs, il y a de plus en plus d'achalandage en ligne. Cela veut aussi dire que de plus en plus de publicités sont diffusées en ligne, ce qui signifie que les entités novatrices qui ont évolué dans ce milieu sont celles qui récoltent l'argent des publicités.
Bien sûr, quand on fait de la publicité, on va là où se trouvent les gens, et les gens sont en ligne. Ce qui s'est produit, c'est que les entreprises médiatiques traditionnelles, qu'il s'agisse de journaux ou de radiodiffuseurs comme la Société Radio‑Canada, Rogers et Bell Média, ont commencé à voir un changement dans leurs revenus publicitaires et, bien sûr, ce n'était pas en leur faveur.
Ces médias ont donc fait part de leurs nombreuses préoccupations au ministre. Le ministre a présenté le projet de loi C‑18 en réponse aux craintes des médias traditionnels. Cependant, il ne tient pas compte des moyens novateurs ou créatifs qui permettent aux nouveaux médias de prospérer dans ce nouveau contexte technologique.
J'aimerais citer quelques observations.
Dans son mémoire au Comité permanent du patrimoine canadien, un organisme, les Éditeurs de nouvelles en ligne indépendants du Canada, a dit ceci:
Toute intervention du gouvernement à l'endroit de la presse, même si elle est bien intentionnée, doit être mûrement réfléchie, puisqu'elle risque d'entraîner des conséquences indésirables, d'étouffer l'innovation, de privilégier les uns au détriment des autres, et de compromettre l'indépendance journalistique.
C'est une mise en garde importante au sujet de ce projet de loi et de ses répercussions.
De plus, Dwayne Winseck, professeur à l'école de journalisme et de communications de l'Université Carleton et directeur de l'organisme Canadian Media Concentration Research Project, a dit ceci:
Les difficultés financières des médias ne datent pas d'hier, et cette récente proposition serait aussi efficace qu'un pansement sur une blessure par balle [...] Je pense simplement que c'est un véritable fouillis [...] Ce projet de loi crée des attentes et est présenté comme un plan de sauvetage, et j'estime que c'est plutôt malhonnête.
Autrement dit, même si le gouvernement le souhaite, ce projet de loi n'est pas la solution aux nombreux problèmes qui affligent les médias, notamment en ce qui a trait à la diminution des revenus.
Le monde innove. Le monde crée. Le monde progresse. Au lieu de pénaliser les nouveaux joueurs qui sont novateurs et qui s'aventurent dans l'inconnu et de subventionner les médias traditionnels, j'estime qu'il incombe au gouvernement de prendre une distance pour que le monde évolue, que la demande des consommateurs évolue et que l'indépendance journalistique se maintienne d'elle-même.
Jen Gerson a également témoigné devant le comité au sujet de ce projet de loi. Cette journaliste indépendante est cofondatrice de The Line. Voici ce qu'elle a dit au sujet du projet de loi:
[...] ce projet de loi [...] est fondé sur un mensonge. Le projet de loi adhère à une très vieille plainte formulée par des éditeurs de journaux, qui affirment que les sites Web d'information par agrégation et les réseaux des médias sociaux font un bénéfice indu en « publiant » notre contenu, mais nous savons que ce n'est pas vrai. À dire vrai, la proposition de valeur est carrément à l'opposé. C’est nous, les éditeurs, qui en profitons quand un utilisateur publie un lien vers notre contenu sur Facebook, Twitter et les autres plateformes du genre. Cette distribution gratuite augmente le trafic sur nos sites Web, et nous pouvons ensuite essayer de monétiser cela grâce aux abonnements et à la publicité.
Cette déclaration est très claire.
On peut accéder à des entités en ligne par l'entremise de plateformes qui affichent des liens. Autrement dit, ces plateformes diffusent de l'information ou stimulent gratuitement le trafic. Elles font la publicité de ces nouvelles sources d'information.
Cette personne, Jen Gerson, nous donne l'heure juste. Elle dit que la publication des liens vers le contenu des médias est en fait un avantage. C'est ce qui pousse les gens à visiter leurs sites, ce qui leur donne une occasion de faire de l'argent. Le projet de loi repose sur de mauvaises bases. Il se fonde sur l'idée que ces plateformes ne devraient pas publier de liens vers des nouvelles, qu'elles devraient être punies et payer une sanction pécuniaire lorsqu'elles le font. C'est complètement insensé.
L'information circule en ligne grâce à la publication des liens. Si nous voulons que les nouvelles soient lues, si nous voulons que la source de l'information soit consultée, nous devons permettre la publication des liens. Ces liens font évidemment augmenter le nombre de visites sur les sites.
Évidemment, plus il y a de visites, plus il y a de gens qui voient le contenu et, plus il y a de gens qui voient le contenu, plus il y aura d'annonceurs qui souhaitent publier leurs annonces à la source du contenu. Ce qu'elle dit concrètement, c'est que le gouvernement a tout faux dans ce projet de loi.
Regardons les petits détails du projet de loi. De nombreuses inquiétudes sérieuses ont été soulevées au comité, autant au Sénat qu'à la Chambre, quant à savoir qui bénéficiera de cette mesure. Les fonctionnaires ont dit qu'environ 215 millions de dollars seront générés pour les différents médias d'information au Canada. Le directeur parlementaire du budget, qui est indépendant, a dit que le projet de loi générerait environ 350 millions de dollars. Où ira tout cet argent? Le directeur parlementaire du budget a dit qu'on lui avait indiqué que 75 % de cette somme iraient à CBC/Radio-Canada, à Rogers et à Bell, ce qui laisse moins de 25 % pour les journaux.
Même si, aux dires du ministre, ce projet de loi a pour seul objectif de protéger les journaux locaux, ce n'est pas vrai. Ce projet de loi n'aidera pas les journaux locaux comme l'a promis le ministre. Il n'aidera pas davantage les médias ethniques et les médias numériques. Ce projet de loi est tourné vers le passé et non vers l'avenir, et c'est ce qui le rend aussi problématique. Tandis que CBC/Radio-Canada, Rogers et Bell seraient prêtes à accepter 75 % des revenus, les petits journaux de Lethbridge, de Picture Butte, de Coaldale ou de Coalhurst, dans ma circonscription, ne toucheront pas un cent grâce à cette mesure. Le ministre persiste à décrire sa mesure législative de manière incroyablement erronée, car à l'entendre, elle aura des retombées positives pour tous les journaux, même les plus petits, alors qu'en réalité, elle a été conçue en pensant uniquement aux grands diffuseurs.
Le projet de loi donne aussi énormément de pouvoir au CRTC. C'est cet organisme qui devra déterminer si les médias d'information sont bien des médias d'information. Quels critères seront établis? Nous le savons un peu. Pas complètement, mais un peu. Nous savons que le média devra avoir un permis du CRTC, ce que je trouve un peu curieux. Ce n'est pas parce qu'une entité a un permis qu'elle produit des nouvelles. Ce qui nous amène à nous demander où ira l'argent. Servira-t-il vraiment aux médias d'information locaux, aux médias ethniques, aux médias numériques? Servira-t-il à assurer l'avenir de l'information au Canada? Nous savons déjà que la réponse est « non ».
En plus de déterminer si un média d'information est admissible, le CRTC déterminera aussi certains facteurs de négociation. Il y a une certaine indépendance. En fait, le CRTC pourra obliger ces entreprises à divulguer de l'information, notamment de nature confidentielle. Voici ce que quelques personnes ont déclaré: « Le projet de loi C‑18 ne fera que perpétuer un marché déjà faussé par les subventions et il punira l'esprit d'indépendance [...] Si le Parlement appuie la liberté de presse, il n'approuvera pas le projet de loi C‑18. » Qui a fait cette déclaration? L'ancien commissaire du CRTC, Peter Menzies.
Peter Menzies a ajouté ce qui suit:
[L]e projet de loi C‑18 est tout aussi susceptible de tuer le journalisme au Canada que de le sauver. La perspective même de son adoption pervertit la couverture médiatique et sape la confiance des citoyens, dont l’industrie dépend plus que tout. Le projet de loi C‑18 ancrera de façon permanente la dépendance de l’industrie non pas à la loyauté des citoyens, des lecteurs et des téléspectateurs, mais aux bonnes grâces des politiciens et à la prospérité des entreprises de technologie étrangères qui jouissent d’un quasi-monopole.
On ne saurait trouver une déclaration plus accablante.
Si l’indépendance de notre presse, l’avenir de notre pays et l’accès à de vraies nouvelles nous tiennent vraiment à cœur, alors nous devrions tous voter unanimement contre ce projet de loi.
Voici une autre citation, qui provient cette fois de Michael Geist, professeur à l’Université d’Ottawa et spécialiste du domaine:
Non seulement le projet de loi C‑18 augmente le pouvoir des entreprises de l’Internet, mais il accorde aussi de nouveaux pouvoirs exceptionnels au CRTC. Il lui revient ainsi de décider quelles entités répondent à la définition des [entreprises de nouvelles], quelles ententes créent une exemption, quels organes d’information canadiens sont considérés comme des entreprises de nouvelles admissibles, et si les décisions arbitrales devraient être approuvées. De plus, le CRTC créera aussi un code de conduite, l’appliquera et pourra imposer des sanctions en cas de manquement. Loin d’adopter une approche non interventionniste, le CRTC deviendra instantanément le plus puissant organisme de réglementation du marché du secteur des nouvelles au Canada.
Encore une fois, ce projet de loi ne protège pas l'indépendance de la presse, et lorsqu'il ne protège pas l'indépendance de la presse, il laisse tomber l'ensemble des Canadiens. Les Canadiens doivent avoir la capacité d'accéder à des nouvelles qui ne sont pas le résultat de pressions exercées par les entreprises de technologie ou le gouvernement. Ainsi, lorsque le gouvernement pointe un doigt accusateur et affirme que les conservateurs sont à la solde des géants de la technologie, en réalité, c'est le gouvernement qui l'est. En effet, il a carrément créé un projet de loi qui profite directement à ces entreprises, puisque celles-ci peuvent donner des directives aux nouveaux médias sur ce qu'il faut produire et ne pas produire. C'est le gouvernement qui s'est approprié des pouvoirs pour les transférer aux géants de la technologie. Ne nous y trompons pas.
Parlons un peu de ce projet de loi afin de déterminer s'il appuie vraiment les journaux locaux.
Comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas un sou à tirer de cette mesure législative dans ma circonscription, mais ma circonscription n'est pas la seule. Nous savons que de nombreux journaux locaux d'un bout à l'autre du pays en arrachent en ce moment et que bon nombre d'entre eux n'ont qu'un seul journaliste. Pour cette raison, ils n'obtiendront rien de ce projet de loi. Ils ne pourront pas devenir des entreprises de nouvelles admissibles aux yeux du CRTC. Ils devront donc mettre la clé sous la porte. Ce projet de loi ne contient rien pour eux. En fait, il va plutôt provoquer leur perte, car il va donner un coup de pouce aux médias traditionnels et aux grands radiodiffuseurs tout en enfonçant les journaux locaux qui se trouvent dans des circonscriptions comme la mienne.
Le gouvernement devrait avoir honte de tenter d'induire les Canadiens en erreur.
Il convient de noter que ce projet de loi n'aidera pas uniquement les grands radiodiffuseurs ou journaux canadiens, mais aussi les entreprises de nouvelles étrangères telles que le New York Times. Il convient également de souligner qu'il s'étendra à des centaines de diffuseurs détenant un permis du CRTC, qu'ils produisent des nouvelles ou non.
La question est la suivante: ce projet de loi va-t-il donner les résultats annoncés par le gouvernement? La réponse est non.
Ce projet de loi ne ressuscitera pas les médias. Ce projet de loi ne sauvera pas les médias locaux. Ce projet de loi n'est pas la solution. En fait, j'irais même jusqu'à dire que ce projet de loi est la source du problème. Il l'alimente, le personnifie et l'incarne. Ce projet de loi, c'est le synonyme du problème.
J'aimerais lire une autre citation. Elle provient d'Andrew Coyne, un chroniqueur du Globe and Mail. Il a fait preuve d'un grand courage pour exprimer son opinion, mais c'est un point de vue très important. Je le cite:
Il est complètement faux de croire que les problèmes de l'industrie de la presse sont causés par le « vol » de son contenu par des plateformes de recherche et des médias sociaux comme Google ou Facebook. Ces plateformes ne prennent pas le contenu des médias. Elles publient des liens vers ce contenu au moyen d'un grand titre ou, parfois, d'un bref extrait du texte, rien de plus. Quand les utilisateurs cliquent sur les liens, ils sont dirigés vers nos sites Web et ils lisent notre contenu. La majeure partie du trafic de nos sites Web provient, en réalité, des liens de ces médias sociaux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous nous donnons autant de mal à encourager les lecteurs à afficher les liens — ce que nous faisons nous-mêmes, des centaines de fois par jour.
Il ne faut pas se leurrer: quand les plateformes publient des liens vers des nouvelles, c'est très avantageux pour les National Post et les Globe and Mail de ce monde. C'est ce que veut dire Andrew Coyne: la publication de ces liens est très avantageuse.
Voici donc le problème qui se pose. En raison du projet de loi à l'étude, Facebook a déjà déclaré que ses plateformes ne publieraient plus de liens vers des nouvelles, et Google dit envisager d'en faire autant. C'est donc dire que les Canadiens n'auraient plus accès à ces liens sur Meta, Facebook ou Instagram, ni sur Google. Si cela se produit, le projet de loi détruira des journaux, puisque les Canadiens n'auront plus accès à des liens vers leurs articles lorsqu'ils font une recherche dans Google ou qu'ils utilisent Facebook ou Instagram.
Cela pose problème puisque, comme Andrew Coyne l'explique très clairement dans l'extrait que j'ai lu plus tôt, le modèle d'affaires des journaux repose sur l'accès à ces liens. En fait, les médias d'information publient eux-mêmes ces liens et, comme le souligne Andrew Coyne, ils ne les publient pas seulement une ou deux fois, mais bien des centaines de fois pas jour. Bref, en forçant Facebook et Google à se conformer au projet de loi à l'étude, ce qui amène ces entreprises à décider de ne plus publier de liens vers des nouvelles, le gouvernement détruira des journaux.
Cependant, le gouvernement s'en moque. Il préférerait que les gens ne le sachent pas, car, au bout du compte, le projet de loi, même s'il est présenté comme une mesure avantageuse pour les journaux, en réalité, il a été rédigé pour avantager CBC/Radio-Canada, Rogers et Bell Média. On le sait très bien. Le gouvernement a fondé le projet de loi sur un mensonge, mais qui paraît bien. On a l'impression que le gouvernement appuie les médias locaux, qu'il appuie les médias ethniques. Il donne l'impression de favoriser le progrès, et les libéraux aiment le mot « progrès ».
En fait, le projet de loi est parmi les mesures législatives les plus régressives que j'aie jamais vues. C'est un coup de poignard dans le cœur des journaux. Éventuellement, d'autres médias finiront aussi par disparaître. Qu'on ne s'y trompe pas.
Disons la vérité au sujet de ce projet de loi. Parlons du fait que CBC/Radio-Canada profiterait le plus de ce projet de loi. Parlons du fait que CBC/Radio-Canada est déjà financée à hauteur d’environ 1,2 milliard de dollars par année à même l’argent des contribuables. Parlons du fait que le projet de loi permettrait à CBC/Radio-Canada d’entamer des négociations avec les plateformes et de gagner ainsi plus d’argent. Parlons du fait que cette mesure législative profiterait énormément à CBC/Radio-Canada, car la société obtiendrait de l’argent du gouvernement, de ses négociations avec Google et Facebook et de ses recettes publicitaires.
Qui ne bénéficie pas de toutes ces sources de revenus? Ce sont les journaux locaux, ainsi que les journaux allophones et les entreprises de nouvelles en démarrage qui sont innovantes et créatives.
Qu'on ne s'y trompe pas: le projet de loi ne vise pas à appuyer l’avenir de l’information. Il ne vise pas à appuyer les journaux. Le projet de loi vise à appuyer les médias traditionnels, principalement CBC/Radio-Canada et, deuxièmement, Bell Média et Rogers. Voilà l’objet du projet de loi. Si le gouvernement veut présenter le projet de loi sous son vrai jour, j'en débattrai volontiers, mais le projet de loi dont nous sommes saisis a été présenté sous un jour mensonger et incroyablement trompeur.
Il ne faudrait pas non plus oublier que, selon toute vraisemblance, ce projet de loi violera les accords que nous avons conclus avec les États-Unis, une possibilité qui a d'ailleurs déjà été évoquée.
La représentante commerciale des États-Unis, Mme Katherine Tai, a prévenu que le projet de loi C‑18 aurait de graves répercussions sur les échanges commerciaux avec le Canada. Selon elle, si ce texte est adopté, les États-Unis risquent fort de répliquer, et les contrecoups pourraient atteindre 350 millions de dollars. Bref, le gouvernement choisit de plaire aux grands médias aux dépens des PME canadiennes, alors que ce sont elles qui subiront l'ire des États-Unis.
Les libéraux haussent les épaules parce qu'ils s'en fichent. Ils vont faire adopter une mauvaise mesure législative qui va faire mourir les journaux, les médias ethniques et les jeunes pousses, qui n'auront pas un sou. Comme si ce n'était pas suffisant, ils vont pénaliser les PME, à qui l'on imposera toutes sortes d'obstacles commerciaux, quand ce ne sera pas carrément des sanctions.
En fin de compte, tout le monde est perdant avec ce projet de loi. Il n'y a rien à gagner. Si le gouvernement voulait donner plus d'argent à CBC/Radio-Canada, il n'avait qu'à faire un chèque. C'est ce qu'il fait tout le temps. Toutefois, le pire, c'est que les Canadiens en sortent perdants. Ils en sortent perdants parce qu'ils veulent avoir accès à une diversité de médias, et, malheureusement, cette diversité va être restreinte. Les Canadiens sont perdants parce qu'ils veulent avoir accès à des médias indépendants. Ils veulent pouvoir faire confiance aux journalistes qui relatent des histoires qui les intéressent vivement, mais ce projet de loi ne protège pas l'indépendance journalistique.
De plus, les Canadiens sont perdants parce que, à l'heure actuelle, ils ont la possibilité d'aller en ligne et de trouver des liens vers les nouvelles. Or ce projet de loi entraînera l'élimination d'une grande partie de ces liens. En définitive, ce projet de loi est une attaque directe contre les Canadiens et leur capacité — et je dirais même leur droit — d'accéder aux informations dont ils dépendent en temps opportun dans ce pays, et il n'y a personne d'autre que le gouvernement à blâmer pour ce changement de paradigme aux conséquences néfastes.
Le gouvernement a eu bien des occasions d'agir. Que ce soit en participant au débat dans cette enceinte, en écoutant les témoignages devant le comité ou en apportant des amendements, qu'ils soient proposés par mes collègues, par moi ou par le Sénat, le gouvernement a eu bien des occasions de corriger le projet de loi. Or, chaque fois, il a choisi de ne pas le faire. Il devrait en avoir honte, et c'est dommage pour les Canadiens parce que ce sont eux qui sont malheureusement punis par ce projet de loi, en fin de compte.
Cela dit, étant donné que le projet de loi nuit énormément aux Canadiens et à leur capacité d'accéder à des nouvelles provenant d'une multitude de sources indépendantes d'une façon commode et opportune, je propose:
Que la motion soit modifiée par substitution de ce qui suit:
Que l’ordre relatif à l’examen des amendements apportés par le Sénat au projet de loi C‑18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, soit révoqué et le projet de loi retiré.