Parfait.
Je vous remercie de l'invitation.
Comme toujours, je vais intervenir en anglais, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions dans les deux langues officielles.
Je vous ai fourni un mémoire détaillé, mais je vais vous présenter quelques renseignements de base.
Les Forces canadiennes ont huit missions. Ses cinq missions liées à la défense continentale et ayant une portée internationale sont dotées d'une structure de forces. Ses trois autres missions ne sont pas assorties d'une structure de forces ou de capacités de base. La seule mission à portée nationale dotée d'une structure de forces notable est celle qui concerne la recherche et le sauvetage. Les deux missions sans structure de forces sont l'assistance aux autorités civiles aux fins de l'application de la loi, ainsi que l'assistance aux autorités civiles et aux organismes non gouvernementaux en cas de catastrophe ou d'urgence majeure survenant au pays ou à l'étranger.
Je pense que vous pouvez conclure de ces faits que les Forces armées canadiennes ont, disons, une attitude très ambiguë à l'égard de leurs opérations au pays. Très peu de forces y sont affectées spécifiquement, à l'exception de l'équipe d'intervention en cas de catastrophe. Il y a aussi les Forces de réserve, qui comptent 10 compagnies d'intervention nationale et 4 groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique. Or, les Forces de réserve sont aux prises avec un taux de roulement très élevé. Ainsi, l'attitude générale, c'est que les missions de secours en cas de catastrophe ou d'urgence peuvent être accomplies par des troupes ayant reçu une formation en guerre conventionnelle.
Vous avez beaucoup entendu dire que les Forces armées canadiennes étaient surchargées ou que leurs ressources étaient utilisées au maximum par les opérations au pays. J'avancerais que les données que je fournis depuis environ 30 ans montrent que la majorité des opérations sont de courte durée et qu'elles emploient des effectifs limités; elles font surtout appel à la capacité d'appoint des forces générales et à la capacité de transport de l'Aviation royale du Canada. Durant la pandémie, certaines ressources ont tourné à plein régime, comme les services de santé, mais somme toute, je dirais que les Forces armées canadiennes se débrouillent avec les capacités dont elles disposent.
La question est de savoir si cette situation nuit à leur état de préparation au combat. Ne serait‑il pas préférable de mettre sur pied un organisme civil? Si les FAC conservent la mission, elles devraient créer une structure de forces spéciales.
D'un point de vue général, la question ne concerne pas uniquement les interventions en cas de catastrophe, mais aussi la défense civile. Comme nous vivons dans un monde dangereux, nous devons disposer de capacités de dissuasion et de résilience pouvant aussi signifier à nos adversaires qu'il ne vaut pas la peine d'attaquer le Canada puisque nous avons des capacités de défense civile. Plusieurs pays européens ont renforcé considérablement leurs capacités.
Comment les Forces armées canadiennes en sont-elles venues à être investies d'une mission de défense civile au pays?
À la fin des années 1940, la question de savoir si les Forces armées canadiennes devraient avoir le droit de mener des missions à l'échelle nationale a fait l'objet d'un grand débat. Au début des années 1950, les Forces armées canadiennes ont décidé d'assumer ces missions afin de pouvoir se doter d'une plus grande structure de forces en temps de paix qu'elles ne le pourraient autrement.
Cette approche permet d'importantes économies d'échelle. Par exemple, il faut beaucoup de temps et d'argent pour former un pilote. Ainsi, en ajoutant la capacité de recherche et de sauvetage au mandat ordinaire de l'Aviation royale du Canada, l'organisation réalise des économies importantes, tant sur le plan de l'équipement — c'est‑à‑dire les aéronefs à voilure fixe et à voilure tournante — que de la formation des pilotes, de leurs heures de vol et tout le reste. Les économies d'échelle sont considérables.
À mon avis, il faut vraiment affecter une structure de forces spécifiquement à cette mission. J'ai déjà proposé que ces forces soient formées de quelque 2 000 personnes provenant principalement de l'Aviation royale du Canada puisque c'est elle qui dispose de la plus grande capacité de transport. Des forces de réserve d'environ 1 000 personnes pouvant intervenir en cas de catastrophe pourraient y être ajoutées. Le reste du temps, elles pourraient appuyer le développement, en particulier dans les collectivités autochtones du Grand Nord. D'après moi, il y aurait lieu d'investir l'organisation d'une mission nationale permanente.
J'ai deux observations à faire en guise de conclusion.
D'abord, quant à moi, l'une des leçons que nous pouvons tirer de la réponse à la pandémie, c'est que les forces armées doivent réfléchir à l'envergure du rôle qu'elles peuvent confier à la Première réserve, sans que le gouvernement règle d'abord certains problèmes relatifs à cette réserve. Comme les Forces de réserve ne disposent pas d'une compagnie permanente ou d'une structure professionnelle, les forces armées doivent se demander quel devrait être leur rôle principal.
Par ailleurs, les forces armées doivent trouver une façon de résoudre les problèmes majeurs relatifs au renseignement et de répondre au besoin de longue date de mettre en place une politique nationale en matière de renseignement. D'après moi, les Forces armées canadiennes devraient considérer la pandémie comme un exercice de simulation conçu pour les préparer pour le cataclysme à venir, la situation qui fera subir aux forces armées une pression beaucoup plus grande que ce nous avons vu jusqu'à maintenant. Ce cataclysme pourrait prendre la forme d'une urgence nationale de plus vaste envergure ou d'une urgence régionale et nationale combinée à une urgence continentale et internationale.
Ma préoccupation — et je vais conclure là‑dessus — concerne l'aléa moral que nous connaissons actuellement. Tous les Canadiens doivent prendre conscience du rôle qu'ils ont à jouer dans la défense et la résilience du Canada. Nous ne pouvons pas simplement confier ce mandat à une organisation, puis faire semblant que cela n'a plus rien à voir avec nous. C'est l'attitude que nous prenons à l'égard des Forces armées canadiennes — qu'il s'agit d'un emploi que les gens choisissent et pour lequel ils reçoivent une formation —, au lieu de reconnaître que la résilience et les interventions nationales sont des enjeux qui requièrent la participation de l'ensemble de la société.
Mon autre préoccupation concerne un problème de longue date: il faut veiller à ce que les provinces investissent adéquatement dans les infrastructures essentielles. Les provinces se disent qu'elles peuvent compter sur les Forces armées canadiennes, car en vertu de la prérogative de la Couronne, c'est l'exécutif en poste qui prend les décisions relatives au déploiement des Forces armées canadiennes. Il y a très peu de contraintes. Le Canada est peut-être le pays démocratique qui a le moins de contraintes à respecter en ce qui concerne le déploiement des forces armées. Nous devons signifier clairement aux provinces que la possibilité d'avoir recours aux forces armées n'est pas un prétexte pour ne pas investir adéquatement dans les infrastructures essentielles.
Le précédent a été créé au début du 20e siècle, quand les Forces armées canadiennes et la milice ont été appelées à remplir des fonctions d'application de la loi. En un mot, la milice s'est défaite de ce mandat en mettant en place un mécanisme de recouvrement des coûts qui a fait en sorte qu'il était moins coûteux pour les provinces d'avoir leurs propres services de police. Nous devons créer un modèle de recouvrement systématique des coûts en cas de déploiement.