Madame la Présidente, la conversation concernant le projet de loi C‑216 est difficile en raison du contexte dans lequel nous en débattons. En réfléchissant à mon intervention d'aujourd'hui et à ce que j'allais dire au sujet du projet de loi, j'ai d'abord pensé au nombre incroyable de familles qui ont été profondément touchées par cet enjeu et qui ont perdu un fils, un frère, un père, une sœur ou un cousin. La crise des opioïdes a fait des ravages.
Dans ma circonscription, Cowichan—Malahat—Langford, de nombreuses collectivités ont été gravement touchées. Les statistiques sont frappantes. Hier, nous avons perdu 20 personnes à cause de cela. Aujourd'hui, nous allons en perdre 20 autres, et demain 20 autres, et ainsi de suite.
La Colombie-Britannique, ma province natale, a été l'épicentre de ce phénomène. Rien qu'au cours des trois premiers mois de cette année, 548 personnes sont mortes. Tel est le résultat de la vente de drogues dans les rues de nombreuses collectivités de ce pays. Trop de familles souffrent de cette situation, et cela dure depuis des années. Je suis député depuis 2015. C'est en 2016 que la Colombie-Britannique a déclaré une urgence sanitaire provinciale. Il semble que chaque année, depuis que je suis à la Chambre, nous avons la même conversation où nous déplorons publiquement le nombre de décès. Nous n'avons toutefois toujours pas réussi à mettre en place une politique législative pour remédier au problème.
Nous sommes maintenant en 2022, et nous en parlons encore. Près de 25 000 Canadiens sont décédés ces six dernières années. Combien de décès supplémentaires faudra-t-il avant qu’on finisse par avoir honte du peu de progrès réalisé? Nous sommes une assemblée législative, au Parlement du Canada. Nous pouvons adopter une politique permettant de sauver des vies. Ce sont les Communes qui ont le pouvoir de modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et de renforcer le Code criminel. C'est le gouvernement fédéral qui, grâce à ses pouvoirs, peut aider à coordonner une stratégie permettant de gérer efficacement cette crise, mais nous continuons d'en parler. J'admets que certaines mesures ont effectivement été prises, mais les chiffres indiquent qu'elles ne sont vraiment pas suffisantes.
Le problème, c'est que le fentanyl, le carfentanil et les opioïdes synthétiques ont complètement changé la donne sur le terrain. En ce moment, lorsque les gens achètent de la drogue dans la rue, ils jouent ni plus ni moins à la roulette russe avec leur vie. Dans ma circonscription, je n'ai pas besoin de marcher bien longtemps pour trouver des drogues illégales. En fait, je pourrais probablement en obtenir plus rapidement que si j'allais à la pharmacie pour un médicament sur ordonnance. C'est à ce point facile. Si on ajoute à cela les divers traumatismes personnels que les gens ont vécus, qu'ils soient de nature physique, émotionnelle ou sexuelle, les motifs pour consommer de la drogue sont innombrables.
La réalité est que le problème est toujours là, et chaque jour, des collectivités comme la mienne voient les ambulanciers répondre aux appels d’urgence liés à cette crise. Les ambulanciers arrivent avec les trousses de naloxone et ils essaient en vain de réanimer une autre victime. Et si, par une chance inouïe, ils y parviennent, elle risque de souffrir pour le reste de ses jours de séquelles au cerveau et de devenir un fardeau pour notre système de santé de manière permanente. Voilà où nous en sommes rendus, et nous devons garder ces personnes vulnérables dans notre cœur pendant nos débats sur cette crise.
Plus tôt ce mois-ci, j’ai lu, dans un journal de la Colombie-Britannique, un article à propos de tests toxicologiques effectués sur des échantillons de drogue. Selon les résultats obtenus, 94 % des échantillons prélevés en mars contenaient du fentanyl ou l’une de ses substances analogues. Ce n’est même plus un jeu de roulette russe, car, à 94 %, c’est maintenant presque une garantie que la drogue dans la rue contient du fentanyl. Les gens savent que s’ils achètent de la drogue dans la rue, ils risquent fort de consommer une dose qui les tuera.
Au sein de mon caucus, je suis le porte-parole en matière de sécurité publique, et un de mes collègues a fait référence à une étude sur les armes à feu et la violence des gangs que nous avons faite au comité. J’aimerais faire écho à ses observations, car un grand nombre d’agents de la police qui sont venus témoigner devant le comité ont expliqué à quel point les problèmes de la violence armée et des drogues illégales sont interreliés en raison des profits faramineux que les réseaux de groupes criminalisés engrangent avec le fentanyl et le carfentanil.
La valeur marchande dans la rue de ces drogues, qui sont mélangées à d’autres substances, a créé un marché très lucratif. Quand des sommes d’argent aussi élevées sont en jeu dans la rue, cela amène toujours des conflits. Les policiers d’un bout à l’autre du pays nous ont dit que chaque fois qu’ils sont appelés à faire une saisie de drogue, ils savent qu’il y aura presque toujours des quantités massives d’armes sur les lieux. Les deux problématiques ne peuvent pas être considérées séparément.
J'ai posé une question à ce sujet au chef Evan Bray, de l'Association canadienne des chefs de police. Voici ce qu'il a dit au nom de son association:
La position à l'égard de la décriminalisation équivaut simplement à comprendre que ce n'est pas en passant les menottes à quelqu'un qui a un problème de toxicomanie que nous réglerons les problèmes. Ces personnes seront temporairement retirées du milieu, sans plus. À moins qu'elles puissent obtenir l'aide dont elles ont besoin, ces personnes récidiveront et retourneront dans ce milieu.
Voilà, en résumé, l'échec de l'approche pénale.
À présent que nous avons placé les choses dans leur contexte, parlons maintenant du projet de loi C‑216, qui a été présenté par mon ami, voisin et collègue le député de Courtenay—Alberni. Je tiens aussi à souligner que d'autres députés de notre caucus, comme le député de Vancouver Kingsway, ont aussi tenté de faire adopter des projets de loi semblables au cours d'autres législatures.
Je tiens aussi à féliciter le chef du NPD et député de Burnaby-Sud, qui a proposé cette politique audacieuse pendant la course à la direction du parti en 2017. Cinq ans ont passé depuis, et nous avons maintenant la chance d'en discuter sérieusement. En 2017, il a pris un risque lorsqu'il a adopté cette position. Je souligne donc son courage, qui a rendu possible la conversation que nous avons aujourd'hui.
Le projet de loi C‑216 accomplirait principalement trois choses. Il éliminerait l'infraction concernant la possession pour usage personnel prévue par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, un changement qui m'apparaît essentiel pour mettre fin à la stigmatisation liée à la possession de substances. Dans la deuxième partie, le projet de loi radierait certaines condamnations liées à la drogue. La troisième partie, la plus importante, porte sur la mise en place d'une stratégie nationale sur l'usage de substances.
Selon certaines conversations que j'entends à la Chambre, il faudrait se concentrer sur les traitements. Je crois, en effet, que les traitements font partie du continuum de soins. Chaque fois qu'il en est question, je réponds toutefois qu'il est impossible de traiter une personne morte.
Il faut donc avoir recours à une variété de mesures. Il n'existe pas de solution miracle, mais bien un continuum de soins. Comme me l'ont dit des experts qui travaillent sur le terrain dans ma circonscription, dans les faits, certaines personnes ne sont pas encore prêtes à suivre des traitements. Tenter de les placer de force dans un programme de traitement mènerait à un échec total, puisqu'elles ne sont pas encore rendues à cette étape.
Plusieurs interventions sont nécessaires, mais l’une des plus importantes est la décriminalisation, car trop de gens, par peur d'être judiciarisés, consomment de la drogue seuls et décèdent seuls. Ils consomment sans qu’aucun membre de leur famille ni aucun ami ne le sache, car ils ont honte de l’admettre. Voilà les conséquences de la stigmatisation. Elle empêche les gens d’obtenir l’aide dont ils ont besoin.
Ce projet de loi fait suite à une recommandation très claire du groupe d’experts de Santé Canada, mais je veux conclure sur ceci. J’implore les députés des autres partis qui se demandent encore s’ils voteront pour ou contre cette mesure de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Je les prie de reconnaître que c’est une bonne proposition et qu’elle vaut la peine d’être étudiée davantage. Je leur demande, le 1er juin, de voter pour renvoyer ce projet de loi au comité afin que nous puissions avoir une discussion saine à ce sujet, donner aux toxicomanes la possibilité d’obtenir l’aide dont ils ont besoin et sauver des vies.