Monsieur le Président, j'ai de bons souvenirs lorsque je parle de ce premier ministre. J'ai été élu en même temps que lui dans son équipe, le 4 septembre 1984. Il était un grand Canadien, un grand Québécois et un grand premier ministre.
Au nom du Bloc québécois d'abord, je tiens à offrir mes plus sincères condoléances à son épouse, Mila, à sa fille, Caroline, à ses fils, Ben, Mark et Nicolas, ainsi qu'à ses petits-enfants.
Je me souviens de Brian Mulroney comme étant d'abord un père de famille. Il adorait Mila, son épouse et compagne de toujours. Il était fier de ses enfants et chérissait son rôle de grand-père. Il n'était toujours qu'à un coup de fil de ses proches et se réjouissait de passer de bons moments avec toute la famille.
Issu d'une famille ouvrière, M. Mulroney a grandi sur la Côte‑Nord du Québec, dans la ville papetière de Baie‑Comeau. Doté d'une solide éthique de travail, M. Mulroney s'est hissé aux plus hauts échelons des milieux du droit et des affaires de Montréal dans les années 1970, devenant même président et directeur général d'une grande entreprise avant d'atteindre la quarantaine. Dès son jeune âge cependant, il s'intéresse à la vie politique du Québec et du Canada. Animé par un désir profond d'édifier un Québec et un Canada modernes, il se lancera dans l'arène politique plutôt que d'être un simple observateur.
En 1984, M. Mulroney est à la tête du Parti progressiste-conservateur, un parti qui, aujourd'hui, n'existe plus. Il remportera la plus grande victoire électorale de l'histoire. Il entreprend immédiatement de grandes réformes de l'économie canadienne: Accord de libre-échange nord-américain, ou ALENA; privatisation de sociétés d'État; politiques de faible inflation, de déréglementation et de réduction des dépenses; et installation de la TPS.
Ce père du libre-échange nord-américain, qui jouera un rôle névralgique dans la vitalité économique du Québec en tant que nation créatrice et exportatrice, fera en sorte que moins de deux ans après la réalisation de l'ALENA, le chômage au Québec passera de 12 à 6 %. On se souviendra du rôle clé qu'a joué sa personnalité engageante dans le resserrement de l'importante relation qu'entretiennent le Canada et les États‑Unis.
Comment oublier que c'est dans la ville de Québec, à la Saint‑Patrick, qu'hier certains célébraient, que ce rapprochement a été consacré lorsque M. Mulroney reçut le président Ronald Reagan au Grand Théâtre. Fidèles à leurs origines, à la fois québécoise et irlandaise, c'est évidemment en chantant que cette amitié a été consacrée quand les deux chefs d'État sur le théâtre ont entaméWhen Irish Eyes Are Smiling. Brian Mulroney avait persisté et gagné son défi de l'ALENA.
À propos d'une anecdote à ce moment-là, je me rappelle que le premier ministre de l'Ontario, tout le temps de cette négociation, s'était opposé carrément à l'ALENA. Il avait fait des discours à n'en plus finir. Pourtant, lors d'un caucus, trois mois après que la signature a eu lieu, M. Mulroney s'était présenté avec une revue. À chaque caucus, il faisait un petit discours de motivation que les anglophones appelaient un pep talk. Il avait sorti la revue pour la montrer en l'ouvrant à la page 6 ou 7. On voyait dans cette revue américaine d'affaires la photo du premier ministre de l'Ontario et un message qui disait que grâce au libre-échange, on pouvait maintenant investir en Ontario.
M. Mulroney, avec son sens de l'humour, avait montré cela, mais n'avait fait aucun commentaire contre le premier ministre de l'Ontario. Il avait ce profond respect de ses adversaires, mais il avait un sens de l'humour très raffiné.
Au sujet de la TPS, l'opposition était virulente. Cela venait de partout, même de notre caucus progressiste-conservateur. Certains membres du caucus ont même démissionné pour siéger comme indépendants. Ils étaient certains d'être réélus comme indépendants en prononçant seulement le mot « TPS », car ils sentaient que bien des gens dans la population s'opposaient à cette réforme. Or, Brian Mulroney n'a pas faibli. Il a persisté et a mis en place la TPS. Aujourd'hui, personne ne voudrait changer cela. N'oublions pas que les compagnies exportatrices à ce moment payaient une taxe sur les marchandises qu'elles exportaient. C'était tout à fait anormal. Brian Mulroney avait promis de corriger cela et il a réussi.
On se rappellera qu'il était capable de concilier une approche économique ouverte et de confiance dans les marchés avec un leadership mondial en matière d'environnement. Il signera le traité canado-américain sur les pluies acides et sera à l'origine du Protocole de Montréal, qui est relatif aux substances qui affaiblissent la couche d'ozone. Cela fera de lui le premier ministre le plus vert.
Les relations internationales qu'il établira, ses talents de négociateur et son continuel désir de consensus lui ont permis d'exercer une influence sur la scène internationale. Il fut l'un des premiers à réagir à la famine en Égypte en 1984. Il a mené la campagne contre l'apartheid en Afrique du Sud. Le Canada a été le premier pays à imposer des sanctions économiques à ce pays, malgré l'opposition formulée par Mme Thatcher et le président américain. Ces actions devaient conduire à la libération de Mandela.
Il fut également très actif, et même chef de file de l'Organisation internationale de la Francophonie. En plus des plus hautes distinctions décernées par le Québec et par le Canada, il a reçu les plus hautes distinctions de nombreux pays, dont la France, où il fût nommé Commandeur de la Légion d'honneur, l'Afrique du Sud, où il a été nommé compagnon suprême d'O.R. Tambo, le Japon, où il a reçu le Grand cordon de l'ordre du Soleil levant, Haïti, où il a reçu la Grande‑croix de l'Ordre national Honneur et Mérite et l'Ukraine, où il a reçu l'Ordre du roi Iaroslav le Sage. Il était reconnu à l'international.
Il y a des éléments de la vie politique de Brian Mulroney dont la nation québécoise se souviendra toujours plus que quiconque et que trop de gens ont oubliés depuis, sinon balayés sous le tapis. Il s'était donné la mission de transformer presque à lui seul la relation alors historiquement difficile et méfiante entre le Québec et son parti. Puis, les Québécois n'oublieront jamais que, comme premier ministre, de 1984 à 1993, il est le dernier à avoir tenté avec ardeur et sincérité à réconcilier le Québec et le Canada.
Brian Mulroney a eu le courage de bâtir sa campagne victorieuse de 1984 sur le respect des Québécois et de leur fierté. Il a gagné avec l'appui des plus nationalistes d'entre eux. René Lévesque lui a accordé sa confiance au lendemain du référendum de 1980. Lucien Bouchard lui a accordé sa confiance également, et soulignons au passage que la nouvelle de leur réconciliation récente, quelques mois avant son décès, a mis un baume au cœur de beaucoup de Québécois.
La majorité des Québécois lui ont accordé leur confiance. Je lui ai accordé ma confiance lorsque j'ai été élu à la Chambre à ses côtés en 1984. J'avais la certitude, comme une majorité de Québécois, qu'il était l'homme à la main suffisamment sûre pour diriger le gouvernement qui conduirait au respect des aspirations du Québec.
Il s'est promis et il nous a promis que la fourberie entourant le rapatriement de la Constitution en 1982 ne scellait pas la suite des relations entre le Québec et le Canada, que le Québec pouvait prendre sa place comme peuple au sein de cette Constitution et de cette fédération avec « honneur et enthousiasme », comme il disait, que le Québec « avait une option », pour paraphraser les paroles qu'il avait décochées à John Turner lors du premier débat. On s'en souvient sans doute.
Cette ouverture aux Québécois n'a pas nui à M. Mulroney, au contraire. Son engagement nationaliste lui a permis, à sa première élection comme chef, de remporter pas moins de 211 sièges sur 282 à l'époque, dont 57 au Québec. Puis, il s'est fait à nouveau réélire majoritairement en 1988. C'était la première fois depuis la Confédération que le Parti progressiste-conservateur était élu deux fois de suite majoritaire, chaque fois en assumant une promesse qu'on n'entend plus d'aucun parti fédéral en 2024. Plus personne ne parle de cette promesse de réformer le Canada pour y inclure avec dignité le Québec.
À quelques kilomètres à peine de la Chambre des communes, au bord du lac Meech, il avait réussi à convaincre tous les premiers ministres des provinces canadiennes de le suivre dans ce pari, en plus de convaincre tous les chefs de l'opposition au fédéral. Tous étaient prêts à reconnaître le Québec en tant que nation distincte. Tous étaient prêts à limiter le pouvoir de dépenser du fédéral. Tous étaient prêts à garantir au Québec un droit de retrait avec pleine compensation des programmes fédéraux.
Brian Mulroney aimait profondément le Canada, comme il aimait profondément le Québec. C'est pourquoi il a tout fait pour que le Québec s'y sente chez lui. Il a tout donné et tout tenté pour façonner un meilleur Canada, une véritable fédération, unie dans le respect mutuel et la célébration de ses identités fondatrices. Ce qu'il a tenté, malheureusement plus personne ne l'a tenté depuis.
Pendant les années où j'ai eu l'honneur et le privilège de siéger sous ses ordres, j'ai côtoyé un véritable homme d'État, un homme de vision que rien ne pouvait empêcher d'atteindre les buts qu'il s'était fixés, un homme affable, respectueux de ses adversaires et qui n'avait qu'un grand objectif: améliorer la vie des Québécois et des Canadiens.
Mon cher Brian, nous avions gravé ton nom sur les arbres de la Colline, mais le temps aujourd'hui a fait tomber l'écorce. Nous avions gravé ton nom sur les trottoirs de la Colline, mais le temps aujourd'hui a cassé le ciment. Heureusement, nous avions gravé ton nom dans nos cœurs, et le temps le gardera à jamais. Adieu, monsieur le premier ministre, et merci.