Madame la Présidente, j'ai le plaisir de prendre la parole ce soir au sujet du projet de loi C‑28 même si l'heure me semble peut-être un peu tardive. Cela dit, je suis heureux que le gouvernement agisse rapidement pour répondre à la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire R. c. Brown, qui a déclaré l'article 33.1 du Code criminel — l'article interdisant l'utilisation de l'intoxication extrême comme défense — inconstitutionnel. C'était le 13 mai dernier, il y a à peine cinq semaines.
Il importe de noter que la Cour suprême a conclu que l'article 33.1 contrevient à la Charte en violant l'article 7, qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et le paragraphe 11d), qui protège la présomption d'innocence. Il est aussi important de noter que le système juridique canadien s'est penché plus d'une fois sur la légalité de l'utilisation de l'intoxication extrême comme défense pour des crimes nécessitant une intention.
En 1978, avant la Charte, la Cour suprême du Canada a indiqué dans l'affaire R. c. Leary que l'intoxication extrême ne pouvait jamais être utilisée comme défense pour ces types de cas. Cependant, après l'établissement de la Charte en 1994, dans l'affaire R. c. Daviault, la Cour suprême du Canada a annulé ce que nous pourrions appeler la règle précédente de common law et a rétabli la possibilité d'utiliser l'intoxication extrême comme défense parce que l'interdiction violait la Charte.
Les détails de l’affaire Daviault étaient particulièrement horribles — d’autres députés les ont relatés tout à l’heure —, et ils ont incité le Parlement à agir assez rapidement, en 1995, pour rétablir l’interdiction d’utiliser l’intoxication extrême comme défense en insérant l’article 33.1 au Code criminel. C’est l’article que la Cour suprême vient maintenant à nouveau de déclarer inconstitutionnel.
Je veux m’arrêter ici et rappeler à tous les députés que la simple intoxication, au Canada, n’a jamais été une défense pour quelque crime violent que ce soit, y compris les agressions sexuelles, et que rien ne change cela dans la décision de la Cour suprême ni dans le projet de loi C-28. La simple intoxication n’est pas une défense contre une accusation criminelle dans ce pays, mais il y a eu beaucoup de désinformation, particulièrement en ligne, ce qui a mené les gens à croire que le fait d’être ivre était une défense en droit pénal au Canada.
Nous devons nous rappeler que l'intoxication extrême est un état très précis et particulier, dans lequel l'intoxication est si grave que les gens n'ont aucun contrôle sur leur corps ni sur leur esprit. Autrement dit, ils n'ont pas conscience de ce qu'ils font. Même si ces cas sont rares, à l'instar d'autres députés qui se sont exprimés avant moi, je suis heureux de constater que nous agissons rapidement, afin de restreindre la possibilité pour quiconque de se soustraire à la responsabilité de ses actes en utilisant la défense d'intoxication extrême pour éviter d'assumer la responsabilité des dommages qu'il a causés à autrui.
De nombreux groupes nous ont exhortés à agir rapidement, mais je reconnais qu'il y en a d'autres qui s'inquiètent du fait que nous risquions de ne pas faire exactement ce qui s'impose en agissant trop vite. Voilà pourquoi je suis heureux de constater que la motion dont nous débattons ce soir comporte une disposition prévoyant la tenue d'audiences au comité de la justice à l'automne. Nous n'avons pas l'habitude de tenir des audiences sur une loi si peu de temps après l'avoir adoptée, mais je pense que cela nous donne l'occasion de revoir ce que nous sommes en train de faire ici ce soir, afin de vérifier si des problèmes imprévus sont survenus ou si nous devons en faire davantage. Voilà pourquoi j'estime que nous devons aller de l'avant ce soir, étant donné que nous ferons cet examen à l'automne.
La Cour suprême du Canada a présenté quelques options qui s'offrent à nous, en tant que parlementaires, pour restreindre le recours éventuel à l'intoxication extrême volontaire comme moyen de défense, tout en continuant à respecter la Charte. Je crois que le projet de loi C‑28 fait bien les choses à cet égard, car il permettra effectivement de rétablir le principe selon lequel, dans presque tous les cas, on ne peut pas invoquer l’intoxication extrême comme moyen de défense.
Comment le projet de loi C‑28 permet-il de faire cela? Il propose deux manières de le faire. Si un accusé veut invoquer l'intoxication extrême pour se défendre, il devra fournir des éléments de preuve d’experts pour démontrer que son intoxication était si grave qu'il avait atteint ce qu'on appelle dans la loi un état d'automatisme. C’est un concept juridique bien connu et par définition dans la loi, il s'agit d'un état dans lequel l'esprit ne contrôle plus le corps. Par conséquent, les accusés devront présenter des preuves au cours de leur procès. Il ne leur sera pas possible de simplement dire ou prétendre qu'ils étaient gravement intoxiqués. Il faudra qu'ils le démontrent au moyen de preuves d'experts. Bien évidemment, ces éléments de preuve devront être présentés à la cour, qui les étudiera.
Le projet de loi C‑28 rendrait aussi difficile l'utilisation de cette défense parce que le procureur pourrait faire valoir que, même si l'accusé a prouvé qu'il était dans un état d'intoxication extrême, il a fait preuve de négligence criminelle en ne prenant pas les mesures qu'une personne raisonnable aurait prises pour éviter de causer un préjudice à autrui.
Si quelqu'un consomme des substances intoxicantes, mélange médicaments sur ordonnance et drogues illégales ou alcool et champignons magiques, entre autres, et si, en tant que personne raisonnable, il aurait dû être conscient de la possibilité de perdre la maîtrise de soi et de devenir violent, il aurait dû alors prendre des mesures pour limiter ce risque. Sinon, il ne pourrait pas invoquer cette défense.
En somme, la Cour suprême du Canada a ouvert la porte à l’utilisation de la défense d’intoxication extrême et, en présentant le projet de loi C‑28, nous cherchons simplement à la refermer autant que possible, tout en respectant la Charte des droits.
Le ministre de la Justice a présenté un énoncé concernant la Charte pour le projet de loi C‑28 qui atteste que ce dernier est conforme à la Charte et qu'il respecte la décision de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Brown. Je n'ai aucune raison de douter du contenu de cet énoncé.
Étant probablement le dernier député à prendre la parole au sujet du projet de loi C‑28 avant son adoption ce soir, je ne veux pas trop m'étendre sur le sujet, mais je tiens à signaler que malgré sa mauvaise réputation à titre d'assemblée législative trop partisane, trop divisée et incapable de veiller à l'intérêt public, je crois que la Chambre montre ce soir un visage fort différent.
Grâce à l'entente de soutien sans participation entre les libéraux et les néo-démocrates, je crois que nous avons déjà prouvé que même dans le contexte d'un gouvernement minoritaire, nous pouvons coopérer et travailler ensemble pour faire avancer les choses. Toutefois, le projet de loi C‑28 prouve que les parlementaires sont capables d'unir leurs forces à plus grande échelle encore puisque tous les partis se sont mobilisés et ont coopéré pour agir rapidement dans l'intérêt public. C'est ce que nous prouverons ce soir en adoptant le projet de loi C‑28 à peine un peu plus d'un mois après qu'une décision de la Cour suprême eut ouvert la porte à la possibilité, pour les auteurs d'actes violents, d'invoquer l'intoxication extrême pour éviter d'être tenus criminellement responsables.
Comme je l'ai dit, ce soir, nous intervenons dans le but de rendre cela peu probable, comme il se doit.
J'espère que nous aurons, au cours de la présente législature, d'autres occasions de travailler ensemble avec le même zèle. Nous pourrions notamment le faire pour lutter contre les comportements coercitifs et contrôlants. D'ailleurs, ce dossier et celui dont nous traitons en ce moment sont liés puisqu'ils se rapportent tous deux à la violence perpétrée, principalement, contre des femmes.
À deux reprises, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a recommandé à la Chambre que le gouvernement présente un projet de loi visant à faire des comportements coercitifs et contrôlants des infractions criminelles. Un tel projet de loi reconnaîtrait que ces comportements représentent une forme de violence, mais il reconnaîtrait également que ces comportements sont très souvent précurseurs de la violence physique.
Comme je l'ai dit, le comité de la justice a fait cette recommandation à deux reprises à la Chambre et j'espère que nous trouverons une façon d'arriver à une entente multipartite de la sorte et que nous pourrons également faire adopter ce projet de loi.
En terminant, il arrive que je sois très fier d'être député et, ce soir, grâce au projet de loi C‑28, c'est l'une de ces occasions.