Madame la Présidente, je tiens d'abord à remercier les sénateurs et les députés qui, de près ou de loin, se sont investis dans la question de la traite des personnes, de l'esclavage et du travail forcé au Canada et au Québec, tout comme à l'étranger. Je tiens vraiment à remercier la sénatrice Miville‑Dechêne de son engagement. Je pense que mes collègues ne m'entendront plus souvent remercier des sénateurs à la Chambre. Je suis toutefois capable de le faire, parce que ce dont nous parlons aujourd'hui est tellement important.
Le projet de loi dont nous débattons met en avant les pratiques nécessaires pour rendre nos chaînes d'approvisionnement plus éthiques, voire exemptes de cette tare répugnante: le travail forcé et celui des enfants. Peu de députés à la Chambre ont eu à entendre les témoignages d’Ouïghours qui ont fui la Chine. Au Sous-comité des droits internationaux de la personne, j'ai participé à l'étude. J'ai dû regarder dans les yeux ces victimes qui vivaient sous un régime totalitaire. Lorsqu'elles m'ont décrit les sévices subis aux mains de leurs bourreaux et exploiteurs, au Xinjiang, je peux dire que c'était difficile de contenir mes larmes. J'étais bouche bée en écoutant leurs histoires. Surtout, j'étais contraint de leur répondre que le Canada ne fait rien pour décourager ces bourreaux et ces exploiteurs. Les plus optimistes disent qu'on ne fait pas grand-chose. La vérité, c'est qu'on ne fait rien.
Il y a moins d'une semaine, j'ai déposé une motion pour la reconnaissance du génocide perpétré par la République populaire de Chine à l'encontre des Ouïghours et des autres musulmans turciques du Turkestan oriental. Alors qu'on ne pouvait pas dire qu'on ne savait pas, ma motion a été rejetée par de nombreux libéraux qui ont même refusé que je la lise. La force du statu quo est puissante. C'est pour cette raison que ce projet de loi est plus que nécessaire. Même s'il est incomplet, comme le disait mon collègue plus tôt, c'est un premier pas qu'on doit faire.
Très tôt, alors que nous sommes enfants, on nous apprend qu'acheter quelque chose est un geste qui n'est pas banal. C'est une décision. C'est assorti d'un pouvoir qui n'est pas négligeable: celui de choisir. Sauf que, pour choisir, il faut d'une part avoir toutes les informations de façon éclairée et, d'autre part, s'assurer que les options qui s'offrent à nous se comparent. C'est pour cela que, lorsqu'on choisit entre deux objets, on veut savoir d'où ils viennent, combien ils coûtent. Lorsqu'on choisit entre deux aliments, on veut savoir leur poids, le nombre de calories. Pour certaines choses, par contre, ce n'est pas aussi simple.
Cela va sembler évident. Pour ce tout qui est fabriqué au Canada, on a la certitude que la main-d'œuvre est rémunérée et qu'elle n'est pas forcée de travailler. Malheureusement, pour tout ce qui est vendu au Canada, on n'a pas cette certitude. Même si on vit dans un État moderne avec des lois du travail progressistes et une aversion à l'égard de l'esclavage sous toutes ses formes, croyons-le ou non, un consommateur ne peut pas tenir pour acquis que, entre deux chandails ou deux paires de gants, la fabrication n'est pas issue du travail forcé d'un être humain, et ce, ici même.
Avec ce qu'on sait sur la Chine et les autres régimes de ce genre, il est grand temps qu'on s'assure qu'aucun produit vicié par le travail forcé ne se retrouve sur les tablettes des magasins québécois et canadiens. Les citoyens qui nous ont élus pour les représenter s'attendent à ce qu'on fasse au moins l'effort d'avancer dans ce dossier. C'est malheureux, mais le Canada est souvent un cancre sur ces questions. Je vais donner un exemple. Pendant que les Américains bloquent des conteneurs entiers de biens et exigent qu'il soit prouvé qu'ils ne sont pas le fruit du travail forcé, nous attendons que le téléphone sonne. Nous attendons un appel des services frontaliers disant qu'ils détiennent des preuves de travail forcé pour tel conteneur qui vient du Xinjiang. À ce moment, on le saisit. C'est aussi niaiseux que cela.
Alors que le Parlement sait qu'il y a un génocide au Xinjiang et qu'il l'a reconnu, Ottawa attend un coup de téléphone. Alors que des députés de la Chambre, y compris moi-même, ont entendu des témoignages troublants sur les travaux forcés, Ottawa attend un coup de téléphone. Alors que des experts internationaux et nos voisins agissent de façon conséquente devant des faits bien documentés, Ottawa attend un coup de téléphone.
Pire, j'annonce qu'Ottawa n'a pas besoin de téléphonistes. L'automne dernier, l'Agence des services frontaliers du Canada a saisi, pour la première et unique fois, une cargaison de vêtements provenant du travail forcé. Cela ne sonne pas très fort. Pendant ce temps, les États‑Unis ont intercepté plus de 1 400 cargaisons. Si ce n'est pas la preuve de l'inefficacité du système canadien et de la nécessité de l'améliorer, je ne sais pas ce que c'est.
Le problème ne commence pas aux frontières, il commence avec nos compagnies. Reprenons l'exemple du génocide en Chine. Des entreprises canadiennes font partie des cinq plus gros investisseurs dans la région du Xinjiang. En plus de ne pas contrôler les marchandises provenant du travail forcé, des entreprises d'ici encouragent l'esclavage moderne et y participent. Le problème ne s'arrête évidemment pas à la Chine, mais il s'agit d'un exemple patent. La vérité, c'est que les Québécois et les Canadiens ignorent à quel point les gouvernements fédéraux successifs ont laissé le problème s'envenimer, comme si des chaînes d'approvisionnement bâties sur le travail forcé, cela ne nus touchait pas. Je le donne en mille: cela nous touche.
Pour 2020 seulement, Vision mondiale estime que 7 % des marchandises importées au Canada seraient le fruit du travail d'enfants ou du travail forcé.
Si on en croit les actions posées à présent, ou plutôt l'unique action posée jusqu'à présent, c'est comme si les Québécois et les Canadiens pouvaient être rassurés, alors que ce n'est pas du tout le cas.
Le Bloc québécois est donc en faveur de ce projet de loi pour la simple et bonne raison qu'il mènera à une plus grande transparence des entreprises sur les mesures qu'elles prennent ou ne prennent pas pour lutter contre le recours au travail forcé, que ce soit au Canada ou à l'étranger.
Le projet de loi S‑211 créerait un régime d'inspection et confèrerait au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile des pouvoirs supplémentaires, dont celui d'exiger qu'une entité lui fournisse des informations quant à la bonne application de la loi. Le ministre aura aussi un devoir: déposer chaque année devant les deux Chambres du Parlement un rapport sur les mesures prises pour prévenir et atténuer les risques du travail forcé.
Tout cela, c'est bien. Ce sont des avancées, mais ce n'est évidemment pas suffisant. Il faudra faire comme les Américains et inverser le fardeau de la preuve si on veut arriver à décourager le travail forcé. Il faudra aussi nous harmoniser à nos autres alliés sur plusieurs autres questions connexes. Que fait‑on présentement pour l'inefficacité des services frontaliers, pour les entreprises qui sous‑payent leur personnel et pour celles qui corrompent les autorités locales? On ne fait rien. C'est inévitable: la Chambre devra se pencher globalement sur la diligence raisonnable des entreprises.
Le projet de loi S‑211 est un pas dans la bonne direction, mais juste en attendant un peu plus de mordant dans le reste du cadre législatif canadien. Si des gens à la Chambre pensent qu'on peut s'arrêter à ce que contient ce projet de loi, je leur conseillerais de parler avec des Ouïghours ou tout autre peuple victime d'exploitation. Je leur conseillerais d'aller parler aux activistes qui se battent contre des minières occidentales qui profitent de leur puissance pour bafouer les droits de la personne, la plupart du temps à l'ombre d'un unifolié. Je leur conseillerais de parler avec les gens du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises, qui font un travail extraordinaire pour conscientiser les élus et les citoyens.
J'espère que, dans les interventions qu'ils feront, mes honorables collègues n'oublieront pas que voter pour le projet de loi S‑211 n'est pas un geste de leadership, c'est juste le gros minimum pour se regarder dans le miroir. Je sais que cela fait des dizaines de fois que je le confie, mais, le matin quand je me lève, j'ai une petite note qui me dit: « Pour qui travailles‑tu? » Je travaille pour des gens qui m'ont confié le mandat de représenter, au meilleur de mes capacités, leurs valeurs et leurs intérêts.
Les Québécoises et les Québécois croient dans l'équité. Ils apprennent, jeunes, qu'on ne fait pas aux autres ce qu'on ne voudrait pas qu'on nous fasse. Ils savent qu'il est important qu'on fasse affaire avec des gens qui respectent les droits fondamentaux de chaque individu. Ils veulent que les bottines de leurs élus suivent leurs babines, qu'on soit cohérent et qu'on se batte pour ce qui est bien.
Nos politiques publiques, il faut le dire franchement, ne sont pas à la hauteur de notre discours sur la scène internationale. Ce projet de loi nous en rapproche, mais n'est pas matière à se vanter. Il n'est pas aussi contraignant que les lois sur la diligence raisonnable déjà en application ou en discussion au sein des parlements européens. Ce projet de loi est un minimum, comme je disais, et il faudra aller dans la même direction que les Européens en adoptant une loi sur le devoir de diligence en matière de droits de la personne. Obliger à rendre des comptes, c'est un début.
Bientôt, on devra obliger la modification des mauvaises pratiques, concrètement, sévèrement. Tolérer la perpétration, voire la participation à la violation des droits de la personne de quelque nature que ce soit, c'est se rendre complice de ce qu'autrement on interdit au Canada. Cela permettrait aussi de surmonter les limites des contrôles à l'importation, qu'on ne peut plus ignorer, et d'empêcher l'achat de produits fabriqués par de l'esclavage moderne.
J'enjoins nos honorables collègues à faire leurs les revendications de 150 organisations de la société civile du monde entier, qui ont publié un modèle de législation pour une loi sur la diligence raisonnable. Une bonne partie de la job est faite. Désormais, il suffit de se montrer à la hauteur. Agissons, soyons efficaces et, surtout, soyons justes.