Qujannamiik, Uqaqtittiji. Je partagerai mon temps de parole avec la députée de North Island—Powell River.
Au cours de ce débat, j’ai ressenti ce qu'on appelle Ikiaqurmijaarniq. J’ai tellement parlé du fond de mon cœur que ma gorge et ma voix tremblaient. Je m’inquiète sincèrement de la sécurité des Nunavummiuts et des Canadiens et des risques qui les guettent, surtout que certaines personnes ont minimisé ce qui s’est passé au cours des trois dernières semaines et ne considèrent l’extrémisme affiché que comme une simple « opinion différente ».
Une grande partie du débat entourant la Loi sur les mesures d’urgence est attribuable au barrage illégal qui a été démantelé en fin de semaine, un barrage alimenté par ce même extrémisme. Je remercie les responsables de la mise en œuvre et de l’application de la Loi sur les mesures d’urgence. Je crois toutefois que notre démocratie pourrait encore être menacée, surtout en raison des terribles manifestations qui frôlaient l’extrémisme hier à Surrey, en Colombie‑Britannique, et des problèmes persistants décrits par mon collègue, le député de Windsor‑Ouest.
L’ingérence étrangère existe toujours au Canada. Certains députés ont tenté de susciter des craintes à l’égard de la Loi sur les mesures d’urgence et des conséquences de son invocation. Certains ont accusé le NPD de s'allier aux libéraux. Je rappelle aux députés que le NPD s'est montré réticent. Les néo-démocrates ont cherché à obtenir des précisions, à s’appuyer sur des principes et à confirmer qu’il y aura une reddition de comptes.
J'ai été témoin dans ma vie de nombreuses situations d’ingérence gouvernementale, mais je n'en donnerai que trois exemples. J’ai une méfiance inhérente à l’égard des autorités et des forces de l'ordre.
Dans les années 1950, on a demandé à mon grand-père de quitter Pond Inlet pour se rendre à Resolute afin d'enseigner des techniques de survie aux gens du Nord‑du‑Québec qui venaient d'être délocalisés dans l’Extrême‑Arctique. Les Inuits du Nord‑du‑Québec ont été trompés par les autorités, qui avaient réussi à les convaincre de monter à bord du navire de ravitaillement C.D. Howe. On leur avait dit que la vie et l’environnement y seraient meilleurs et que la faune y serait abondante. En réalité, la noirceur dure plusieurs mois en hiver et la faune se fait rare pendant une bonne partie de l’année. Ces gens ne savaient pas que le gouvernement fédéral les avait délocalisés au nom de la souveraineté canadienne.
Quand j’avais quatre ans, je me suis fait des engelures aux mains. Je ne me souviens pas de la douleur. Je me souviens toutefois que l’infirmière avait dit à ma mère qu’elle me couperait les doigts. Je me rappelle que ma mère me protégeait et se disputait avec l’infirmière. Je pense que c’est la première fois que j'ai été témoin du pouvoir extraordinaire de la protestation. Grâce à ma mère, j’ai encore mes doigts. J’aime ma mère.
En 1981, quand nous vivions à Igloolik, mon père s’est suicidé. Quelques années plus tard, j’ai appris que mon grand-père, le père de mon père, s’était lui aussi suicidé. D’après ce que j’ai entendu, mon grand-père était très respecté. On pense que la charge d’être responsable des Inuits à Resolute lui a causé beaucoup de souffrances. Je me demanderai toujours si les politiques du Canada en matière de souveraineté ont joué un rôle à cet égard.
Après le suicide de mon père, mes frères, mes sœurs et moi avons été placés en famille d’accueil, souvent séparément. Selon les autorités gouvernementales, ma mère ne s’en sortait pas assez bien pour nous élever. Le gouvernement a donc jugé préférable de nous éparpiller dans différentes collectivités du Nunavut. Nous avons eu l’occasion de retourner auprès de notre mère de nombreuses fois.
Maintenant, visualisez la carte du Nunavut et sa vaste étendue que je garde orange. Toutes les collectivités ne sont accessibles que par avion. Au bout du compte, j’ai vécu dans cinq de ces communautés, à un moment ou à un autre.
Je pense au fait que ma vie en tant qu’Inuk, en tant qu’Autochtone au Canada, n’a rien d’original. Je ne raconte pas cela pour que les députés aient de la pitié pour moi ou pour le peuple magnifique que je représente. Je rappelle aux députés pourquoi je me méfie fondamentalement des autorités gouvernementales et des forces de l’ordre.
Les lois coloniales m’ont imposé une enfance loin de mes proches. Malgré cela, je suis ici. Je parle inuktitut. Ma culture et les Nunavummiuts s’épanouissent. Me voici, maintenant députée dûment élue de Nunavut.
Devant la période d'adversité que nous connaissons, je me laisse inspirer par une chanson inuite, Silatugami, du groupe rock inuit Northern Haze. Silatugami veut dire « qui possède la sagesse ». Le chanteur du groupe, James Ungalaq, a été inspiré par la voix calme de son ami. James était alors tourmenté intérieurement, un peu comme nous aujourd'hui. La chanson Silatugami parle des possibles abus de pouvoir ainsi que de la crainte de subir des menaces, de l'extorsion et de l'intimidation ou d'être privé de quoi que ce soit. C'est aussi une chanson d'espoir et de sérénité devant l'avenir. C'est ce que nous fait vivre la période actuelle. Nous essayons tous de bâtir un avenir meilleur. Pour cela, nous devons faire preuve de courage, d'audace et d'une volonté d'apprendre.
Quand je pense aux trois dernières semaines, je pense aux extraordinaires privilèges auxquels bien des Canadiens sont habitués. Je sais que les Canadiens peuvent traverser cette pandémie et s'en sortir.
Tous les Canadiens seront-ils touchés par cette loi? Non. Ai-je des craintes qu'elle aille trop loin? Oui. Si elle allait trop loin, y a-t-il quelque chose que nous, législateurs, pourrions faire? Oui. Quelle est la force du mécanisme de surveillance? Très élevée, puisqu'il s'agit de surveillance parlementaire. Cette surveillance relève de nous, à la Chambre. Y a-t-il obligation de rendre des comptes? Oui. Serais-je prête à faire révoquer ces mesures si elles allaient trop loin? Oui.
Bien que je me méfie profondément de l'ingérence du gouvernement, je sais que la Loi sur les mesures d'urgence est nécessaire pour protéger notre démocratie. Il y a des mesures de contrôle. Il n'y en avait pas pour les types d'ingérence que j'ai vécue. Il s'agissait d'abus de pouvoir de la part du gouvernement.
Toutefois, ce n'est pas ce dont il est question aujourd'hui. Nous discutons des conséquences de l'ingérence étrangère sur notre démocratie, c'est-à-dire les millions de dons qui ont été faits pour tenter d'inciter des Canadiens à enfreindre leurs lois.
J'ai entendu dire que l'ingérence étrangère influence certains députés, ce qui m'inquiète profondément. C'est la raison pour laquelle il faut agir avec rigueur jusqu'à l'échéance de la déclaration ou plus tôt, espérons-le, une fois la question de l'ingérence étrangère réglée.