Madame la Présidente, j’ai moi aussi aujourd’hui le triste privilège d’exprimer mes condoléances les plus sincères et celles de mes électeurs à notre souverain, le roi Charles III, et à sa famille, qui pleurent leur « mère bien-aimée » et grand-mère, notre regrettée reine Elizabeth II.
Aujourd'hui, nous réfléchissons aux 70 années de service accordées au Canada par notre reine, une cheffe d'État qui a joué un rôle central, bien que souvent discret, dans la vie des Canadiens.
La plupart des Canadiens d’aujourd’hui n’ont pas connu d’autre chef d’État. De nombreux gouvernements et parlements sont passés alors qu’elle, Sa Majesté, nous est restée. En 1959, la reine Elizabeth II et son époux, le prince Philip, duc d’Édimbourg, se sont arrêtés au Yukon pendant deux jours pendant leur tournée du Canada. Pour illustrer cette visite mémorable, j’ai affiché dans mes pages de médias sociaux une vieille vidéo de Pathé décrivant la tournée du couple royal dans notre Yukon « oh! si romantique! ».
Évidemment qu’il y a 64 ans, Whitehorse, nommée récemment capitale territoriale, était très différente. Les rues n’étaient pas asphaltées, et plusieurs maisons n’avaient toujours pas de plomberie intérieure. La grande époque des bateaux à aubes du Yukon venait de prendre fin, et sa base militaire florissante assurait une présence militaire importante dans la collectivité.
Certains Yukonnais se souviennent fièrement de cette visite. Ils n’ont pas oublié qu'un soir, une panne de courant a laissé le couple royal dans le noir pendant toute la nuit. Sa Majesté et son époux ont visité le MacBride Museum et sont montés à bord d’un train royal que le White Pass & Yukon Route Railway avait réservé pour les emmener sur le court trajet qui les séparait des limites de la ville.
Enceinte de son troisième enfant et souffrant d’une nausée matinale, Sa Majesté a choisi de ne pas aller plus loin, tandis que le duc d’Édimbourg s’est envolé vers Dawson et Mayo à bord d’un avion de Havilland Heron à quatre moteurs, qu’il pilotait lui-même. Pour vous rappeler une image du Yukon de cette époque, je vous dirai qu’à son retour, le prince Philip a pu faire rouler l’avion jusqu’à la porte de la maison où logeait Sa Majesté, près de l’escarpement de l’aéroport. Cette maison a depuis été déplacée au centre-ville.
Lorsque le couple royal a insisté pour saluer les Yukonnais dans une voiture ouverte, les responsables ont dû chercher un chauffeur qui leur prêterait son auto pour la journée. Ils ont emprunté la belle Ford Fairlane décapotable toute neuve d’un mineur de Cassiar, Vincenzo Caparelli.
Cette visite a été merveilleuse. Elle nous rappelle la relation que le Yukon et de nombreux Yukonnais entretiennent avec la Couronne.
Les Canadiens ont ressenti, tout naturellement, diverses émotions à la suite de notre récente perte. Pour certains, cela a été comme perdre un membre de la famille. D'autres réfléchissent à son rôle et à son service et offrent leurs condoléances à la famille immédiate, sans aller plus loin.
Cependant, pour ceux qui ressentent et vivent les répercussions des projets coloniaux exécutés par le gouvernement en son nom, cette perte peut provoquer des réflexions plus douloureuses.
Dans le cadre de notre monarchie constitutionnelle, les Canadiens ont la chance de pouvoir exprimer publiquement un vaste éventail d’émotions et de critiques, parfois simultanément, qu’ils partagent respectueusement avec leurs concitoyens. Bien peu de pays en dehors du Commonwealth laissent leur chef d’État s’élever au-dessus de la mêlée politique pour assurer la continuité, la compassion, la longévité et la prévoyance que les gouvernements élus ne négligent que trop souvent en se concentrant avant tout sur leurs prochaines élections.
Le roi Charles III perpétuera l’institution de la Couronne en assumant ce rôle. Il demeurera éloigné des vents changeants de la partisanerie des Chambres élues au Canada depuis que son ancêtre, la reine Victoria, a accordé pour la première fois au Canada un gouvernement responsable, il y a maintenant presque 200 ans.
La Couronne du Canada a représenté une relation importante entre l'État et ses membres. C'est une relation qui a pris une importance particulière compte tenu de la nature urgente de la crise climatique ressentie dans le monde et du cheminement continu du Canada vers la réconciliation avec les peuples autochtones.
Bon nombre des accords, traités et proclamations signés entre l’État et les peuples autochtones du passé et de l’ère moderne sont conclus entre des citoyens autochtones et la Couronne. Nous savons que les gouvernements élus n’ont pas toujours respecté ces accords comme ils auraient dû le faire, et que certains d’entre eux les ont complètement bafoués, ce qui a entraîné des résultats dévastateurs et un legs de traumatismes qui se perpétuent dans diverses tragédies. Les meurtres survenus dans la nation crie James Smith, pour lesquels nous avons observé un moment de silence à la Chambre ce matin, constituent le rappel le plus récent et le plus douloureux du tort que les pratiques coloniales du Canada ont causé sous la gouverne de notre monarchie.
Cependant, la guérison peut se poursuivre et elle se poursuivra. Lors de sa visite au Canada en sa qualité de prince de Galles plus tôt cette année, Sa Majesté a rencontré des survivants des pensionnats indiens et a demandé aux Canadiens de prendre acte de la réalité des expériences vécues par les peuples autochtones, et il a rappelé que nous avons tous la responsabilité d’écouter, de comprendre et d’agir de manière à favoriser les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada.
Étant un Canadien d’origine britannique, de souches irlandaise et écossaise, et ma propre mère ayant grandi au Raj, en Inde, je suis conscient de la douloureuse symbolique de la Couronne dans mes propres terres ancestrales. Étant maintenant établi au Canada, je vois des similitudes dans les projets coloniaux ébauchés au fil des siècles, mais je sais aussi que la Couronne a évolué et reconnaît maintenant les torts causés en son nom, que ce soit à l’étranger ou au Canada.
Plus tôt cette semaine, lors de sa première visite en Irlande du Nord, le roi Charles III a rencontré des dirigeants et des politiciens et a parlé de l'importance de la réconciliation dans un échange remarquable de gestes de conciliation, une continuation de la bonne volonté engagée par la reine dans les dernières années de son règne.
Je suis convaincu qu'à l'occasion de sa première visite au Canada, le roi Charles continuera d'exprimer un désir d'écouter et de discuter avec les peuples autochtones et tous les Canadiens dans le cheminement vers la réconciliation partout au pays.
Je terminerai aujourd'hui en disant que de cette période de deuil jaillira de l'espoir, et la réconciliation continuera d'avancer vers un avenir meilleur. Quel Canadien ne serait pas d'accord, et quel meilleur legs pourrions-nous souhaiter de notre reine?
Nous offrons nos condoléances à notre nouveau roi en nous remémorant la compassion, l'aplomb et le charme que sa mère a apportés pendant 70 ans à son rôle de cheffe d'État du Canada, permettant ainsi au Canada de passer d'un jeune pays limité par de vieilles idées à un pays mûr sur la voie de l'inclusivité et de la prospérité. Nous offrons nos meilleurs vœux à notre nouveau roi pour son règne qui s'amorce. Longue vie au roi Charles III.