Monsieur le Président, comme toujours, je suis très honorée de prendre la parole dans cette enceinte et de représenter les résidants d’Edmonton Strathcona.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la mise en application de la Loi sur les mesures d’urgence. Il s’agit d'appliquer une loi à laquelle on n'a jamais eu recours auparavant. Je suis profondément consciente de la responsabilité qu’implique le travail que nous faisons dans cette enceinte et de la gravité des décisions que nous y prenons. Je suis consciente de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons en cette période charnière, en tant que parlementaires et même en tant que Canadiens. J’espère que chaque député a pris le temps, au cours de ces dernières semaines, de réfléchir à notre rôle de dirigeants dans ce pays et à la responsabilité qui nous incombe de prendre des décisions difficiles dans l’intérêt du pays et des habitants de nos circonscriptions.
Avant de vous faire part de mes réflexions sur la mise en œuvre de la Loi sur les mesures d’urgence, j’aimerais, si possible, prendre un instant pour rendre hommage au personnel et aux agents de sécurité qui travaillent sur la Colline aujourd’hui. Je tiens à remercier tous ceux qui ont dû traverser un barrage pour se rendre à leur travail. Je tiens à remercier tous ceux qui ne passent pas la longue fin de semaine de la Journée de la famille avec leurs proches parce qu’ils nous aident ici, aujourd’hui, dans nos travaux à la Chambre, tout comme les pages, comme me l’a rappelé mon collègue.
Je tiens également à remercier les policiers. J’ai marché jusqu’à chez moi hier soir dans l’obscurité, protégée par les policiers qui sont restés en poste pour que je puisse retourner à mon appartement au centre-ville, ces policiers qui se sont mis en danger aujourd’hui et ces derniers jours pour rétablir la sécurité dans la ville pour les gens d’Ottawa. Je veux les remercier.
Enfin, je tiens à remercier les journalistes qui pendant des jours et par des températures glaciales ont informé les Canadiens. Ils se sont fait insulter. Ils se sont fait cracher dessus. Ils ont été agressés. Ils ont été menacés. Ils sont restés dans les rues d’Ottawa pour faire le récit des événements chaque jour. L’information est une pierre angulaire de notre démocratie, et chaque Canadien devrait être reconnaissant du fait que nous ayons des membres de médias indépendants pour rendre compte des faits et transmettre aux Canadiens l’information qui doit l’être.
La situation dans laquelle nous nous trouvons comme pays est désolante. Ce dont nous avons été collectivement témoins au cours des trois dernières semaines montre, de manière parfaitement limpide, à quel point il est fondamental que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour rétablir l’ordre dans notre pays et en finir avec les blocages de nos frontières et l’occupation illégale d’Ottawa, ainsi qu’avec les menaces et l’intimidation dirigées contre ceux qui vivent et travaillent ici.
Plus important encore, en tant que parlementaires, nous devons tout faire pour nous assurer que cela ne se reproduise plus jamais. Qu'on me comprenne bien; je ne suis pas heureuse de voir où nous sommes rendus. Je suis fâchée que le pays en soit arrivé là. Les échecs des gouvernements provinciaux, des municipalités et, oui, du gouvernement fédéral nous ont mis dans une situation où nous devons nous servir de moyens exceptionnels pour sortir de la crise. Aujourd'hui et chaque jour, j'utilise ma tribune et le rôle que je joue à la Chambre pour essayer de corriger les problèmes qui nous ont menés à l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence. Je me servirai de mon rôle pour que cela ne se produise plus jamais.
Il faut examiner la façon dont les policiers au pays font leur travail. Nous avons constaté des cas évidents de racisme systémique au sein des forces policières pratiquement chaque jour. Il y a beaucoup trop d'exemples d'utilisation injustifiée de force excessive contre les Noirs, les Autochtones et les personnes racisées et contre les itinérants et les pauvres. Nous avons vu ces personnes être victimes d'attaques vicieuses et se faire confisquer leurs biens, mais nous savons que la GRC est capable d'intervenir de façon très posée avec beaucoup de retenue. Nous l'avons vu. Nous l'avons vu à Ottawa, à Windsor, à Emerson et à Coutts. Nous avons vu beaucoup de retenue et un refus d'intervenir de la part des forces policières pendant non pas des minutes ou des heures, mais pendant des jours et des semaines.
Alors que j'interviens dans cette enceinte, j'aimerais que nous prenions tous le temps d'imaginer ce que doivent ressentir les défenseurs des terres autochtones en voyant les manifestants blancs de Coutts, en Alberta, enlacer des agents de la GRC. J'aimerais que nous imaginions ce que doit ressentir une personne sans abri de Toronto qui a été brutalisée par les forces de l'ordre en voyant la police d'Ottawa faire preuve d'une douceur inimaginable envers les occupants illégaux d'Ottawa.
En Alberta, il existe une loi que je déteste profondément. C'est la toute première loi qui a été adoptée par le gouvernement du premier ministre Kenney: le projet de loi no 1. Cette loi visait à empêcher le blocage de nos grandes infrastructures. Cependant, cette loi n'a pas été invoquée. Si quelque chose peut nous prouver que la loi no 1 n'a jamais été destinée à être employée contre les blancs et les amis du premier ministre de l'Alberta, c'est bien cela. Cette loi vise les peuples autochtones et les écologistes. Elle n'a jamais été destinée à être employée contre les amis de Jason Kenney, qui ont montré leurs vraies couleurs de suprémacistes blancs qui ont tenté de commettre des meurtres. Il y avait une insurrection armée à notre frontière, et cette loi n'a pas été invoquée.
Nous devons aussi passer en revue et renforcer les lois fédérales sur les crimes haineux afin qu'elles nous permettent de sanctionner le suprémacisme blanc et l'extrémisme néonazi qui menacent la société.
J'ai eu le plaisir d'appuyer le projet de loi de mon collègue et ami de New Westminster—Burnaby, qui interdirait les symboles de haine, comme la croix gammée et le drapeau confédéré. Je rappelle d'ailleurs que ces symboles ont été arborés pendant l'occupation qui a paralysé la capitale du pays. Nous ne devons toutefois pas nous contenter d'interdire les symboles de haine, nous devons contrer la radicalisation des Canadiens qui s'abreuvent à ce qu'ils voient en ligne et entendent sur les ondes. Je pense par exemple aux radios poubelles, qui ont radicalisé l'homme qui a tué six fidèles de la mosquée de Québec, ou aux propos haineux qu'on trouve en ligne, qui ont radicalisé l'un des hommes arrêtés à Coutts, en Alberta, et qui a été inculpé d'avoir comploté dans le but de tuer un agent de la GRC. Selon le père de cet homme, il a été radicalisé en ligne par un groupe d'extrême droite appelé Diagolon, qui s'est donné comme objectif de renverser le gouvernement par des moyens violents.
Le gouvernement libéral a promis de présenter un projet de loi pour mettre fin à la haine en ligne, et il n'a toujours pas su agir dans ce dossier. D'ailleurs, de fausses informations sont diffusées à la radio, de fausses informations en provenance de la Russie sont répandues par des diffuseurs encadrés par le CRTC. C'est un problème que nous pouvons et que nous devons résoudre dès maintenant. Nous devons examiner et moderniser nos dispositions législatives sur le blanchiment d'argent afin de contrer les mécanismes qui contribuent à financer les groupes haineux et dont ces groupes se servent pour financer leurs activités. Il faut prendre des mesures permanentes pour empêcher le financement des groupes haineux au lieu de recourir à la Loi sur les mesures d'urgence. Il faut y consacrer des ressources de façon permanente.
Comme mon collègue le député d'Hamilton-Centre l'a dit hier, tout cela n'a rien de nouveau. Ce ne sont pas des problèmes dont nous n'avions jamais entendu parler auparavant. Nous savions déjà que ces problèmes existaient et qu'il fallait y remédier, mais on ne l'a pas fait. Nous nous retrouvons dans une situation d'urgence parce que ces mesures n'ont pas été prises.
La pandémie de COVID‑19 a été extrêmement éprouvante pour tout le monde. Nous avons tous dû composer avec des mesures de confinement, des restrictions et des mesures de protection depuis plus d'une année. La situation a été difficile.
J'ai des enfants. J'ai vu mes enfants éprouver des difficultés et j'ai vu tout ce qu'ils ont raté. J'ai des parents, ce sont des aînés, et je m'inquiète pour eux chaque jour. Des gens de ma circonscription ont perdu des proches, et d'autres ont perdu leur gagne-pain. J'ai vu les impacts de la crise des opioïdes, la crise causée par la présence de drogues dangereuses, dans ma province.
Cependant, ce ne sont pas des barrages illégaux qui vont mettre fin à la pandémie. Ce ne sont pas des sièges et des occupations qui le feront non plus. Les virus se moquent de savoir si nous en avons assez d'eux; ils n'en ont pas fini avec nous. Ce n'est pas de cette façon que cela fonctionne. La seule façon de mettre fin à une pandémie, c'est de suivre les mesures de la santé publique fondées sur la science. Si nous laissons de petites brutes nous intimider et nous empêcher de protéger la santé publique, comme c'est arrivé en Alberta, nous laissons la place à l'injustice. Nous laissons la place à ceux qui parlent le plus fort, à ceux qui ont les plus gros véhicules et les klaxons les plus puissants. Nous capitulons devant la loi de la rue et nous sacrifions la démocratie et les valeurs canadiennes.
La personne qui a parlé avant moi semblait dire que ce n'est pas ce qui se passe en Alberta. Pourtant, la situation est pire que jamais là-bas. Ce sont 13 hommes armés qui dictent la politique de santé publique en Alberta. Pensons-y un instant.
Aujourd'hui, nous débattons de la Loi sur les mesures d'urgence pour contrer des activités illégales que la province et les corps policiers n'ont pas eu la volonté de régler, mais le gouvernement doit également s'attaquer à la cause sous-jacente du sentiment d'aliénation de nombreuses personnes dans notre pays.
Au cours des deux dernières décennies, les Canadiens ordinaires ont vu leur richesse et leur bien-être diminuer, tandis que ceux de la classe des milliardaires, le 1 % le plus riche, ont vu leur fortune et leur pouvoir s'accroître. Les coûts continuent d'augmenter. Les coûts d'électricité, de chauffage, d'épicerie et de logement augmentent tous, alors que les revenus stagnent. L'envie irrésistible de réduire les impôts qui a obsédé les gouvernements des 20 dernières années peut sembler, à première vue, être une solution, mais en y regardant de plus près, on constate qu'elle a en fait contribué aux problèmes auxquels nous faisons face. Les impôts des riches sociétés ont été réduits de façon spectaculaire, tandis que le fardeau fiscal s'est déplacé vers les Canadiens à revenu faible et moyen. Ce n'est pas juste, et cela ne fonctionne pas.
Il y a une crise du logement au Canada. S'ajoute à cela une crise des opioïdes. Un Canadien sur dix vit dans la pauvreté, et plus de la moitié d'entre eux sont des aînés. Un plus grand nombre de Canadiens travaillent plus d'heures, sans pourtant avoir plus de sécurité d'emploi, une situation que nous n'avons pas vue depuis les années 1970. Ce n'est pas un plan viable. Ce n'est pas une façon viable d'assurer l'avenir de notre pays. Lorsqu'une crise éclate, lorsqu'une pandémie mondiale menace la vie et le gagne-pain de presque tous les Canadiens, nous ne devrions pas nous étonner que certains d'entre eux commencent à se sentir aliénés et exclus. Nous ne devrions pas nous étonner qu'ils se tournent vers les faux prophètes et la désinformation et qu'ils s'insurgent contre ceux qui les gouvernent.
Je siège ici depuis un peu plus de deux ans, et il est vrai que nous avons travaillé ensemble pour aider le Canada à traverser la pandémie. Cependant, nous n'avons pas travaillé ensemble pour nous attaquer aux causes sous‑jacentes, aux causes profondes du sentiment d'aliénation, d'insatisfaction et de désespoir que de si nombreux Canadiens ressentent actuellement.
Nous ne savons pas quand la pandémie prendra fin. Personne à la Chambre ne le sait. Nous ne savons pas non plus combien de fois le virus mutera, ni combien d'autres variants ou vagues il y aura. Pourtant, le gouvernement est très pressé d'annuler les programmes d'aide liés à la COVID‑19 et très réticent à s'attaquer aux problèmes socioéconomiques que la pandémie a exposés et qui ont provoqué le sentiment d'impuissance ressenti par tant de Canadiens.
Nous avons tant de travail à faire ici, ensemble, pour créer un Canada meilleur, plus équitable et plus juste.
Nous savons pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. La ville d'Ottawa a été assiégée. Nos frontières ont été bloquées. Notre démocratie a été menacée. Nous avons observé l'un des exemples les plus flagrants de manque de leadership dans l'histoire canadienne. Pourquoi le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et la Ville d'Ottawa n'ont‑ils pas coordonné leurs efforts? Pourquoi le premier ministre a‑t‑il tant tardé à agir?
De prétendus dirigeants comme Doug Ford et Jason Kenney ont complètement laissé tomber leur province. Ils n'ont pas agi, ils n'ont pas donné l'exemple, et ils n'ont protégé ni leurs citoyens ni les travailleurs de la santé. Ils n'ont pas non plus protégé les emplois et l'économie. De surcroît, ils n'ont rien fait pour lutter contre le racisme et la violence qui minent notre démocratie.
Un député de l'Assemblée législative de l'Alberta, ma province, s'est joint aux personnes bloquant illégalement le poste frontalier de Coutts. Un autre député conservateur de l'Assemblée législative de l'Alberta a exhorté les policiers à ne pas suivre les ordres de leurs supérieurs. Ces deux députés ont encouragé l'anarchie. Ils ont pris des égoportraits avec des chefs de groupes extrémistes.
Imaginons ce que doit ressentir un Canadien racialisé en voyant le député conservateur de Cypress Hills—Grasslands prendre la pose aux côtés de Pat King et déclarer son appui envers le célèbre chef du convoi, connu pour ses propos racistes, antisémites et islamophobes et pour avoir affirmé que la crise ne se réglerait qu'avec des balles.
Imaginons ce que doivent ressentir les personnes qui habitent et occupent un emploi à Ottawa, qui ne peuvent se rendre au travail et qui sont donc sans salaire, en apprenant que le député de Carleton distribue du café et des beignes aux manifestants qui leur empoisonnent la vie.
Les Canadiens en ont assez des conservateurs qui s'acoquinent avec des extrémistes radicaux, des racistes comme Pat King et des organisations haineuses violentes comme Diagolon. Les Canadiens en ont ras le bol de la mentalité de meute des conservateurs, et c'est pourquoi je demande à ces derniers de leur présenter des excuses ici même à la Chambre.
Je suis prête à accepter la lourde responsabilité qui découle de la Loi sur les mesures d'urgence. Je ferai tout en mon pouvoir, avec l'aide de mes collègues à la Chambre, pour m'assurer que le gouvernement ne fait pas une utilisation abusive des pouvoirs qui lui sont accordés en vertu de la Loi. Les néo-démocrates et les autres partis à la Chambre peuvent mettre un terme à la déclaration d'urgence si nécessaire, et nous n'hésiterons pas à le faire si le gouvernement outrepasse les limites de ce qui est nécessaire pour gérer l'urgence actuelle.
Mon Canada regorge de personnes intelligentes et altruistes qui se soucient du bien-être de leur collectivité. Mon Canada compte des travailleurs de première ligne, des médecins, des infirmières, des infirmiers et des travailleurs de la santé qui ont véritablement risqué leur vie pendant des années pour nous protéger. Mon Canada compte aussi des enseignantes et des enseignants qui ont travaillé chaque jour malgré tous les défis posés par la COVID‑19.
Cependant, il est très important de reconnaître que mon Canada compte aussi des personnes racistes et antisémites, et des gens violents et haineux. Tant que nous ne reconnaîtrons pas cette facette de notre Canada, nous ne pourrons pas aller de l’avant.
Nous avons du travail à faire dans ce pays, et cette tâche nous incombe à tous. Nous devons collaborer, même quand nous ne sommes pas d’accord, pour panser les plaies de notre pays. Je crois sincèrement que tous les députés ici présents souhaitent un Canada plus fort et plus résilient.
Malgré nos différences et nos désaccords sur la voie à suivre, nous devons travailler ensemble en tant que Canadiens. C’est la seule façon de protéger notre démocratie. C’est la seule façon de protéger notre liberté.