Monsieur le Président, je m'exprime ce matin au sujet du projet de loi C‑295, un texte modifiant le Code criminel afin d'ériger en infraction le fait, pour les établissements de soins de longue durée, leurs propriétaires et leurs gérants, d'omettre de fournir les choses nécessaires à l'existence des résidants des établissements.
J'ai eu l'occasion à quelques reprises de remplacer mon collègue au Comité permanent de la justice et des droits de la personne pour étudier un peu plus ce projet de loi en ma qualité d'ancienne chargée de projet de sensibilisation à la maltraitance et à l'intimidation envers les personnes aînées.
Pour revenir au projet de loi, « il permet en outre au tribunal de rendre une ordonnance interdisant aux propriétaires et aux dirigeants de tels établissements d'être, dans le cadre d'un emploi ou d'un travail bénévole, en situation d'autorité ou de confiance vis-à-vis d'adultes vulnérables, ou d'en avoir la responsabilité, et de considérer comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que l'organisation n'a pas rempli son obligation légale envers un adulte vulnérable. »
Le projet de loi est peut-être un peu opportuniste. Il surfe sur la maltraitance des aînés vivant dans les résidences lors de la pandémie. Il a vraiment cet effet, mais ce projet de loi rajoute des infractions criminelles pour ces cas de figure. Dans la logique libérale, remplir le Code criminel d'infraction est une façon d'aider les gens.
Je vais expliquer dans mon discours un peu plus en détail le projet de loi, les avancées au Québec et ce qu'il reste à faire.
Le projet de loi C‑295 rajoute deux définitions au Code criminel, celle d'un établissement de soins de longue durée et celle d'un dirigeant, dans le but de dresser des infractions criminelles. Je pourrais faire une nomenclature. Nous avons sérieusement étudié le projet de loi. Particulièrement, mon collègue de Rivière-du-Nord l'a étudié plus en profondeur en comité. Après réflexion, le Bloc québécois votera en faveur du projet de loi en troisième lecture, parce que le Bloc a proposé deux amendements qui ont été adoptés.
Le premier visait à remplacer la définition de « gérant » par celle de « dirigeant ». On a beaucoup discuté de cela en comité. La notion de « gérant » auparavant dans le projet de loi visait beaucoup trop large. Dans la définition précédente, un fonctionnaire responsable des achats ou encore une infirmière chef d'équipe auraient été visés par le projet de loi. Beaucoup de témoins ont dit que cela allait beaucoup trop loin. Quant à la notion de « dirigeant », elle est bien établie dans le projet de loi. Elle vise les directeurs, les hauts membres de l'administration, comme le président et le vice-président. En somme, l'amendement fait porter la responsabilité à ceux qui dirigent les centres et non pas aux travailleurs, qui portent déjà le réseau de la santé à bout de bras.
L'autre amendement fait en sorte que le juge prendra en considération les sanctions prises en vertu des lois du Québec ou des provinces. Certaines provinces, tout comme le Québec, ont des lois contre la maltraitance qui forcent les établissements de soins à avoir des politiques et un processus de traitement des plaintes. Ainsi, le juge tiendra compte de cela pour imposer une ordonnance d'interdiction.
Le Bloc québécois croit qu'il est pertinent d'étudier si le fait d'inscrire la négligence criminelle envers les aînés résidant dans les CHSLD, soit les Centres d'hébergement de soins de longue durée, aidera ceux-ci à obtenir les soins et les services auxquels ils ont droit.
Les aînés ont été les plus grandes victimes de la pandémie de la COVID‑19. Nous en sommes conscients. Ils sont surreprésentés dans les décès. Ils sont également ceux qui ont souffert et qui continuent de souffrir le plus des contrecoups du virus par l'isolement, l'anxiété et les difficultés financières.
Soulignons que le Québec possède déjà la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité. Cela permet d'imposer des amendes et de protéger les délateurs qui témoignent des mauvais traitements. C'est là-dessus que je travaillais, à l'époque. Les organismes communautaires et le réseau de la santé ont travaillé de pair sur cette nouvelle loi.
Le Bloc québécois croit que le fédéral agit en conformité avec ses prérogatives avec ce projet de loi, qui ajouterait des outils aux enquêteurs. Le Bloc québécois a donc pris le temps d'étudier la question en comité pour évaluer la pertinence du projet de loi. Au-delà de poursuivre des gestionnaires qui auraient commis des gestes criminels ou qui pourraient en commettre, il est important que les aînés reçoivent les services qui amélioreront leur qualité de vie. À ce titre, le Bloc québécois souligne que l'autre rôle important que doit jouer le fédéral en matière de santé, c'est l'augmentation des transferts à 35 % des coûts du système; le Bloc québécois tient à rappeler que les tristes histoires survenues dans CHSLD ne sont pas un prétexte pour que le fédéral impose des normes nationales dans les CHSLD.
Bien entendu, on a vu la situation critique dans les CHSLD qui aura finalement contraint le gouvernement du Québec à demander l'aide de l'armée le 22 avril 2020, à la suite d'un appel raté à la mobilisation de la population pour combler le manque de personnel dans les établissements de soins. En mai 2020, il y avait des négociations entre le gouvernement Legault et le gouvernement libéral qui étaient particulièrement tendues par le refus du fédéral de reconduire l'aide de l'armée. Le fédéral a, en quelque sorte, instrumentalisé le recours à l'armée par le Québec pour annoncer son intention d'imposer des normes canadiennes pour les CHSLD dans son discours du Trône.
C'était pour lui une façon d'imposer ses exigences devant un front commun des provinces et du Québec, qui réclamaient une hausse des transferts en santé du fédéral à hauteur de 35 %. Au Québec, nous le demandons encore. Le gouvernement est même revenu à la charge, avec l'appui du NPD, pour imposer ses normes. Les libéraux persistent toujours, à ce jour, dans leur idée. Ils ont promis 6 milliards de dollars pour les établissements de soins de longue durée contre l'imposition de leurs normes lors de la campagne électorale de 2021.
Je pourrais faire la liste des nombreux événements dans la politique québécoise qui démontrent à quel point le Québec se préoccupe de ce qui se passe dans les CHSLD. Rappelons que les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 déterminent le partage des compétences gouvernementales entre le fédéral et les provinces, et qu'ils précisent que la santé est un pouvoir exclusif du Québec, à l'exception de la santé des Autochtones, des hôpitaux militaires, de l'homologation des médicaments et de la quarantaine. Rappelons-le, parce que c'est important.
Le Parti libéral du Canada et le NPD ont une tendance permanente de vouloir s'ingérer dans les champs de compétence des provinces, particulièrement dans celle de la santé, parce que, évidemment, c'est un domaine qui est proche des gens. Toutefois, le fédéralisme qu'ils défendent exige que chaque palier de gouvernement respecte ses compétences exclusives. Nous avions déjà eu ce débat avant les élections. En 2021, le NPD avait présenté pour nationaliser et imposer des normes aux établissements de soins de longue durée. À l'époque, nous nous étions déjà prononcés contre cela. Ce que nous voulons, c'est que le gouvernement fédéral fournisse sa part, parce qu'il y a une pénurie de main-d'œuvre et qu'il faut évidemment se donner les moyens pour travailler à la résolution de tous ces problèmes auxquels est confronté le système de santé.
Troisièmement, le gouvernement québécois a dû répondre aux partis de l'opposition quant aux décisions de ses ministres. Comme on le sait, une motion a même été déposée le 2 décembre 2020 par la ministre qui était à l'époque responsable des aînés et des proches aidants, afin de dénoncer la volonté des libéraux d'imposer des normes canadiennes dans les CHSLD. Cela avait été voté à l'Assemblée nationale du Québec. Le Bloc québécois défend donc la position unanime de l'Assemblée nationale du Québec et dénonce la vision centralisatrice des libéraux.
Depuis, un rapport du Protecteur du citoyen du Québec, dans lequel on fait des recommandations au gouvernement, a été publié. Depuis, il y a eu aussi un plan provincial de déploiement de main-d'œuvre d'urgence, un protocole de déploiement de main-d'œuvre supplémentaire en contexte exceptionnel, une stratégie nationale de lutte contre la pénurie de main-d'œuvre, une mise à jour des systèmes d'information. De plus, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a présenté un plan d'action national visant à reconnaître la complexité de la prestation des soins et des services en CHSLD. On a aussi adopté des mesures législatives définissant les principes directeurs à respecter en matière de qualité et d'organisation des milieux de vie, et on a fixé les modalités d'application par voie réglementaire. Bref, le Québec bouge et a déjà des pistes de solutions pour corriger la situation. Ce n'est pas le fédéral qui viendra améliorer les choses alors qu'il ne connaît pas la réalité de terrain de ces milieux hospitaliers particuliers.
On sait que le gouvernement du Québec a présenté son plan de refondation du système de santé. Ce plan comprend une panoplie de mesures, comme un recrutement massif de personnel, un meilleur accès aux données, la construction de nouveaux hôpitaux, une reddition de comptes accrue pour les dirigeants. De plus, des enquêtes du coroner se poursuivent et des voix s'élèvent pour qu'une enquête publique soit faite. Bref, dans tous les cas, les Québécois et les Québécoises sont en mesure de faire leur bilan et de corriger leur système, et ce n'est pas le fédéral qui peut arriver ainsi et décider de faire, à la place du Québec, le travail que ce dernier est déjà en train de faire.
Au Québec, comme on le sait, ces règlements sont inscrits dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux. La majorité des foyers de longue durée, c'est-à-dire 86 %, sont publics. Ailleurs au Canada, c'est 46 %. Nous avions déjà dit tout cela à l'époque, quand a eu lieu le débat sur les normes nationales pour les CHSLD. Soyons bien clairs, ce sont les provinces et le Québec qui ont l'expertise et l'expérience en matière de foyers de soins de longue durée. Ce n'est pas le fédéral.C'est pour toutes ces raisons que le Québec s'est opposé à toutes ces normes nationales.
En conclusion, si le gouvernement fédéral souhaite réellement aider les provinces et le Québec à se sortir de la pandémie et à améliorer les soins offerts aux aînés, il doit cesser de se montrer paternaliste. Il doit oublier l'idée de normes nationales imposées, mal adaptées aux contextes sociaux et institutionnels, et augmenter les transferts en santé qui permettront, eux, d'attirer et de retenir plus de gens dans le système de santé.
Au moins, dans ce projet de loi, des amendements ont été acceptés par le Bloc québécois. Nous avons entendu les témoignages et avons suivi de très près, avec rigueur, les travaux en comité. C'est pour cette raison que nous voterons en faveur du projet de loi, dans le but de surtout nous pencher sur ce qui touche davantage au Code criminel, qui relève du fédéral.