Madame la présidente, j'interviens ce soir pour participer à ce débat qui est d'une importance historique parce que le monde a changé. Je sais que c'est une phrase éculée, mais la situation a évolué depuis une semaine parce que Vladimir Poutine menace d'utiliser des armes nucléaires après avoir attaqué agressivement, scandaleusement et illégalement une démocratie qui ne l'avait pas menacé.
On pourrait analyser les choses en rétrospective et se demander ce qu'on aurait dû faire autrement à différents moments de l'histoire de la relation entre l'ancienne Union soviétique et l'Occident. À la chute de l'Union soviétique, je me souviens m'être demandé: « Où est le plan Marshall? Qu'allons-nous faire pour les États anciennement membres de l'URSS, la Russie et ses voisins? »
De toute évidence, ils avaient besoin d'aide. Nous ne leur en avons pas offert. Nous éprouvions un sentiment triomphal à la suite de l'hégémonie du capitalisme occidental et nous avons simplement abandonné la population russe. Nous l'avons essentiellement laissée entre les mains du crime organisé. Capitalisme? Peut-être. Démocratie? Bien peu. Certes, il y avait une grande ploutocratie alimentée par les ressources naturelles. À l'époque, la population russe avait une piètre espérance de vie, et c'est encore le cas de nos jours. Sa qualité de vie a diminué après qu'elle s'est débarrassée de l'URSS. Cela n'aurait jamais dû se produire. Nous aurions dû souhaiter les dividendes de la paix. Nous attendons toujours les dividendes de la paix. Les États-Unis et les pays du monde entier ont cessé de consacrer autant d'argent au complexe militaro-industriel dans leurs budgets parce que nous n'en avions plus besoin. L'URSS n'était plus. Or, nous avons trouvé d'autres ennemis. Nous avons décidé que nous n'avions pas besoin de dividendes de la paix. Nous avons continué d'investir dans la guerre et avons raté l'occasion.
C'est probablement la meilleure occasion que nous ayons ratée, parce que Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan avaient entamé un désarmement nucléaire mondial, mais le Canada n'y a pas pris part. Il y a un traité pour l'abolition des armes nucléaires et le Canada n'en est pas signataire. Nous devons porter attention à cet enjeu, mais nous avons cru que les armes nucléaires étaient un problème du passé. Elles ne le sont pas. Il y a des réserves d'armes nucléaires et des têtes d'ogives nucléaires dans le monde et il faut recommencer à nous intéresser à cet enjeu qu'est la menace d'une guerre nucléaire.
Dans le cadre du débat de ce soir, qui a porté principalement sur le même thème, je dois parler de l'idée peu judicieuse qui est revenue à plus d'une occasion concernant la nécessité pour le Canada de construire davantage de pipelines et du fait que l'Europe a besoin de plus de combustibles fossiles. Si on écoute les dirigeants de l'Europe et de l'Ukraine, ce n'est pas ce qu'ils demandent. D'ailleurs, la commissaire chargée de l'énergie de l'Union européenne, Kadri Simson, a affirmé que la crise provoquée par la Russie signifie qu'il faut « accélérer le recours aux énergies renouvelables et accroître l'efficience énergétique aussi rapidement que la technologie nous le permet ».
Que dit l'Allemagne? Elle vient de laisser tomber son plus important projet d'énergie fossile avec la Russie. Le pipeline Nord Stream 2 a été annulé et qu'est-ce que Robert Habeck, ministre de l'Économie et du Climat du gouvernement Scholz et codirigeant du Parti vert a affirmé? Il a dit qu'il était « temps d'accélérer » le passage aux énergies renouvelables. Les États pétroliers et les dictateurs qui les dirigent rendent le monde moins sûr.
Certaines grandes sociétés pétrolières déclarent même qu’elles doivent sortir de Russie. Shell et BP ont annulé leurs projets en Russie, mais pas Exxon. Exxon est resté. Il est impératif de tout mettre en œuvre pour exiger des explications d’Exxon concernant le fait qu’elle maintienne ses investissements dans le pétrole et le gaz russes. La compagnie française, TotalEnergies, est aussi encore présente en Russie.
Les arguments les plus convaincants concernant ce que nous devons faire à propos des énergies fossiles dans ce contexte nous viennent de la directrice de la délégation ukrainienne au Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, la scientifique Svitlana Krakovska, qui a déclaré alors que les bombes tombaient tout près d’elle sur Kiev: « Nous ne capitulerons pas en Ukraine et nous espérons que le monde ne capitulera pas dans sa construction d’un avenir climatique durable [...] Le changement climatique provoqué par l’homme et la guerre en Ukraine ont les mêmes racines: les combustibles fossiles et notre dépendance vis-à-vis d’eux. »
Je veux remercier la vice-première ministre. Nous sommes uniques dans le monde, car il se trouve que notre vice-première ministre est une spécialiste de la question russe. Elle a écrit un livre, Sale of the Century, à propos de la ploutocratie et du crime organisé qui a pris le pouvoir après la chute de l’URSS. Je suis convaincue que son parcours et le fait qu’elle ait été personnellement interdite de voyage en Russie par Vladimir Poutine — un insigne honneur — lui permettront de mener le combat pour exclure la Russie du système international de paiements SWIFT.
Mon temps de parole est écoulé. Je suis prête à répondre aux questions.