Madame la Présidente, je prends aujourd'hui la parole depuis le territoire traditionnel du Conseil des Ta'an Kwach'an et de la nation des Kwanlin Dun, et je suis reconnaissant de la confiance que la population du Yukon m'a accordée en me permettant de la représenter à la Chambre et de participer à ce débat important.
Nous avons le privilège immense de pouvoir tenir un tel débat sur les principes fondamentaux de notre démocratie, l'une des plus respectées et des plus prospères au monde.
En tant que députés, nous avons la responsabilité de mettre de côté l'idéologie partisane pour examiner les meilleures données probantes et établir la voie à suivre afin de protéger notre démocratie contre toutes les atteintes à son intégrité et toutes les menaces à sa survie.
Aujourd'hui, nous discutons du recours à la Loi sur les mesures d'urgence, une loi qui a été adoptée en 1988 pour remplacer la Loi sur les mesures de guerre afin de permettre au gouvernement fédéral d'adopter des méthodes spéciales pour une période donnée en temps de crise, lorsque les mesures en place ne suffisent pas à régler la crise.
Comme beaucoup de députés l'ont déclaré, c'est la première fois que le gouvernement prend de telles mesures. Je joins ma voix à celles de mes collègues qui estiment qu'il fallait invoquer la loi pour mettre un terme à l'occupation d'Ottawa, démanteler les barrages ou prévenir la construction de nouveaux barrages par les mêmes groupes, et contrer les menaces visant les infrastructures essentielles.
Soyons clairs: ce n'est plus à une manifestation contre les mesures obligatoires que nous avons affaire. C'est un siège, une occupation et une menace crédible pour la démocratie. Je reviendrai sur cette question, mais je voudrais d'abord faire part à la Chambre de quelques réflexions sur la pandémie et les nombreuses mesures qui ont été mises en œuvre en réponse à cette crise de santé publique.
L'épuisement causé par cette pandémie qui n'en finit plus et la lassitude qu'elle engendre sont à l'origine d'une bonne partie des troubles actuels, non seulement parce que la situation dure depuis deux ans, mais aussi en raison des nombreux faux espoirs que nous avons entretenus. Combien de fois encore allons-nous entrevoir la lumière au bout du tunnel, pour ensuite comprendre que c'est plutôt un autre train qui se dirige vers nous?
Il a maintenant presque deux ans, c'est comme médecin hygiéniste en chef du Yukon que j'ai vécu les premières semaines de la pandémie, où nous avons vu celle-ci se rapprocher du Yukon et cherché à nous y préparer. Je me souviens très bien que c'est les larmes aux yeux que la médecin hygiéniste en chef adjointe, la Dre Elliott, a annoncé qu'il fallait annuler les Jeux d'hiver de l'Arctique, la première d'une longue série d'activités festives qui allaient tomber sur le passage de la COVID.
Peu après, et avant même d'enregistrer notre premier cas, nous avons déclaré une urgence de santé publique, parce que nous étions conscients des mesures extraordinaires qu'il faudrait mettre en place pour combattre cette pandémie. Le souvenir des jours où j'ai annoncé le premier cas de COVID‑19 au Yukon, puis le premier décès attribuable au virus, est aussi frais dans ma mémoire que si cela s'était passé hier.
Nous avons très vite déterminé que la seule façon de nous protéger contre la COVID consistait à restreindre temporairement les déplacements non essentiels vers le Yukon et à imposer des exigences de quarantaine. Nous savions à quel point c'était une mesure draconienne et lourde de conséquences. Des Yukonnais s'y sont opposés, certains avec véhémence, et nous étions pleinement conscients des difficultés et des pertes que notre décision entraînait.
La plupart des gens ont cependant appuyé les restrictions, qui ont contribué à nous protéger et nous ont permis de bénéficier d'une plus grande liberté à l'intérieur du territoire. Nous avons fait front commun et réussi à limiter l'incidence de la COVID au minimum jusqu'à ce que l'arrivée des vaccins nous offre la possibilité de remplacer graduellement les mesures de contrôle à la frontière par une stratégie vaccinale, et ce, bien avant la plupart des autres administrations ayant adopté des approches semblables.
Même avant que les vaccins soient accessibles, nous avons ouvert les frontières quand c'était possible et, à l'été 2020, nous avons même levé les exigences de quarantaine pour la bulle que nous formions avec la Colombie-Britannique, afin de permettre à la population de se déplacer librement entre la province et le territoire. Cette possibilité de voyager et de revoir parents et amis a servi d'exutoire aux habitants.
Dans l'ensemble, notre stratégie d'isolement a porté ses fruits. Y a-t-il eu un prix à payer? Absolument. Nous avons partagé la peine des aînés privés de visiteurs dans les centres de soins de longue durée, mais nous avons évité les éclosions de COVID dans ces établissements et préservé de nombreuses vies. Des familles ont été séparées, des gens ont dû faire le deuil d'un être cher dans la solitude, des célébrations de toutes sortes ont été annulées ou considérablement réduites, des lieux de travail ont eu du mal à tenir le coup et l'industrie touristique a grandement souffert, mais parce que nous avions des mesures qui étaient proportionnelles au risque de propagation de la COVID, nous avons pu éviter d'imposer de trop lourdes contraintes à la population.
Grâce aux indemnisations dont nous avons bénéficié, notamment d'importantes prestations fédérales auxquelles se sont ajoutées les mesures d'aide du gouvernement territorial, les habitants et les entreprises ont pu se maintenir à flot malgré les défis considérables qu'ils ont rencontrés.
Je vous dis tout cela parce que je veux aider les députés à comprendre les douloureux compromis et les atteintes aux libertés individuelles auxquels nous avons dû consentir dans l'intérêt supérieur de la population. Nous savions qu'il y avait un prix à payer, et nous ne l'avons pas caché. Très tôt, nous avons commencé à mesurer et à documenter non seulement les effets du virus mais aussi les conséquences des restrictions.
On a observé des répercussions en matière de santé mentale: dépression, anxiété, dépendance et décès liés aux drogues toxiques. On a accumulé des retards dans les soins médicaux et chirurgicaux et les services de dépistage. Des enfants ont souffert d'un manque de socialisation et d'activité physique.
En tant que médecin hygiéniste en chef, j'ai toujours cherché à comprendre et à aplanir la résistance et les hésitations. Lorsque les vaccins sont arrivés, nous avons misé sur la discussion et la conversation pour déterminer quelles croyances amenaient certaines personnes à refuser de se faire vacciner, et nous avons travaillé avec les individus et les communautés réfractaires en vue d'atteindre des taux de vaccination encore plus élevés.
Notre décision de lever les exigences de quarantaine pour les personnes ayant reçu tous les vaccins nécessaires a été accueillie avec joie et soulagement. Bien sûr, il y a eu des mécontents et certains se sont opposés à la mesure. Mais grâce à la liberté supplémentaire accordée aux personnes entièrement vaccinées, un plus grand nombre de Yukonnais ont pu voyager, davantage de familles ont pu se réunir et de nombreuses autres personnes ont décidé de se faire vacciner, contribuant ainsi à mieux préparer notre petite population à faire face aux prochaines vagues de la pandémie.
Est-ce que les exigences et les obligations en matière de vaccination restreignent les libertés individuelles? Oui, dans une certaine mesure, mais on pourrait dire la même chose des lois concernant les ceintures de sécurité ou l'alcool au volant et les autres politiques de vaccination. En réalité, bon nombre des lois et des règlements courants nous protègent et nous permettent de profiter de la vie.
L'objectif devrait toujours être l'intérêt supérieur de la population. Dans le cas des politiques de vaccination contre la COVID, cela correspond à permettre à divers secteurs de reprendre ou d'accroître leurs activités, à faire en sorte que les gens puissent continuer à gagner leur vie ou à inciter des personnes à se faire vacciner.
Alors que la pandémie recule encore une fois, nous devrions être en mesure de réduire voire d'annuler bon nombre de ces exigences, d'autant plus que notre boîte à outils pour lutter contre la COVID s'étoffe. Ces outils comprennent de meilleurs masques et une meilleure connaissance de la façon dont ils fonctionnent, une meilleure compréhension du rôle de la ventilation, une panoplie croissante de vaccins, l'arrivée de traitements efficaces et même une immunité accrue de la population acquise lors de la récente vague Omicron.
Mais qu'on me comprenne bien: nous ne devrions pas nous empresser de mettre fin aux restrictions et aux politiques. S'il y a bien une chose que nous avons apprise, c'est que les mesures de santé publique doivent être imposées rapidement en cas de menace, mais levées progressivement, en fonction d'une analyse experte de l'activité virale et de la surveillance du virus à l'échelle internationale.
Malheureusement, la pandémie ne disparaîtra pas du jour au lendemain. D'aucuns s'empressent de déclarer que nous sommes dans une phase endémique sans même savoir ce que signifie « endémique ».
Il convient de noter qu'au Danemark, par exemple, où une forte proportion de la population est vaccinée et où les restrictions ont été abolies rapidement, un pays souvent présenté à la Chambre comme l'un de ceux dont nous devrions adopter les politiques, on observe déjà une inquiétante tendance à la hausse du nombre de décès et d'admissions aux soins intensifs. Il y a un coût, et ce coût sera assumé de manière disproportionnée par les personnes les plus à risque et les plus vulnérables. Il s'agit des personnes immunodéprimées, de celles qui ont un handicap et de celles qui, pour une raison ou une autre, ne sont pas vaccinées.
D'autres pays ou régions du monde où l'on a levé les restrictions à la hâte me préoccupent également. Nous devons traverser la phase actuelle de la pandémie de manière progressive et réfléchie, et faire preuve d'une grande prudence à l'égard de ce qui nous attend.
Revenons maintenant à la Loi sur les mesures d'urgence et à la question de savoir si elle est justifiée. Comme je l'ai mentionné, j'estime qu'elle était nécessaire, pour toutes les raisons évoquées de ce côté-ci de la Chambre. J'ai moi aussi reçu des courriels et des lettres de gens qui me demandaient d'appuyer le convoi. Il y a même des Yukonnais qui m'ont écrit en ce sens. Mais j'ai aussi reçu de nombreux courriels et appels de personnes préoccupées par la situation. Un habitant du Yukon qui représentait ses nombreux amis du même avis que lui m'a appelé et m'a dit: « Vous devez faire quelque chose. Cette occupation et ces barrages sont inacceptables dans une démocratie. Vous devez en faire plus. »
La capitale de notre pays est occupée. Aussi angoissés qu'aient pu être les habitants d'Ottawa, ce sont des Canadiens vivant à 5 400 kilomètres d'ici qui m'ont lancé cet appel. L'occupation d'Ottawa, c'est bien plus qu'une ville en état de siège. Des gens — y compris des membres de ma propre famille — sont habités par la peur. Le centre-ville est paralysé comme une zone de guerre. Il s'agit d'une occupation causant de graves perturbations et manifestant des penchants pour la violence qui a mis notre capitale à genoux.
On l'a déjà mentionné à maintes reprises, mais je le répète: la Loi sur les mesures d'urgence est évolutive, ce qui signifie que la réponse peut être adaptée en fonction de la menace. Elle est limitée dans le temps et dans sa portée. Elle prévoit d'importants mécanismes de surveillance parlementaire — comme celle que nous exerçons en ce moment — pour assurer que les mesures adoptées ne donnent pas lieu à des abus. Enfin, ce qui est peut-être le plus important, c'est qu'elle doit être conforme à la Charte, c'est-à-dire qu'elle doit être mise en application dans le respect de la Charte des droits et libertés.
La Loi vise à fournir des pouvoirs additionnels aux provinces et aux territoires qui en ont besoin, mais elle n'entraîne aucune atteinte aux droits des citoyens, où qu'ils soient.
Certains de mes collègues d'en face ont comparé la Loi sur les mesures d'urgence, même aujourd'hui, à l'invocation de la Loi sur les mesures de guerre en octobre 1970. Sans nécessairement chercher à dévoiler mon âge, je dirai que c'est un jour que le jeune garçon de 12 ans que j'étais se rappelle très bien. J'avais à peu près l'âge de mon propre fils, qui a 13 ans, et de ma petite-nièce Audrey, qui célèbre son 12e anniversaire aujourd'hui à Ottawa. Je souhaite un joyeux anniversaire à Audrey en ce dimanche inusité.
Pour en revenir à 1970, alors que j'avais 12 ans, je me souviens de la stupeur et du désarroi dans lesquels l'enlèvement de James Cross et de Pierre Laporte, puis le meurtre de M. Laporte, avaient plongé le pays. C'était une période tendue, et bon nombre d'entre nous repensent à ce qu'a vécu le Canada et à sa réponse au cours de ces mois empreints de peur, de violence et de menace.