Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité.
Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter du projet de loi C-75. Je tiens à préciser tout d'abord que je témoigne à titre personnel. Je ne représente pas de cabinet ou d'organisation. Je pourrais passer pour un non-initié dans le débat, mais les choses se préciseront dans un instant.
Si on a suggéré que je témoigne, c'est principalement parce qu'en 2012, j'ai rédigé un rapport intitulé « A Criminal Justice System for the 21st Century ». Dans ce rapport, j'ai parlé de ce que je considérais être une culture de complaisance à l'égard des délais dans notre système de justice pénale. Cette expression et le rapport ont été cités par la majorité, et la minorité, dans l'arrêt Jordan comme l'une des raisons nécessistant que des mesures soient prises pour réduire les délais dans nos systèmes.
J'ai aussi siégé pendant presque une dizaine d'années au conseil d'administration de notre société d'aide juridique, en administrant le côté défense de notre système de justice pénale, ce qui m'a permis de voir les problèmes administratifs du point de vue de la gestion. Je ne suis pas, toutefois, un praticien du droit criminel. J'ai pratiqué le droit pénal à l'occasion, mais seulement à haut risque pour mes clients.
J'ai quelques observations générales à faire, puis je vous parlerai de quelques besoins particuliers.
Premièrement, je pense que la chose la plus utile que je puisse faire, c'est de jeter un peu de lumière sur la situation en général. Les délais ont une très longue histoire dans notre système de justice et dans presque tous les systèmes de justice qu'on peut étudier. Quand on examine attentivement la question, on se rend compte que les délais sont un problème chronique, récurrent, et que les solutions sont toujours des solutions temporaires et à court terme qui ne procurent pas d'avantages durables pour le bien public.
J'aimerais mentionner tout d'abord qu'il faut prendre conscience qu'une solution durable nécessitera des changements législatifs qui auront un impact sur la culture dans notre système, de même que des changements systémiques.
À mon avis, un des problèmes dans ce débat est qu'on s'efforce d'éviter les délais, et que cela ne devrait pas être notre but. Notre but ne devrait pas être d'éviter une catastrophe. Notre but devrait être d'administrer la justice en temps opportun en servant l'intérêt public et en répondant aux besoins des victimes et de la collectivité en général. Il nous arrive trop souvent de ne pas tenter d'atteindre ce but dans tous les éléments de notre système, et je pense que nous devons accomplir ce changement culturel.
Le succès des changements envisagés dépend non seulement de leur bien-fondé, mais aussi des ressources qu'on y investit pour les accomplir. Historiquement, les changements législatifs qui ont été faits sans être accompagnés des ressources nécessaires sont légion.
Deuxièmement, il faut documenter ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Un des problèmes vient du fait que les gens font des changements, et qu'ensuite personne ne fait de suivi et ne recueille de l'information sur leurs conséquences pour pouvoir réagir de la bonne façon. Les deux derniers éléments sont les plus difficiles à accomplir dans tout système, mais ils sont aussi les plus importants. Je vais revenir sur les conséquences de cela plus tard avec des propositions précises.
Au sujet de l'élimination ou la limitation des enquêtes préliminaires, je dirais que pour la plupart des gens dans cette salle, le débat a commencé quand vous étiez en 7e année. J'ai participé à mon premier débat sur l'utilité des enquêtes préliminaires dans les années 1980, ce qui ne me rajeunit pas. Au début des années 1990, toutefois, la plupart des premiers ministres au pays étaient d'accord avec l'idée que les enquêtes préliminaires n'étaient plus nécessaires et que leur nombre devait être radicalement réduit.
À mon humble avis, le fait que les enquêtes préliminaires dans leur forme actuelle aient vu le jour il y a plus d'une centaine d'années ne justifie pas qu'on les maintienne. Je pense qu'on doit s'en débarrasser et trouver de meilleures façons d'atteindre leurs objectifs premiers.
Si je peux revenir à une de mes remarques précédentes, la réalité de l'arrêt Stinchcombe a modifié le contexte dans lequel les enquêtes préliminaires sont menées. Je pense qu'il faut en prendre conscience et dire au système qu'il doit trouver de meilleures façons d'atteindre ces objectifs.
Au sujet des éléments de preuve de routine de la police — et il se pourrait bien que je sois la voix dissidente dans tout ce débat —, si vous vous promenez dans les tribunaux provinciaux sans être praticien en droit pénal, vous aurez l'impression qu'on consacre beaucoup de temps à des riens, à des choses auxquelles les gens ne devraient pas consacrer de temps. Les contribuables qui le font diront: « J'ai été appelé à faire partie d'un jury et je me suis promené dans la salle d'audience. Qu'est-ce qui s'y passait? » Il faut s'occuper du problème. J'appuie la proposition visant à recenser les catégories de preuves qui ne nécessitent pas de contre-interrogatoire de plein droit. On peut faire confiance aux juges pour déterminer quand une demande ne nécessite pas de contre-interrogatoire.
Mais ce qui est plus important encore, c'est une occasion d'apprendre. Si nous le faisons, nous pourrons apprendre comment faire la différence entre les preuves qui nécessitent une approche conventionnelle et celles qui n'en nécessitent pas.
Je vais dire deux choses au sujet des récusations péremptoires. Premièrement, je m'inquiète de l'effet des vases communicants. Si on abolit les récusations péremptoires, les récusations motivées gagneront en popularité ailleurs. L'expérience a été tentée dans d'autres systèmes. On sait que les récusations motivées peuvent bondir de façon astronomique, car c'est ce qui s'est produit dans certains États aux États-Unis. Elles peuvent entraîner une perte d'efficacité et des délais importants, et je pense que c'est une préoccupation tout à fait légitime.
Je me permets de faire une observation que vous n'avez sans doute pas encore entendue. Elle concerne le système de jurés que nous avons au Canada. Nous avons fait de l'étude du système de jurés une infraction criminelle, car les jurés ne sont pas autorisés à parler des délibérations du jury. Aux États-Unis, une foule de recherches légitimes sont effectuées sur l'efficacité des jurés — sur leur façon de travailler, sur les éléments positifs et négatifs —, car la recherche est autorisée. Au Canada, l'article 649 du Code criminel ne l'autorise pas.
Des voix réclament de temps à autre qu'on nuance la question, et je suggère fortement à quiconque a à coeur le système de jurés d'appuyer une modification visant à nuancer l'interdiction afin de permettre que des recherches légitimes soient effectuées sur le système de jurés au Canada. La proposition erre dans les corridors et, à mon humble avis, quelqu'un devrait s'en emparer pour la dépoussiérer et l'inclure dans le débat.
J'ai aussi une observation à faire sur les infractions administratives. J'ai examiné la question en Colombie-Britannique, et je dirais que l'augmentation astronomique des infractions administratives justifie qu'on les traite de façon différente. La question de savoir comment les traiter suscite beaucoup de débats, mais j'espère qu'après un examen minutieux, on aura un point de vue différent sur les conditions de remise en liberté et la façon de les superviser.
Mon dernier point n'est pas d'ordre législatif, mais une observation à propos d'une question cruciale au succès de tout ensemble de propositions. Si les ressources consenties sont réparties de manière inéquitable entre les juges, la Couronne et les agents de police, et qu'on n'accorde pas de ressources suffisantes aux avocats de la défense grâce à des programmes d'aide juridique, les propositions vont échouer. Je peux vous le garantir. L'aide juridique est encore l'enfant pauvre dans ces débats et discussions, et à mon humble avis, elle peut être une source de partenariats efficaces pour accroître l'efficacité de notre système.
Merci.