Distingués membres du Comité du Patrimoine canadien, je vous remercie tout d’abord d’avoir invité la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec. Je m'appelle Luc Fortin, je suis musicien professionnel et président du conseil d’administration de la guilde depuis mars 2006.
La Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, la GMMQ, est une association regroupant plus de 3 000 musiciens professionnels. Sa mission première consiste à défendre et promouvoir les intérêts économiques, sociaux, moraux et professionnels des musiciens qu’elle représente, et à négocier les conditions de travail de ses membres au moyen d’ententes collectives. La GMMQ est une association reconnue en vertu des Lois sur le statut de l’artiste aux paliers fédéral et provincial. Nous sommes aussi affiliés à la Fédération américaine des musiciens du Canada et des États-Unis, qui comprend 10 000 membres au Canada.
Nous allons insister, compte tenu du cadre de référence qui nous a été soumis, sur les aspects suivants: l’importance de la diversité des voix et l'aide du gouvernement fédéral à la production locale.
En ce qui concerne la diversité de voix, citons tout d’abord une partie de l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion:
i) la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois:(ii) puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales, (iii) renfermer des émissions éducatives et communautaires, (iv) dans la mesure du possible, offrir au public l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent, [...]
Comme le mentionnait le 25 mars 2009 le président du CRTC, M. Finckenstein, dans son allocution devant ce même Comité permanent du patrimoine canadien, la concentration des médias menace la diversité des voix. Je le cite:
Le risque inhérent à un petit nombre de grandes entreprises est que cette situation pourrait mener à la réduction de la diversité des voix dans le système de radiodiffusion. Un système démocratique comme le nôtre dépend d’une variété de perspectives en matière d’émissions de nouvelles et d’information.
Nous ajouterions aussi qu’une variété de perspectives culturelles est tout aussi importante. La tendance actuelle va vers la fusion d’entreprises de productions artistiques et de conglomérats médiatiques. Quand la même entreprise contrôle le contenant, le véhicule et le contenu, il y a là une tout aussi grande menace à la diversité. Notre politique de radiodiffusion nationale doit soutenir et garantir l’accès à des sources culturelles variées qui reflètent la richesse de notre culture nationale.
Je cite de nouveau le président du CRTC, M. Finckenstein:
[...] les stations de télévision desservant une population de moins de un million de personnes ont de la difficulté à maintenir la qualité de leur programmation locale et le nombre d’émissions locales. De plus, les Canadiens nous ont dit dans des mots on ne peut plus clairs à quel point ils apprécient les nouvelles de leur télévision locale.
La production télévisuelle locale est un outil important pour promouvoir la diversité des voix et la diversité culturelle. Elle a la possibilité d'entretenir le sentiment d’appartenance à sa communauté; de faire la promotion de la vie culturelle et sociale locale, et des arts en général; de raffermir le sentiment que les arts occupent une place importante dans notre vie; de freiner l’exil des artistes locaux vers les grands centres et de permettre aux artistes en tournée de tisser de meilleurs liens avec la communauté.
Une vie socioculturelle épanouie dans les communautés locales est une grande richesse. Elle permet à tous les citoyens de pouvoir s’épanouir dans leur milieu et de profiter d’une qualité de vie à la hauteur de leurs attentes.
Parlons maintenant de l'aide du gouvernement canadien à la télévision locale. Le Fonds pour l'amélioration de la programmation locale pourra servir à soutenir des initiatives permettant de sauver des stations de télévision locales. Il devrait aussi encourager les télédiffuseurs qui ont toujours démontré leur engagement envers la télévision locale, et je donne Radio-Canada en exemple.
Radio-Canada a historiquement eu un rôle important dans la diffusion d’un contenu local diversifié, tant du point de vue culturel que de l’information. Malheureusement, le diffuseur public Radio-Canada n’aura pas droit à son enveloppe réservée de 37 p. 100 dans le futur Fonds des médias.
Pourtant la SRC, à titre de radiodiffuseur public national doit offrir, selon le mandat qui lui est donné par la Loi sur la radiodiffusion, une programmation qui doit « refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu’au plan régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions » et « contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre ».
Cette mission devient difficile à réaliser si on impose à la SRC le critère des meilleures cotes d'écoute à la télévision publique, tout en lui retirant des sources stables de financement. La télévision locale, qui pourrait également être diffusée, et même exclusivement, sur Internet, devrait non seulement pourvoir à l'information locale et régionale mais aussi offrir une vitrine de choix aux artistes locaux et informer les citoyens sur la vie culturelle dans leur région.
Il faut encourager la production de contenu à caractère musical permettant aux artistes de se faire connaître dans les marchés régionaux. Le Fonds pour l'amélioration de la programmation locale devra donc aussi favoriser la diffusion de la culture localement. Par le fait même, il faudra apporter une aide accrue à la production d'émissions avec contenu musical sur les grands réseaux de télévision.
Plus de possibilités pour nos artistes sur les grands réseaux profite ensuite aux mêmes artistes qui ont été encouragés d'abord sur la scène locale. Inversement, une culture régionale en santé donne accès à un bassin de talents qui enrichit l'offre culturelle globale. Il faut aujourd'hui imaginer les politiques concernant la radiodiffusion dans un contexte global, chaque élément faisant partie d'un écosystème équilibré. La diffusion locale en fait partie, comme les grands réseaux; la télévision spécialisée; la production indépendante, tant sur le Web que sur la télévision traditionnelle; les artistes et travailleurs culturels; les cablôdistributeurs. Toutes ces composantes définissent l'environnement télévisuel auquel le citoyen a accès et aident à décrire notre environnement culturel en général. L'offre télévisuelle locale est une partie intégrante de ce tout, un maillon dans la chaîne de notre écosystème culturel.
Présentement, il y a des politiques contradictoires, un manque de cohérence avec les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion, un manque de cohésion à l'intérieur même de ces politiques. Je vous donne quelques exemples.
Comme la diversité des voix est une valeur importante, le nouveau Fonds des média du Canada devrait aider à la création de contenu reflétant la diversité culturelle canadienne, et non seulement prioriser la rentabilité et les cotes d'écoute. Les émissions à grandes cotes d'écoute ont justement moins besoin des fonds publics parce qu'elles vont profiter de bien meilleurs revenus publicitaires.
Le nouveau Fonds des médias du Canada est en apparente contradiction avec l'esprit de la loi qui recommande « de faire appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants ». En fait, les producteurs canadiens indépendants ne seront pas représentés dans le processus décisionnel de l'attribution des fonds. Le nouveau conseil d'administration sera composé d'un membre nommé par Patrimoine Canada et de cinq membres nommés par les entreprises de distribution de radiodiffusion.
Bien que le CRTC ait établi certaines règles visant à préserver la diversité des voix, le nouveau Fonds des médias du Canada va dans le sens contraire. Les grandes entreprises privées contrôleront un fonds constitué essentiellement de l'argent des contribuables canadiens. Selon la politique du Fonds des médias, les producteurs de contenu télévisuel sur Internet devront s'associer aux télédiffuseurs traditionnels pour être soutenus par le Fonds: il n'y aura pas de production 100 p. 100 Web.
Pourtant, M. Finckenstein, président du CRTC, déclarait devant votre comité: « La télévision conventionnelle n'est plus en mesure d'assumer la plus grande partie des obligations découlant de la Loi sur la radiodiffusion. »
Si c'est le cas, selon le CRTC, pourquoi le financement n'est-il pas accessible aux productions spécifiquement sur Internet? De plus, ces productions sur le Web pourraient très bien compléter une programmation locale déficiente, là où les télédiffuseurs traditionnels sont absents.
En conclusion, bien que le Fonds pour la production locale de télévision soit une bonne initiative, il faudra beaucoup plus de cohésion entre les différents rouages du système de radiodiffusion et les politiques gouvernementales pour que se reflète une réelle diversité des voix qui donnera aux Canadiens de toutes les régions une information et une programmation culturelle locale représentative.