Monsieur le Président, je prends la parole au sujet de l'avis de question de privilège que j'ai transmis au Bureau à la suite du dépôt du 17e rapport du comité permanent des opérations gouvernementales.
D'emblée, je tiens à souligner que le comité des opérations gouvernementales se réunit cet après-midi et que nos collègues qui y siègent voudront peut-être en parler à la Chambre demain, voire vendredi.
La semaine dernière, Kristian Firth, cofondateur de GC Strategies, une entreprise de TI de deux personnes qui n'effectue aucun travail réel, a finalement comparu devant le comité des opérations gouvernementales pour répondre de son rôle et de celui de son entreprise au cœur d'ArnaqueCAN, l'application du gouvernement libéral.
La Chambre est déjà au courant du rapport accablant de la vérificatrice générale sur ce fiasco en matière d'approvisionnement. D'autres enquêtes ont été lancées de-ci de-là par d'autres mandataires du Parlement, et peut-être même par la Gendarmerie royale du Canada. Je crois que Bill Curry, du Globe and Mail, a compté 12 enquêtes en cours.
Les parlementaires avaient des questions à poser à M. Firth et à Darren Anthony, son partenaire. Ces témoins ont longtemps refusé de comparaître devant le comité. C’est pourquoi, dans son 14e rapport, le comité a demandé qu’un ordre de la Chambre soit donné pour les obliger à comparaître devant le comité, appuyé par l’autorisation d’un mandat du Président de la Chambre pour les mettre sous garde, au besoin. La Chambre a adopté ce rapport à l’unanimité le jour même de son dépôt.
Comme je l’ai dit, M. Firth a semblé répondre aux questions, mais je ne qualifierais pas ses propos de « réponses ». C’est pourquoi, à la fin de sa comparution mercredi dernier, le comité des opérations gouvernementales a adopté à l’unanimité et sans débat une motion des conservateurs visant à présenter, à l’intention de la Chambre, un rapport « qui exposera la possible atteinte au privilège découlant du refus de Kristian Firth de répondre à certaines questions que le Comité a convenu de lui poser et de ses tergiversations face à d’autres questions ».
Je tiens à souligner que le plus inquiétant, c’est le refus de M. Firth de divulguer avec quels titulaires de charge publique il a communiqué au sujet de l’élaboration d’un soi-disant marché concurrentiel avec l’Agence des services frontaliers du Canada. La Chambre se souviendra que la vérificatrice générale a constaté, au paragraphe 1.56 de son audit d’ArriveCAN, que GC Strategies avait participé à l’élaboration des exigences que l’Agence des services frontaliers du Canada a incluses dans la version définitive de la demande de propositions. Naturellement, les parlementaires voulaient savoir qui lui avait parlé.
Or, M. Firth a esquivé les questions de plusieurs membres du comité, dont moi, refusant à maintes reprises d'y répondre, invoquant, pour se justifier, le fait qu'une enquête de la GRC est en cours. Lorsqu'on lui a demandé s'il comprenait qu'il est impératif de répondre aux questions d'un comité parlementaire, il a, encore une fois, refusé de répondre, soutenant que les conversations entre lui et son avocat sont confidentielles.
Le témoin a offert des réponses évasives à d'autres questions qui lui ont été posées, un concept que certains ouvrages de référence en matière de procédure appellent « tergiversation », ce sur quoi je reviendrai dans un instant.
J'aimerais porter à votre attention, à titre d'exemples, une poignée d'échanges qui ont eu lieu entre les membres du comité et M. Firth.
J'ai demandé à M. Firth s'il avait déjà menti à un comité parlementaire. Il a répondu: « Je vous conseille d'aller regarder mes témoignages précédents. » J'ai également demandé quels titulaires de charge publique M. Firth a rencontrés à l'extérieur des bureaux du gouvernement. M. Firth a répondu: « Je me ferai un plaisir de vous transmettre cette information par écrit, mais je ne suis pas prêt à le faire maintenant, en séance télévisée. »
Le député de Sherwood Park—Fort Saskatchewan a demandé à M. Firth combien d'heures il avait passées à transmettre des invitations LinkedIn, un élément clé de ce qui semble être la stratégie de recrutement de GC Strategies, et celui-ci a répondu: « Cela n'a rien à voir avec ce projet, non? »
La députée de Sentier Carlton—Eagle Creek a demandé à M. Firth de nommer ses personnes-ressources dans les divers ministères qui ont accordé 134 contrats à GC Strategies. M. Firth a répondu: « J'aimerais fournir tous ces détails après la réunion, s'il vous plaît. Je ne voudrais pas en parler publiquement, simplement en raison de la façon dont le Comité se déroule. »
J'ai demandé à M. Firth de nommer les personnes qui auraient fourni les témoignages élogieux qui figurent sur le site Web de GC Strategies. M. Firth a répondu: « Je connais la réponse. » Il a ensuite dit qu'il la fournirait « après la réunion ».
Soit dit en passant, je crois que le comité attend toujours que M. Firth tienne certaines de ces promesses, à savoir fournir au comité des réponses avant 9 heures le lendemain matin. Le comité des opérations gouvernementales aura peut-être plus d'informations à fournir à ce sujet en temps voulu.
J'ajouterai également que la véracité de certains propos tenus par M. Firth et d'autres témoins au cours de l'étude du comité suscite des inquiétudes. Toutefois, cette question pourrait bien faire l'objet d'un autre rapport du comité. Pour les fins du débat d'aujourd'hui, nous sommes évidemment préoccupés par le refus de M. Firth de répondre à des questions et par ses réponses évasives à d'autres questions.
Monsieur le Président, votre prédécesseur a rendu une décision le 11 mai 2021, à la page 7021 des Débats, sur le rôle des comités dans les questions de privilège concernant les témoignages. Il a dit:
Il n'existe aucun précédent où le Président a utilisé des témoignages provenant des comités sans qu'il y ait eu un rapport sur le sujet.
Cet aspect de la question préoccupe la présidence. Il n’est pas du ressort de la présidence de démêler les témoignages entendus devant un comité pour déterminer qui savait quoi et à quel moment. Il s’agirait d’une ingérence dans le rôle des membres du comité, ce qui constituerait un manquement à mon devoir d’impartialité. Il appartient plutôt au Comité de poursuivre son étude et de faire part de ses conclusions à la Chambre, s’il le juge approprié, comme le veut la tradition.
Le comité des opérations gouvernementales a fait son travail. Il a informé la Chambre de sa conclusion selon laquelle M. Firth y a fait obstruction en refusant de répondre aux questions et en fournissant des réponses évasives.
On trouve à la page 82 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes une liste de certains types d’outrage repiquée du rapport de 1999 du Joint Committee on Parliamentary Privilege du Royaume‑Uni. Elle énumère des comportements reconnus comme un outrage, notamment « [...] sans excuse valable, refuser de répondre à une question, ou encore de fournir une information ou de produire des documents dont la Chambre ou un comité exige la production. »
Le 12 août 1947, la Chambre des communes du Royaume‑Uni a statué:
Que le refus d’un témoin de répondre à une question d’un comité spécial constitue un outrage à la Chambre et une violation de son droit incontesté d’effectuer une enquête qui peut être nécessaire dans l’intérêt public.
Dans la deuxième édition de Le privilège parlementaire au Canada, on explique ce qui suit à la page 199:
Un comité n’est pas limité quant à la portée des questions qu’il peut poser et un témoin doit répondre à toutes les questions qui lui sont posées, sauf si un membre du comité s'oppose à ce que certaines questions soient posées, et sous réserve d’un appel ultime devant le comité de la décision rendue par le président.
Dans la sixième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, on peut lire ce qui suit au commentaire 863:
Après avoir exposé les motifs pour lesquels il estime devoir être exempté de répondre, le témoin peut demander au président du comité de se prononcer sur ce point.
Si vous consultez la transcription de la réunion de mercredi dernier du comité des opérations gouvernementales, monsieur le Président, vous verrez à plusieurs reprises qu'il a été demandé au président, sans aucune objection de la part du comité, d'ordonner à M. Firth, au nom du comité, de répondre aux questions. Certes, aucun membre ne s'est opposé aux questions qui ont été posées.
Le président, après avoir entendu les raisons invoquées par M. Firth, lui a néanmoins demandé de répondre. Le président a également rappelé au témoin les protections qui lui sont offertes par la loi qui régit le privilège parlementaire.
Il serait peut-être utile de rappeler ces principes importants à la Chambre. Selon l'ouvrage de Beauchesne, au commentaire 109:
Les témoins entendus en comité jouissent d’une immunité et d’une liberté de parole égales à celles des députés […] Rien de ce qui a été dit devant un comité, ou à la barre de la Chambre, ne peut être invoqué devant une cour de justice. Nul ne saurait donc refuser de répondre sous prétexte d’auto-incrimination […]
Bosc et Gagnon ajoutent, dans la note de bas de page 681, à la page 1080: « Comme dans le cas des députés, la liberté de parole s’étend aux témoignages faits par les témoins devant les comités et a été considérée comme englobant la protection contre toute poursuite possible. »
Les raisons qui sous-tendent ce principe important sont développées par Bosc et Gagnon à la page 93:
La Chambre accorde également ce droit [liberté de parole] aux personnes qui comparaissent devant elle ou l’un de ses comités pour les encourager à communiquer toute l’information avec franchise sans crainte de représailles ou d’autres actions défavorables. En 2005, la Cour d’appel fédérale a déterminé [dans l'arrêt Gagliano c. Canada (Procureur général)] que les témoignages faits devant un comité parlementaire tombent sous le coup du privilège parlementaire, celui-ci étant nécessaire au fonctionnement du Parlement pour trois raisons: « pour encourager les témoins à parler ouvertement devant le comité parlementaire, pour permettre au comité d’exercer sa fonction d’enquête et, de façon plus secondaire, pour éviter les conclusions de fait contradictoires ».
En 2007, la Cour fédérale a reconnu à nouveau [dans l'arrêt George c. Canada (Procureur général)] que le privilège parlementaire protège les déclarations des témoins devant les comités de la Chambre:
[M]ême si les témoins qui comparaissent devant un comité parlementaire ne sont pas des membres du Parlement, ils ne sont pas non plus des étrangers à la Chambre. Ils sont plutôt des invités à qui est conféré le privilège parlementaire parce que, comme pour les membres, le privilège est nécessaire pour faire en sorte qu’ils soient en mesure de parler ouvertement, sans craindre que leurs propos soient utilisés par la suite pour les discréditer dans une autre instance […]
La Cour a confirmé que le privilège parlementaire « empêche plutôt d’autres instances d’obliger des membres du Parlement ou des témoins ayant comparu devant des comités à répondre de déclarations faites dans l’accomplissement de leurs fonctions à la Chambre ».
Or, M. Firth a continué de refuser de répondre, invoquant, pour se justifier, l'enquête de la GRC et le secret professionnel de l'avocat. Au sujet de cette deuxième justification, le commentaire 863 du Beauchesne pourrait être pertinent:
[Le témoin] est tenu cependant de répondre à toutes les questions que le comité croit utile de lui poser et ne peut en être dispensé, sous prétexte, par exemple, qu’une poursuite civile pourrait s’ensuivre, […] qu’il s’agit d’une communication privilégiée du type de celles que protège le secret professionnel de l’avocat, que, de l’avis de son avocat, il ne saurait répondre sans risque d’incrimination de soi-même ou de poursuite civile, qu’il compromettrait une défense dans une affaire en instance, même si certaines des allégations précédentes pourraient suffire devant un tribunal à lui obtenir une exemption de témoigner.
On dit sensiblement la même chose à la page 38.36 de l'ouvrage d'Erskine May, 25e édition.
Le fait demeure que l'on a posé des questions à M. Firth et qu'il a refusé d'y répondre. Le comité a insisté pour qu'il réponde, mais il a maintenu son refus. Respectueusement, j'estime qu'il s'agit d'un outrage au Parlement.
J'aimerais maintenant parler des tergiversations de M. Firth dans son témoignage. Selon la 2e édition du Canadian Oxford Dictionary, on tergiverse quand on parle ou agit de manière évasive ou trompeuse.
Dans son ouvrage intitulé The Power of Parliamentary Houses to Send for Persons, Papers & Records, à la page 180, Derek Lee déclare que la Chambre a, par le passé, reconnu des témoins coupables d'outrage ou les a punis de façon comparable pour avoir tergiversé.
Au paragraphe 15.5 de la 25e édition, Erskine May précise ceci: « Dans le passé, les témoins [...] qui ont tergiversé, falsifié leur témoignage, supprimé délibérément la vérité ou systématiquement induit en erreur un comité ont été considérés comme coupables d'outrage ». Cette entrée se trouve sous la rubrique « Inconduite d'un député ou d'un haut fonctionnaire de l'une ou l'autre Chambre », une formule qui se trouve également dans la liste des outrages établis à la page 82 du Bosc et Gagnon.
La quatrième édition de l'ouvrage Parliamentary Practice in New Zealand évoque également l'obligation pour les témoins de dire la vérité. À la page 776, on peut lire: « même le fait de tergiverser devant un comité pourrait susciter des questions ».
À la Chambre des communes du Royaume‑Uni, au XIXe siècle, plusieurs témoins qui ont comparu devant un comité se sont attiré les foudres de la Chambre lorsqu'ils ont tergiversé, et ils ont été reconnus coupables d'outrage, voire placés sous la garde du sergent d'armes ou envoyés à la prison de Newgate de Sa Majesté.
Des exemples de cas peuvent être trouvés. Je ne les lirai pas tous; ils se trouvent à la page 601 des Journaux du 28 août 1835; à la page 258 des Journaux du 24 février 1848; à la page 147 des Journaux du 7 avril 1851; à la page 699 et à la page 742 des Journaux des 20 et 29 juillet 1853; à la page 354 des Journaux du 28 juillet 1857 et à la page 239 des Journaux du 23 avril 1866.
La suppression volontaire de la vérité est une proche parente de la tergiversation. Le 3 mars 1828, un comité plénier de la Chambre des communes du Royaume‑Uni qui étudiait le projet de loi sur la privation des droits de représentation d'East Retford entendait un témoin, un dénommé Jonathan Fox, qui a passé une heure et demie à répondre à la majorité des questions par « Je ne saurais vous dire » et ses variantes.
On a prié le témoin de se retirer pendant que le comité délibérait. Ces délibérations, à la colonne 936 des Débats parlementaires, sont fort instructives. Voici ce que dit le compte rendu:
M. Alderman Waithman
a soutenu que le comité ne devrait pas tolérer que l'on porte atteinte à sa dignité de cette manière. Il a demandé au comité si les réponses de cet homme étaient crédibles. Il faut faire quelque chose pour soutenir la dignité de la Chambre, qui ne doit pas être bafouée de la sorte. Il a soutenu que le témoin s'était rendu coupable de tergiversation outrancière.
M. Bering
a demandé comment, si la Chambre devait exercer son pouvoir inquisitoire, elle pourrait le faire si on la traitait de la sorte. La même phrase revenait perpétuellement dans la bouche de cet homme [...] Nous avons ici un homme [...] qui s'est adressé au comité pendant une heure et demie en donnant toujours la même réponse. Il s'est rendu coupable, à son avis, de tergiversation outrancière.
M. Peel
a estimé qu'il était douteux que le témoin se soit rendu coupable de tergiversation; cela ressemblait plutôt à une suppression délibérée de la vérité.
Le procureur général
a convenu que la conduite du témoin ne constituait pas une tergiversation outrancière, bien qu'il s'agissait manifestement d'une suppression délibérée de la vérité.
M. Wynn
a avoué qu'il ignorait ce qu'était la tergiversation, si le témoin ne s'en était pas rendu coupable.
En fin de compte, la Chambre a adopté une résolution selon laquelle M. Fox « a tenté de faire échouer l'enquête du comité en supprimant délibérément la vérité ».
Tout cela pour dire que, de toute évidence, M. Firth a esquivé les questions lors de son témoignage devant le comité en tentant désespérément d'éviter de donner des réponses. Pour reprendre la définition donnée dans Le Petit Robert, il répondait de façon « évasive ». Selon les ouvrages de procédure que j'ai cités précédemment, M. Firth a commis un autre outrage au Parlement.
Normalement, c'est à ce moment-ci que je dirais que je suis prêt à présenter la motion appropriée, mais quelle est la motion appropriée? À la page 150 de l'ouvrage de Bosc et Gagnon, on peut lire ceci: « L’usage veut qu’il soit généralement mentionné dans ce genre de motion que la question est renvoyée pour étude à un comité [...] » La note de bas de page 386 s'empresse d'ajouter: « On note toutefois des exceptions. »
Par conséquent, quel serait l'objectif de mener une autre étude en comité dans ces circonstances? Les faits sont très clairs. Les questions et le refus d'y répondre sont déjà consignés au compte rendu. Allons-nous demander au comité de la procédure et des affaires de la Chambre de nous faire rapport en disant: « En effet, Kristian Firth a assurément refusé de répondre à ces questions et, bon sang, il était vraiment évasif aussi »?
À la page 275, l'ouvrage de Maingot offre la réponse, soit: « Dans les cas flagrants de conduite outrageante, on peut néanmoins proposer une motion établissant que les faits en cause constituent une atteinte au privilège [...] » À la page précédente, Maingot a écrit ceci: « L'usage [...] consistait autrefois à faire comparaître l'auteur présumé d'un outrage à la barre de la Chambre [...] »
En fait, c’est ce que la Chambre a décidé de faire en juin 2021 en convoquant le président de l’Agence de la santé publique du Canada à la barre afin de recevoir, au nom de son agence, une admonestation après que le gouvernement ait refusé d'obéir à un ordre de la Chambre au sujet de la production de documents du laboratoire de Winnipeg. Les circonstances sont toutefois un peu différentes quand il s'agit d'un témoin qui comparaît devant un comité plutôt que d'une ordonnance de production de documents destinée au gouvernement.
Depuis le début du siècle, la Chambre a reconnu coupables d'outrage au Parlement deux témoins qui ont comparu devant un comité. En 2003, le comité des opérations gouvernementales a conclu que George Radwanski, l'ancien commissaire à la protection de la vie privée, avait délibérément induit le comité en erreur dans son témoignage et qu'il devrait être reconnu coupable d'outrage à la Chambre. Cependant, étant donné que M. Radwanski s'est excusé par écrit à la Chambre, en plus d'avoir démissionné de son poste de mandataire du Parlement, aucune sanction n'a été appliquée après qu'on ait déclaré qu'il y avait eu outrage.
En 2008, le Comité permanent des comptes publics a déterminé que la sous-commissaire de la GRC de l'époque, Barbara George, l'avait sciemment induit en erreur lors de son témoignage devant le comité et a recommandé qu'elle soit reconnue coupable d'outrage à la Chambre, mais il n'a exigé aucune autre mesure pour donner suite à sa recommandation, « ce verdict d’outrage constituant à lui seul une très lourde sanction ».
Plus récemment, en 2011, le sixième rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international a fourni à la Chambre des extraits du témoignage de la ministre de la Coopération internationale de l'époque, qui contredisaient ses déclarations à la Chambre. Le 9 mars 2011, le Président Milliken a statué que la question de privilège était fondée de prime abord. La question a été renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui a entendu la ministre et d'autres témoins, mais qui n'a pas pu faire son rapport avant la dissolution du Parlement.
Ces cas impliquaient des réponses contradictoires. Le cas présent porte sur la capacité d'obtenir des réponses. Par conséquent, il nous faut remonter plus loin dans le temps pour trouver des exemples où la Chambre s'est penchée sur des situations similaires.
En juin 1891, Michael Connolly est appelé à témoigner devant le Comité des privilèges et élections, qui enquête sur des allégations de pratiques corrompues de la part d'un député. Il refuse de remettre certains documents qu'il a avec lui et qu'on lui demande. La question est renvoyée à la Chambre, qui lui ordonne de comparaître à la barre. Il s'y présente, répond aux questions, obtient l'autorisation de se faire aider par un procureur et reçoit l'ordre de remettre les documents en question.
En août 1891, Thomas McGreevy, le député dont la corruption faisait l'objet d'une enquête par le comité des privilèges et des élections, a comparu comme témoin et a refusé de répondre aux questions. L'affaire a été renvoyée à la Chambre, qui lui a ordonné de se présenter à sa place à la Chambre pour répondre à ces questions. M. McGreevy ne s'étant pas présenté, la Chambre a ordonné sa détention. Le sergent d'armes a poursuivi M. McGreevy jusqu'à Québec en train, mais on n'a pas pu le capturer. Il a cependant été expulsé en tant que député le mois suivant.
En 1906, William Preston, un fonctionnaire, a témoigné devant le comité de l'agriculture et le comité des comptes publics, où il a refusé de répondre aux questions. Chaque comité a fait rapport de la situation à la Chambre, où une motion visant à le faire comparaître a été débattue, mais on a plutôt adopté un amendement du gouvernement libéral pour exempter M. Preston.
En 1913, un témoin, R. C. Miller, a refusé de répondre aux questions lors de sa comparution devant le comité des comptes publics. L'affaire a été signalée à la Chambre, qui a ordonné à M. Miller de se présenter à la barre, où il a été interrogé de nouveau, mais il a toujours refusé de répondre. La Chambre l'a déclaré coupable d'outrage et l'a envoyé en prison, où il est demeuré jusqu'à la prorogation du Parlement, quatre mois plus tard.
Soyons clairs. Je ne propose pas que M. Firth soit emprisonné pour cette infraction. Cependant, nous devons tous garder en tête que la Chambre possède une autorité et un pouvoir impressionnants pour appuyer son rôle de grand enquêteur de la nation.
Les commentaires 123 à 125 du Beauchesne précisent ce qui suit:
123. En matière de privilège, la Chambre peut appliquer des sanctions considérables, dont la plus bénigne est une simple déclaration constatant l’atteinte au privilège du fait de tel acte ou de tel article. Dans les cas où l’accusé a dû se présenter à la barre, l’usage veut que ces conclusions lui soient communiquées de vive voix en présence de la Chambre. En pareille circonstance, après avoir pris acte de l’atteinte au privilège, la Chambre ajoute généralement un blâme à l’endroit de la personne en cause.
124. Parfois, la personne citée à la barre aura l’occasion de réparer l’outrage et de promettre de s’amender […]
125. Dans les cas plus graves, d’autres mesures s’offrent à la Chambre […]
Avant que quiconque ne s'inquiète de l'intensité d'une telle approche, je signale qu'en 1999, le Joint Committee on Parliamentary Privilege du Royaume-Uni a expliqué de façon convaincante, aux paragraphes 301 et 302, la nécessité de tels pouvoirs en cas d'outrage.
301. La première question à se poser est de savoir si l'outrage au Parlement par des personnes qui ne sont pas des députés doit aussi faire l'objet d'une sanction. Nous pensons que c'est le cas. Prenons l'exemple des études menées par les comités. Des pouvoirs doivent exister pour garantir que les études des comités puissent se dérouler, que les témoins soient présents et que les documents soient produits. Outre les fonctionnaires et les ministres, de nombreux groupes d'intérêt et organes représentatifs, ainsi qu'un grand nombre d'entreprises et de particuliers, comparaissent souvent devant les comités des deux Chambres. Ils le font la plupart du temps de leur plein gré. Toutefois, il arrive que des témoins refusent de comparaître ou que des informations nécessaires à l'étude ne soient pas fournies de plein gré [...]
302. Pour que le Parlement puisse faire son travail sans ingérence inappropriée, il doit y avoir une sanction possible contre ceux qui désobéissent, ceux qui interrompent les travaux ou détruisent des preuves ou qui cherchent à intimider des députés ou des témoins, ceux qui désobéissent aux ordres de la Chambre ou d'un comité de se présenter et de répondre aux questions ou de produire des documents. Parfois, le comportement constitue une infraction criminelle. Le droit pénal doit alors suivre son cours. Cela suffit normalement pour les personnes qui ne sont pas des députés. À moins qu'un pouvoir résiduel de punir existe, l'obligation de ne pas faire obstruction n'est qu'un vœu pieux. L'absence de sanctions sera cyniquement utilisée par certaines personnes de temps à autre.
Certains députés libéraux pourraient insister auprès de la présidence de la Chambre sur le fait que ces pouvoirs concernant ces témoins n'ont pas été utilisés depuis de nombreuses décennies et, par conséquent, ils pourraient faire valoir qu'ils sont maintenant remis en question. Ils s'opposent même peut-être à ce que je cite des précédents qui remontent à un plus grand nombre d'années que celui qu'ils ont passé à la Chambre. Je répondrais à cela en citant les paragraphes 76 et 77 du rapport de 2013 du Joint Committee on Parliamentary Privilege du Parlement du Royaume‑Uni, qui faisait partie d'une analyse des options visant à faire respecter l'autorité de la Chambre et qui date d'à peine 10 ans.
On peut y lire ceci:
76. Il est malheureux que la retenue du Parlement ait suscité des doutes quant à la pérennité de ses pouvoirs. Ils font partie du droit britannique depuis des siècles. Dans cet article, nous examinons la troisième option, qui impliquerait que les deux Chambres réaffirment leur compétence pénale historique et mettent en place des procédures visant à exercer cette compétence.
77. Le premier défi, et le plus important, consiste à affirmer le maintien de la compétence de chaque Chambre en matière d'outrage. Il s’agit, fondamentalement, d’un test de confiance institutionnelle. Nous exhortons les deux Chambres à relever ce défi.
C'est pourquoi ma « motion appropriée » relèverait le défi et ferait ce qui suit: déclarer Kristian Firth coupable d'outrage. Elle l'obligerait à se présenter à la barre de la Chambre pour être admonesté par la présidence. Pendant qu'il serait à la barre, il serait tenu de répondre aux questions auxquelles le comité a eu de la difficulté à obtenir des réponses, comme l'indique le 17e rapport déposé aujourd'hui. Enfin, il serait possible de poser des questions supplémentaires à M. Firth à la suite des réponses qu'il aurait fournies.
Les trois premiers points sont parfaitement conformes à l'ordre que la Chambre a adopté le 17 juin 2021, sur lequel ils sont d'ailleurs fondés. Il avait été ordonné au président de l'Agence de la santé publique du Canada de comparaître à la barre afin d'y recevoir des admonestations et de remettre les documents qui n'avaient pas été produits. En effet, à la page 241, Lee écrit: « Lorsque la Chambre juge qu'une personne a commis une violation de privilège ou un outrage, elle peut prendre des mesures pour obliger le contrevenant à se conformer à l'ordre de la Chambre ou du comité qui a mené à la violation de privilège ou à l'outrage. »
Comme, en l'occurrence, il faut établir une distinction entre répondre à des questions orales et produire des documents, je propose de permettre qu'on pose des questions complémentaires. Même si cela fait longtemps qu'un témoin a été interrogé à la barre, je soutiens respectueusement que la séquence des événements serait conforme aux précédents que j'ai cités concernant des témoins qui avaient refusé de répondre aux questions d'un comité.
Même si les formulaires et les procédures pertinents sont vieux et ne correspondent pas tout à fait à la manière actuelle de gérer les travaux de la Chambre, cela ne rend pas l'idée irréalisable. Aux pages 70 et 74 de l'ouvrage Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, quatrième édition, sir John Bourinot explique les procédures pour interroger des témoins à la barre à l'intention de ceux qui souhaitent mieux comprendre le sujet.
En conclusion, le 17e rapport du comité des opérations gouvernementales révèle un nouveau fait troublant concernant l’application ArnaqueCAN du gouvernement libéral qui, à mon avis, constitue un outrage à la Chambre. Le Parlement mérite des réponses au sujet de ce fiasco. Tous les Canadiens méritent de connaître ces réponses. Nous ne pouvons pas tolérer que la Chambre des communes ne soit pas prise au sérieux ou que des témoins puissent se jouer d'elle avec mépris. Nous devons démontrer que notre institution est digne de confiance en tant que grand jury de la nation.
Nous devons obtenir des réponses de Kristian Firth au sujet de sa conduite, qui est au cœur même du scandale ArnaqueCAN. Si vous êtes d’accord avec moi, monsieur le Président, une fois que nous aurons donné l’occasion à nos collègues du comité des opérations gouvernementales de s’exprimer sur la question, s’ils le souhaitent, je serai prêt à présenter la motion dont j’ai parlé plus tôt.