Madame la Présidente, j'invoque le Règlement. Conformément à l'article 69.1 du Règlement, je demande que vous traitiez le projet de loi C‑59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l'énoncé économique de l'automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, comme un projet de loi omnibus, et que vous le divisiez aux fins du vote aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture.
Bien entendu, cet argument ne porte pas atteinte aux arguments que j'ai présentés la semaine dernière au sujet de la règle interdisant d'anticiper et de la motion des voies et moyens no 19, qui a précédé la présentation du projet de loi C‑59, pour lequel la Chambre attend toujours une décision de la part du Président.
Le paragraphe (1) de l'article 69.1 prévoit que « [l]orsqu’un projet de loi émanant du gouvernement vise à modifier, à abroger ou à édicter plus d’une loi dans les cas où le projet de loi n’a aucun fil directeur ou porte sur des sujets qui n’ont rien en commun les uns avec les autres, le Président peut diviser les questions, aux fins du vote ». Le paragraphe (2) du même article prévoit une exemption pour les projets de loi d'exécution du budget « si le projet de loi a comme objectif central la mise en œuvre d’un budget et contient des dispositions qui ont été annoncées lors de l’exposé budgétaire ».
Comme le Président Regan l'a indiqué dans sa décision du 8 novembre 2017, à la page 15143 des Débats, lorsqu'un projet de loi d'exécution du budget contient des mesures qui ne faisaient pas partie du budget, l'exemption prévue pour le projet de loi d'exécution du budget ne s'applique qu'aux éléments qui se trouvaient dans le budget lui-même. Les éléments non budgétaires peuvent être divisés en vertu des dispositions de l'article 69.1(1) du Règlement.
Dans le cas du projet de loi C‑59, appeler cela un projet de loi d'exécution du budget serait extrêmement généreux. Même si on fait allusion au budget de mars dans le titre intégral, le titre abrégé n'en tient pas compte et appelle le projet de loi « Loi d'exécution de l'énoncé économique de l'automne 2023 ». Même la leader du gouvernement à la Chambre des communes, qui gère le programme parlementaire du gouvernement, ne l'a pas considéré comme un projet de loi d'exécution du budget, à en juger par les observations qu'elle a faites lors des deux dernières déclarations hebdomadaires. Le 23 novembre, elle a dit à la Chambre: « [...] le gouvernement a l'intention d'entamer la semaine prochaine le débat sur le projet de loi relatif à l'énoncé économique de l'automne [...] » Jeudi dernier, elle a dit que la priorité serait accordée à la deuxième lecture du projet de loi C‑59, qui porte exécution de certaines dispositions de l'énoncé économique de l'automne. Par conséquent, je soutiens que la manière évidente dont le projet de loi C‑59 a été traité par ceux qui l'ont proposé indique que son objectif principal n'est pas la mise en œuvre d'un budget. Par conséquent, l'exemption prévue à l'article 69.1(2) du Règlement ne peut pas s'appliquer ici.
J'ajouterais qu'on peut faire la distinction entre la décision rendue par le Président Regan en novembre 2017 et les faits dont il est question aujourd'hui, à savoir qu'il traitait alors d'un projet de loi d'exécution du budget auquel on avait ajouté quelques éléments. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons un projet de loi qui, en substance, n'est même pas traité comme un projet de loi d'exécution du budget et qui, par conséquent, ne peut même pas bénéficier d'une exemption partielle, puisque l'objectif principal du projet de loi C‑59 ne consiste pas à exécuter un budget.
Cela étant dit, je souhaite maintenant parler de l'idée de traiter le projet de loi comme un projet de loi omnibus « dans les cas où le projet de loi n'a aucun fil directeur ou porte sur des sujets qui n'ont rien en commun les uns avec les autres ». À mon humble avis, le fait qu'une série de mesures aient été anticipées dans un énoncé économique de l'automne ne constitue pas un fil directeur. Étant donné que les énoncés économiques de l’automne sont souvent appelés des « minibudgets » et que la Chambre a elle-même reconnu, en créant l’exemption prévue à l’article 69.1 du Règlement pour les projets de loi d’exécution du budget, que les budgets rassemblent souvent des éléments qui n’ont pas de lien entre eux, je soutiens que la simple inclusion d’un élément dans l’énoncé économique de l’automne ne peut pas suffire pour contourner la façon dont un projet de loi omnibus doit être traité.
Même si la présidence peut être convaincue que toutes les mesures sont, d'une manière ou d'une autre, des questions de politique économique générale, je vous renvoie à la décision rendue par le Président Regan le 1er mars 2018, à la page 17551 des Débats de la Chambre des communes:
Dans ses observations concernant le projet de loi C‑63, l'honorable député de Calgary Shepard a parlé d'une notion intéressante tirée de la pratique de l'Assemblée nationale du Québec. Le député a repris un passage de la page 433 de la Procédure parlementaire du Québec:
« Il ne faut pas confondre le ou les principes qu’un projet de loi peut contenir avec le domaine sur lequel il porte. En venir à une conception différente de la notion de principe ferait en sorte que la plupart des projets de loi ne pourraient faire l’objet d’une motion de scission, en raison du fait qu’ils portent sur un domaine précis. »
La procédure adoptée au Québec pour la scission des projets de loi est très différente de la nôtre, mais l’idée selon laquelle il faut faire une distinction entre le principe du projet de loi et de son domaine m’a particulièrement marqué. Bien que chaque projet de loi soit différent et que, de ce fait, chaque affaire soit différente, j’estime que l’article 69.1 du Règlement peut en effet s’appliquer aux projets de loi dont toutes les mesures concernent un domaine donné, à la condition que les mesures soient si différentes que cela justifie que la Chambre prenne des décisions distinctes à leurs égards.
Dans la présente affaire, je n’ai aucune réticence à convenir que toutes les mesures du projet de loi C‑69 concernent la protection de l’environnement. Cependant, j’estime que certaines mesures ont si peu en commun entre elles que cela justifie la tenue de plusieurs votes.
Le vice-président Bruce Stanton s’est prononcé sur une question similaire le 18 juin 2018. Dans sa décision, à la page 21163 des Débats, il dit que l’ancien projet de loi C‑59:
[...] contient clairement plusieurs mesures distinctes. Il établit de nouveaux organismes et mécanismes de surveillance des organismes de sécurité nationale, traite de la collecte et de la communication d'information et porte sur des infractions criminelles liées au terrorisme. Cela dit, on pourrait soutenir que, puisque toutes ces questions ont trait à la sécurité nationale, elles sont effectivement liées par un fil conducteur. La présidence doit toutefois se demander si ces mesures devraient faire l’objet de votes distincts.
Il ajoute ensuite: « En l’espèce, même si la présidence n’a aucune réticence à convenir que toutes les mesures du projet de loi C‑59 ont trait à la sécurité nationale, la présidence estime que certaines mesures ont si peu en commun entre elles que cela justifie de diviser la question. »
Par conséquent, je suis d’avis que le projet de loi C‑59 que nous étudions aujourd’hui devrait lui aussi être divisé aux fins du vote en deuxième lecture et, au besoin, en troisième lecture.
J'ai examiné et analysé brièvement le contenu du projet de loi, et il semble qu'on pourrait en fait le scinder en plusieurs parties: les articles 1 à 95, qui proposent des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu et des modifications corrélatives à d'autres textes législatifs, de même que le titre abrégé du projet de loi; les articles 96 à 128, qui proposent de créer une taxe sur les services numériques; les articles 129 à 136, 138 à 143 et 145 à 167, qui proposent des modifications concernant la taxe d'accise autres que l'exemption de TPS pour les services de santé mentale, qui est également proposée dans le projet de loi C‑323, un problème auquel je reviendrai plus tard; les articles 168 à 196, qui proposent des modifications aux lois régissant les institutions financières; les articles 197 à 208, qui proposent d'instituer le droit à un congé en cas de perte de grossesse et de modifier la loi en ce qui concerne le congé de décès; les articles 209 à 216, qui proposent la création d'une agence canadienne de l'eau; les articles 217 et 218, qui proposent des modifications à la Loi sur le tabac et les produits de vapotage; les articles 219 à 230, qui proposent des modifications à la Loi canadienne sur les paiements; les articles 231 à 272 qui proposent diverses modifications aux mesures législatives liées à la concurrence; les articles 273 à 277, qui proposent des modifications afin de soustraire les établissements d'enseignement postsecondaire aux lois concernant la faillite et l'insolvabilité; les articles 278 à 317, qui proposent diverses modifications législatives concernant le recyclage des produits de la criminalité, le financement d'activités terroristes et le contournement de sanctions; les articles 318 et 319, qui portent sur l'information que publie le gouvernement concernant certains transferts aux provinces; les articles 320 à 322, qui proposent des modifications concernant l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public; et les articles 323 à 341, qui proposent la création d'un ministère du Logement, de l'Infrastructure et des Collectivités.
De plus, à mon avis, les articles 137 et 144, concernant l'exemption de la TPS pour les services de santé mentale, qui sont calqués sur des dispositions du projet de loi C‑323, ainsi que les articles 342 à 365, concernant la création de prestations d'assurance-emploi et de protection des emplois s'adressant aux parents adoptifs et aux parents de substitution, qui reprennent l'essence du projet de loi C‑318, devraient également être dissociés du projet de loi C‑59. Or, je ne pense pas que ces articles devraient faire l'objet d'un vote distinct, mais qu'ils devraient simplement être abrogés, puisque la Chambre s'est déjà prononcée sur le principe de ces questions lorsqu'elle a adopté les projets de loi d'initiative parlementaire pleins de bons sens des conservateurs à l'étape de la deuxième lecture.
Une telle approche pourrait être une solution élégante possible en vue de la conformité à la décision à venir au sujet de la motion des voies et moyens no 19.
Bref, le projet de loi C‑59, qui met en œuvre de l'énoncé économique de l'automne, est un projet de loi omnibus aux termes de l'article 69.1 du Règlement. Il ne répond absolument pas aux critères relatifs à l'exemption pour les projets de loi d'exécution du budget prévue à cet article. Il doit être divisé et les différentes mesures doivent faire l'objet de votes distincts, environ 14 votes d'après les différents thèmes abordés dans les articles du projet de loi. S'il était divisé de la sorte, cela offrirait une solution élégante en vue de la décision de la présidence à venir au sujet du respect des règles de longue date et des précédents à la Chambre relatifs à de nombreuses décisions sur le sujet qui, pour des raisons que nous attendons toujours, ne s'appliquaient pas à la motion des voies et moyens no 19, ce qui a amené la Chambre à voter de nouveau sur des principes déjà présents dans deux projets de loi d'initiative parlementaire conservateurs qui ont déjà été adoptés à l'étape de la deuxième lecture.