propose que le projet de loi C‑62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, je suis heureuse d'avoir l'occasion de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C‑62. Il porte sur un sujet délicat qui touche très personnellement de nombreux Canadiens.
Nous avons débattu de bon nombre des questions fondamentales, mais aujourd'hui, nous débattons du projet de loi qui propose de prolonger de trois ans, jusqu'au 17 mars 2027, l'exclusion temporaire de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale.
Soyons clairs: la question n'est pas de savoir si la maladie mentale peut causer des souffrances irrémédiables et intolérables au même titre que les maladies physiques. Cela ne fait aucun doute. Cependant, nous devons procéder avec prudence et bien faire les choses. Nous devons nous assurer de mettre en place des mesures appropriées dans l'ensemble du pays afin de valoriser et de protéger nos concitoyens les plus vulnérables.
Des préoccupations majeures ont été soulevées par des partenaires, des provinces, des territoires et le milieu médical en ce qui concerne l'état de préparation du système de santé. Dans son dernier rapport, déposé le 29 janvier dernier, le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a conclu que, même si des progrès considérables ont été réalisés pour préparer l'élargissement de l'admissibilité aux personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale, un délai supplémentaire est nécessaire pour que le système de santé puisse fournir en toute sécurité l'aide médicale à mourir dans ces types de cas complexes.
Ces préoccupations doivent être prises en compte avant que nous puissions élargir l'admissibilité aux personnes dont la seule affection sous-jacente est une maladie mentale. Ce travail essentiel est en cours, mais nous devons aussi prendre des mesures pour protéger les personnes vulnérables. À moins que le projet de loi C‑62 ne soit adopté d'ici le 17 mars 2024, l'exclusion de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir sera automatiquement abrogée. Autrement dit, les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale pourraient être admissibles à l'aide médicale à mourir à partir de cette date, sans que le système soit prêt.
Bien que des progrès aient été réalisés pour soutenir l’évaluation et la prestation sécuritaires de l’aide médicale à mourir dans les cas complexes, ce n’est pas le moment de prolonger l’exclusion, comme le souligne la lettre que nous avons reçue des provinces et des territoires.
Au cours des dernières années, le gouvernement du Canada a collaboré étroitement et prudemment avec ses partenaires pour mettre en œuvre l'aide médicale à mourir. Nous avons adopté une approche compatissante et prudente à cet égard en veillant à l'évaluation sécuritaire de l'aide médicale à mourir dans les cas complexes, y compris lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.
J'aimerais prendre quelques minutes pour souligner certains des principaux domaines dans lesquels des progrès ont été réalisés. Comme l'exigeait l'ancien projet de loi C‑7, nous avons nommé un groupe d'experts indépendants ayant pour mandat de formuler des recommandations sur le protocole, l'orientation et les mesures de sauvegarde à appliquer aux demandes d'aide médicale à mourir présentées par des personnes atteintes d'une maladie mentale.
Le rapport final, présenté par le groupe d'experts au printemps 2022, comprenait 19 recommandations à l'intention des gouvernements et des partenaires du système de santé en vue de l'élargissement sécuritaire de l'accès à l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant uniquement d'une maladie mentale. Le groupe d'experts a souligné que les recommandations seraient bénéfiques pour toutes les évaluations et les dispositions visant les cas complexes de la voie 2, même lorsque la maladie mentale n'est pas un facteur. Par ailleurs, le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir, qui a également étudié la question, a conclu que, pour le moment, des travaux supplémentaires sont nécessaires avant d'aller de l'avant.
Les rapports du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir et du groupe d’experts ont tous deux souligné l’importance de la formation et du perfectionnement, d’un encadrement professionnel continu, de l'amélioration de la collecte de données et de leur analyse, d’une consultation en bonne et due forme des Autochtones et d’une surveillance rigoureuse. Le gouvernement a pris ces recommandations très au sérieux et il s’est employé avec diligence à les mettre en œuvre.
En septembre 2022, Santé Canada a convoqué un groupe de travail indépendant composé de cliniciens experts, de juristes et d’experts en réglementation pour élaborer un modèle de normes de pratique en matière d’aide médicale à mourir fondé sur les recommandations du groupe d’experts. Le groupe de travail avait pour mandat de mettre au point des ressources destinées aux autorités réglementaires en vue de l'application des recommandations du groupe d’experts en ce qui concerne les cas complexes d’aide médicale à mourir, entre autres ceux qui ne reposent que sur une maladie mentale. Les efforts du groupe de travail ont abouti à un modèle de norme de pratique en matière d’aide médicale à mourir et à un document complémentaire, le « Document de référence », qui ont tous deux été publiés en mars 2023.
À ce jour, la majorité des provinces et des territoires ont indiqué avoir mis à jour leurs normes de pratique en matière d'aide médicale à mourir ou être en train de les examiner en utilisant comme guide les ressources que j'ai mentionnées. Le « Document de référence » sert à soutenir et à informer les organismes de réglementation, les autorités publiques et les organisations de professionnels de la santé. Il vise à favoriser une approche uniforme et sûre de la pratique de l'aide médicale à mourir partout au Canada.
Par ailleurs, Santé Canada travaille en étroite collaboration avec l'Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l'aide médicale à mourir, ou ACEPA, à un certain nombre d'activités importantes visant à soutenir la préparation des praticiens. Parmi ces activités figure le financement de l’élaboration d’un programme bilingue reconnu à l’échelle nationale sur l’aide médicale à mourir, dans le but de faciliter l’accès à une formation de grande qualité et à une approche normalisée des soins dans ce domaine dans tout le pays, tout en reconnaissant que la prestation des services de santé n'est pas identique dans l'ensemble des provinces et des territoires. À la fin de janvier, plus de 1 100 cliniciens s'étaient déjà inscrits auprès de l'ACEPA pour suivre la formation.
Nous avons appuyé un atelier d'échange de connaissances sur l'aide médicale à mourir et les troubles mentaux qui a eu lieu en juin 2023. L’atelier a réuni des évaluateurs et des fournisseurs de l’aide médicale à mourir ainsi que des psychiatres de partout au pays pour: discuter de l’évaluation des demandes d’aide médicale à mourir pour une raison de maladie mentale seulement; établir un réseau d’échange continu de connaissances; et éclairer les pratiques futures. Des séances supplémentaires d'échange de connaissances sont prévues en mai 2024 et 2025, pour soutenir le partage continu de leçons et des conseils cliniques entre les diverses instances administratives pour l'évaluation des cas complexes, y compris pour les cas où la maladie mentale est la seule affection sous-jacente.
Lorsqu'il est question des critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir, nous devons tenir compte de toutes les situations et de toutes les conséquences. Même si un travail important a bel et bien été accompli, nos partenaires nous ont clairement dit qu'ils ont besoin de suffisamment de temps pour mettre en œuvre des mesures de sauvegarde et répondre aux préoccupations en matière de capacité qui devraient découler de l'élargissement de l'aide médicale à mourir. Comme mon collègue, le ministre de la Justice, l’a souligné, nous essayons d'harmoniser deux aspects fondamentaux: l’autonomie de la personne pour ce qui est de prendre des décisions dans la dignité au sujet du moment de son trépas, et la protection des groupes et des personnes vulnérables.
À l'approche de la date prévue pour la levée de l'exclusion de l'admissibilité en cas de maladie mentale, les appels à un nouveau report de l'échéance se sont multipliés. Nous savons, grâce à nos efforts de consultation et de communication auprès des intervenants du milieu de la santé, qu'il existe différents niveaux de préparation à la gestion et à l'évaluation des demandes d'aide médicale à mourir lorsque la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale. Toutes les provinces et tous les territoires ont indiqué qu'ils n'étaient pas encore prêts à aller de l'avant. Il reste encore du travail à faire.
Le 29 janvier, le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir a déposé son plus récent rapport, qui porte sur le degré de préparation pour une application sûre de l'aide médicale à mourir pour les personnes dont la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale. Tout en reconnaissant les progrès considérables réalisés dans la préparation de l'élargissement prévu de l'admissibilité, le comité recommande un délai supplémentaire pour assurer que le système de soins de santé peut fournir en toute sécurité l'aide médicale à mourir dans ces cas complexes.
Je tiens à être claire: je comprends que la souffrance liée à une maladie mentale est tout aussi réelle et tout aussi grave que la souffrance liée à une maladie physique. C'est pourquoi nous avons prévu un échéancier précis de trois ans avant la levée de l'exclusion, délai durant lequel les provinces, les territoires et les partenaires du milieu de la santé peuvent continuer leurs travaux, ainsi qu'un engagement ferme de la part des parlementaires d'évaluer les progrès réalisés après deux ans. Ce travail se poursuivra sérieusement, et nous pouvons être assurés que toutes les mesures nécessaires seront en place pour procéder en toute sécurité.
Je sais qu'il y a des gens qui souffrent depuis de nombreuses années sans que leurs souffrances puissent être atténuées et qui pourraient envisager sérieusement l'aide médicale à mourir après mûre réflexion. Le changement annoncé pourrait être une source de grande détresse pour eux. Je tiens à leur dire que nous sommes déterminés à continuer dans la même direction. Toutefois, nous devons le faire de la manière la plus bienveillante, responsable et prudente possible. Le système doit être prêt. Il faut faire les choses correctement. Les conversations que nous avons eues nous indiquent clairement que le système n'est pas encore prêt. Je le répète, nous avons travaillé fort pour que tous les soutiens nécessaires soient en place pour les professionnels de la santé et nos partenaires des provinces et des territoires avant de permettre l'élargissement de l'admissibilité de l'aide médicale à mourir aux personnes dont la seule affection est une maladie mentale. On nous a également dit clairement qu'il faut plus de temps pour se préparer, et c'est pour cela que nous proposons une prolongation de trois ans.
L'existence de modules de formation accrédités à l'échelle nationale pour les évaluateurs des demandes d'aide médicale à mourir et les prestataires de ce service permettrait de nous assurer que les fournisseurs connaissent bien les exigences de la loi et les pratiques cliniques exemplaires. Par contre, il faudra un certain temps aux médecins et aux infirmières praticiennes pour assimiler et intégrer ces normes dans leur pratique.
Les organismes de réglementation provinciaux et territoriaux doivent achever le travail de mise à jour des normes. Ils doivent s'assurer que les cliniciens disposent de la formation nécessaire pour garantir une évaluation sûre et cohérente avant que la maladie mentale soit incluse dans les critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir. Les mécanismes d'évaluation et de soutien existants doivent également être examinés et révisés afin de garantir la mise en place des mesures robustes nécessaires pour ce type de demandes complexes. Sur ce point, nous nous engageons à continuer de soutenir les provinces et les territoires et à aider les partenaires du système à renforcer et à améliorer les services et le soutien en santé mentale, ainsi que la collecte de données, afin de mieux comprendre qui demande l'aide médicale à mourir et pourquoi, ainsi que le soutien et la surveillance appropriés pour les praticiens.
Même si la gestion et la prestation des services de santé, y compris l'aide médicale à mourir, relèvent des provinces et des territoires, un groupe de travail visant à faciliter la communication d'informations et la collaboration permet la participation régulière des provinces et des territoires au sujet de la mise en œuvre de l'aide médicale à mourir. Au sein de ce groupe, les provinces et les territoires participent de façon continue au travail dirigé par le fédéral pour l'établissement de normes de pratique et collaborent avec nous dans l'ensemble du dossier de l'aide médicale à mourir.
Le gouvernement a également fait d'importants investissements dans le but de soutenir les provinces et les territoires dans la prestation de services de santé mentale. Le budget de 2023 a confirmé l'engagement du gouvernement à investir près de 200 milliards de dollars sur 10 ans à partir de 2023-2024 afin d'améliorer les soins de santé pour l'ensemble des Canadiens. Cela comprend une somme de 25 milliards de dollars à l'intention des provinces et des territoires par l'entremise d'ententes bilatérales adaptées et axées sur quatre grandes priorités, dont l'amélioration de l'accès aux services en santé mentale et en toxicomanie, ainsi que l'intégration de ces services à toutes les autres priorités. Cela s'ajoute aux 5 milliards de dollars promis en 2017 pour soutenir les services en santé mentale et en toxicomanie.
Notre gouvernement a aussi investi plus de 175 millions de dollars afin de soutenir la mise en œuvre et le fonctionnement du service 988, qui permettra à tous les Canadiens d'avoir accès à un soutien immédiat et sûr en matière de prévention du suicide et de détresse émotionnelle.
Tandis que l'aide médicale continue d'évoluer, nous devons veiller à fournir au public des renseignements clairs et précis. Nous prenons également très au sérieux les préoccupations soulevées par les personnes qui pourraient être systématiquement désavantagées. C'est pourquoi nous avons élargi la collecte de données sur l'aide médicale à mourir afin de mieux comprendre qui demande l'aide médicale à mourir et pourquoi. Cela comprend la collecte de données sur la race, l'identité autochtone et la situation de handicap. On ne peut diminuer les risques éventuels que si on les connaît.
Nous continuons de collaborer avec les peuples autochtones dans le cadre d'activités dirigées tant par les Autochtones que par le gouvernement, pour mieux comprendre le point de vue des Premières Nations sur l'aide médicale à mourir. En 2025, nous publierons un rapport sur ce que nous aurons entendu. Ce processus contribuera à la transparence, donnera un aperçu du fonctionnement de la loi et rassurera la population au sujet de l'obtention et de la prestation de l'aide médicale à mourir au Canada.
Enfin, tant le Groupe d'experts sur l'aide médicale à mourir et la maladie mentale que le comité parlementaire mixte spécial sur l'aide médicale à mourir ont souligné l'importance des mécanismes d'examen et de surveillance des cas pour appuyer une évaluation et une prestation sûre de l'aide médicale à mourir. La plupart des provinces et des territoires ont déjà mis en place des processus à cette fin, mais d'après ce que nous avons compris, il est possible d'en faire davantage. Nous collaborons avec les provinces et les territoires pour trouver de meilleurs modèles d'examen et de surveillance des cas, en particulier pour les demandes plus complexes, afin d'assurer l'uniformité et la qualité de l'aide médicale à mourir à l'échelle du Canada.
Je reconnais que l'aide médicale à mourir est une question complexe associée à des croyances et à des opinions bien enracinées. Je comprends les préoccupations qui ont été exprimées en ce qui concerne l'élargissement de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale. La mesure législative proposée donnerait aux médecins plus de temps pour se familiariser avec la formation et les mesures de soutien offertes et donnera également à la population le temps de prendre connaissance des robustes mesures de sauvegarde et processus qui sont en place.
Le gouvernement du Canada s'est également engagé à ce qu'un comité parlementaire mixte entreprenne une étude approfondie du régime d'aide médicale à mourir dans les deux ans suivant l'obtention de la sanction royale. Cette mesure permettrait d'examiner les progrès accomplis par les provinces, les territoires et les différents partenaires en vue de préparer les systèmes de soins de santé.
Entre-temps, le gouvernement continuera à collaborer avec les provinces et les territoires pour appuyer les améliorations constantes apportées au système et veiller à ce que les lois protègent les personnes vulnérables, reflètent les besoins de la population canadienne et favorisent l'autonomie et la liberté de choix. C'est pourquoi, après de longues délibérations, nous avons présenté le projet de loi C‑62 visant à prolonger jusqu'au 17 mars 2027 l'exclusion temporaire de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.
En d'autres termes, nous avons besoin de plus de temps pour bien faire les choses. J'invite tous les députés à appuyer le projet de loi C‑62.