Monsieur le Président, aujourd'hui, je suis déçue que nous devions encore une fois débattre d'un projet de loi très important sous une motion d'attribution de temps. J'ai un peu perdu le compte, mais je crois qu'il s'agit de la 80e motion d'attribution de temps. C'est arrivé si souvent sous ce gouvernement qu'il y a beaucoup de projets de lois complexes et essentiels dont on n'a pas eu la chance de débattre.
De plus, on a choisi un vendredi pour débattre de ce projet de loi extrêmement important à l'étape de la troisième lecture, alors que tout le monde sait que la majorité des députés ne sont pas présents à la Chambre le vendredi. Je dénonce cela.
J'aimerais aussi parler du vote à l'étape de la deuxième lecture. Il y a eu un vote à l'étape du rapport et un autre sur cette partie du projet de loi, et on a révisé le projet de loi en comité. Cela dit, je tiens à dénoncer le fait que le Parti libéral, malgré qu'il ait critiqué le projet de loi à maintes reprises, a donné son appui au projet de loi. Cela me rend extrêmement perplexe. Normalement, je ne siège pas au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, mais j'y étais lors de l'étude du projet de loi.
Lorsqu'ils ont posé des questions au secrétaire parlementaire, certains députés ont dit que le projet de loi visait d'abord à contrer l'intimidation. D'ailleurs, là-dessus, nous sommes 100 % d'accord avec les députés conservateurs. Tous les députés de tous les partis de la Chambre conviennent qu'il faut combattre la cyberintimidation, puisqu'il s'agit d'un enjeu très sérieux.
Les nouvelles technologies ont complètement transformé le phénomène de l'intimidation. Auparavant, lorsqu'on rentrait à la maison, les méchantes personnes à l'école ne pouvaient plus nous taquiner, car on était dans une zone sécuritaire. Maintenant, les nouvelles technologies et les réseaux sociaux permettent à l'intimidation de nous suivre partout.
Si quelqu'un n'aime pas ce qu'on a porté, ce sera écrit sur Facebook ou dans un courriel. De plus, des images troublantes peuvent nous suivre. Malheureusement, c'est ce qui est arrivé dans certains cas médiatisés, comme celui d'Amanda Todd. Peu importe ce qu'elle faisait, l'image la suivait. Je suis tout à fait d'accord pour contrer cela.
C'est pourquoi nous avons demandé de scinder le projet de loi. Ainsi, les éléments essentiels pourront être adoptés et amener des changements positifs pour contrer la cyberintimidation et la distribution non consensuelle d'images. J'aurais aimé qu'on ait eu le bons sens de faire adopter cette partie rapidement. Nous étions d'accord pour le faire, et cela aurait pu déjà être en train d'être étudié par l'autre Chambre. Malheureusement, on n'a pas voulu.
Cela me désole beaucoup, car la cyberintimidation est un enjeu qui me touche énormément. Je voudrais ne parler que des parties du projet de loi qui concernent cet enjeu dans mon discours de 20 minutes. Malheureusement, je ne pourrai pas, puisqu'il faut parler des parties problématiques de ce projet de loi qui risquent d'avoir des conséquences très graves pour la protection de la vie privée des Canadiens.
Les victimes de la cyberintimidation méritent mieux. En comité, des familles de victimes de cyberintimidation sont venues nous témoigner leur histoire. Elles ont été très courageuses. Toutefois, il y a des milliers d'autres cas qui ne sont pas médiatisés, malheureusement ou heureusement, je ne sais pas trop. Ces victimes méritent qu'on tienne un débat uniquement sur ce sujet. Malheureusement, on doit débattre des deux parce que ce gouvernement a été incapable de coopérer.
Certains de mes concitoyens travaillent très fort pour contrer la cyberintimidation. Il y a même quelqu'un qui a développé un site Web visant à créer un réseau social plus sécuritaire où les personnes ne peuvent pas être anonymes. C'est très intéressant.
Je tiens à souligner tous les efforts quotidiens de ces citoyens. Certains forment des groupes pour contrer la cyberintimidation. Ce sont vraiment des Canadiens exceptionnels, et je tiens à les remercier.
Par ailleurs, il faut parler des autres aspects, parce que malheureusement très peu de pages et d'articles de ce projet de loi portent réellement sur la cyberintimidation. La grande majorité porte sur des changements au Code criminel. Certains aspects sont corrects, mais d'autres vont profondément mettre à risque la protection des renseignements personnels des Canadiens.
On a beaucoup entendu le gouvernement nous dire qu'il y a un système de supervision judiciaire pour l'obtention de mandats visant à obtenir des renseignements personnels. Oui, certains aspects du projet de loi prévoient un mandat. Je vais parler de l'obtention de mandats plus tard, parce que c'est problématique.
Toutefois, ce que le gouvernement ne dit pas dans son discours et qu'il semble avoir complètement oublié, c'est qu'un système parallèle est en train d'être créé, dans lequel on dépasse complètement tous les systèmes d'obtention de mandats. Pourtant, cela faisait partie de son propre projet de loi. On est en train de passer complètement à côté de toute la supervision judiciaire sur laquelle nos systèmes juridiques sont basés. On est en train de créer tout un système parallèle où on peut simplement prendre le téléphone, appeler un fournisseur d'accès Internet, faire la demande en disant que c'est une urgence, et on va nous envoyer les informations. C'est une lacune que les libéraux ont créé dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, et dont abuse le gouvernement conservateur.
On a vu qu'il y avait des abus. La commissaire à l'information et à la protection de la vie privée par intérim a annoncé que dans une seule année, les agences gouvernementales ont fait un minimum de 1,2 million de demandes à des fournisseurs d'accès Internet. C'est énorme. J'ai de la difficulté à croire qu'il y a 1,2 million de terroristes par exemple, ou 1,2 million de criminels qui courent dans les rues et dont on a besoin d'obtenir les renseignements personnels.
En outre, l'information sur les 1,2 million de demandes ne venait pas du gouvernement, parce qu'il y a un grand manque de transparence de son côté. Il ne veut pas nous donner ces renseignements; cela venait des fournisseurs d'accès Internet.
De plus, il n'y a pas d'explication sur les raisons de ces demandes. Il n'y a pas de système qui révise ce genre de demandes pour garantir aux Canadiens qu'on a fait cela dans des cas exceptionnels. Je pense que les Canadiens sont prêts à accepter les cas exceptionnels. Il y a des situations d'urgence où on est incapables d'utiliser les processus réguliers et où on doit obtenir un mandat par la suite. Toutefois, compte tenu de ces 1,2 million de demandes, j'ai de la difficulté à croire que les Canadiens ne penseraient pas qu'il y a eu de l'abus et qu'il y a une lacune quelque part.
Par ailleurs, j'ai posé une question sur le Feuilleton au gouvernement. J'ai demandé combien de fois il faisait ce genre de demandes aux fournisseurs d'accès Internet; c'était seulement pour année, de 2012 à 2013. L'Agence des services frontaliers du Canada a déclaré avoir fait plus de 13 000 en un an. J'ai demandé si l'agence pouvait dire le genre de cas ou de situations dans lesquelles ce genre de demandes avaient été faites. Seulement deux demandes sur les 13 000 avaient été faites pour des raisons de sécurité nationale. Est-ce qu'on peut honnêtement dire que ce sont des cas exceptionnels ou des cas de sécurité nationale? Je pense que non. La question a été posée et la réponse ne tient pas la route.
J'ai posé une autre question au gouvernement, puisqu'il n'allait pas nous donner ces renseignements. J'ai demandé combien de fois les agences gouvernementales avaient fait ce genre de demandes depuis 2001, soit depuis l'adoption de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE. Ce qui est extrêmement troublant, c'est qu'on n'avait pas de données. On nous a dit qu'on n'avait pas un système pour répertorier ce genre de demandes et qu'on ne pouvait nous donner ces renseignements.
Une voix: Voyons!
Mme Charmaine Borg: Voyons donc! Le député assis derrière moi est en train de dire cela parce que c'est vrai. Voyons donc! On est en train de nous faire croire qu'on utilise cette porte arrière pour demander aux fournisseurs d'accès Internet des renseignements personnels, comme l'adresse IP des gens, mais qu'on n'est pas capables de répertorier cela.
On prétend qu'on n'est pas capable de retourner en arrière pour déterminer, par exemple, combien de demandes ont été faites et combien il y a de cas d'intimidation, de cas d'exploitation d'enfants, de cas de sécurité nationale ou de cas de lutte contre le terrorisme. On dit qu'on n'a pas ces données. Comment sommes-nous donc censés nous assurer qu'il n'y a pas d'abus? L'utilisation de lacunes est devenue la norme, et cela pose d'énormes problèmes.
Ce projet de loi donne l'immunité légale aux fournisseurs d'accès Internet qui décident de donner des renseignements personnels à la suite d'une demande d'une agence gouvernementale ou de leur propre initiative. Toutefois, la plupart du temps, ce sont les agences gouvernementales qui font la demande.
Un système parallèle faisait en sorte qu'un fournisseur d'accès Internet ayant partagé des données qu'il n'était pas en droit de partager, en cas d'abus, pouvait faire l'objet d'une poursuite. C'est la seule petite chose qui donnait un certain sentiment de sécurité aux gens.
Ainsi, dans certains cas, les fournisseurs d'accès Internet refusaient de répondre à une demande parce qu'ils ne voulaient pas courir le risque d'être poursuivis. Or le projet de loi C-13 fait disparaître cette seule chose qui faisait réfléchir deux fois les fournisseurs d'accès Internet. C'est un gros problème.
Quand les députés conservateurs et libéraux, puisqu'ils ont voté ensemble, disent s'assurer qu'il y a un équilibre et un système de mandat, c'est faux, car ils semblent avoir oublié qu'ils ont donné une immunité légale aux fournisseurs d'accès Internet dans ce projet de loi.
Par ailleurs, l'adresse IP permet de dévoiler énormément d'informations sur une personne, par exemple, ses conservations et où elle va. Contrairement à ce que les conservateurs aiment dire, ce ne sont pas les mêmes informations que celles que l'on retrouve dans un bottin téléphonique.
J'ai beaucoup parlé des lacunes créées par la LPRPDE, qui, au lieu d'être corrigées, seront empirées par les propositions contenues dans le projet de loi C-13. En plus de l'immunité légale accordée par le projet de loi C-13, on baisse aussi le seuil pour l'obtention de communications, c'est-à-dire le contenu d'un courriel ou d'un message texte, à soupçon raisonnable.
Un seuil existait pour l'obtention d'un mandat, ce qui était bien. Nous devons respecter ces seuils avant de pouvoir accéder à des renseignements personnels ou à des communications. Toutefois, on vient de baisser ce seuil à « soupçon raisonnable », ce qui ouvre la porte à des abus.
J'aimerais soulever un autre aspect très particulier de ce projet de loi. Si les agences gouvernementales pouvaient faire une demande de renseignements personnels à des fournisseurs d'accès Internet, maintenant, des fonctionnaires publics pourront avoir accès à ces renseignements par un simple appel téléphonique. Voici la définition d'un fonctionnaire public selon le projet de loi C-13:
Fonctionnaire public nommé ou désigné pour l’exécution ou le contrôle d’application d’une loi fédérale ou provinciale et chargé notamment de faire observer la présente loi ou toute autre loi fédérale.
Je peux penser à de nombreuses personnes que cette définition pourrait inclure, notamment des maires. Il y en a des bons comme des moins bons. Leur fait-on nécessairement confiance? Existe-t-il un système pour s'assurer qu'il n'y a pas d'abus? Non. On ouvre donc la porte encore plus grand.
Lorsque ce projet de loi a été étudié en comité, le NPD a proposé 37 amendements, qui ont tous été refusés. Nous avons entendu de nombreux témoins, et contrairement à ce que le secrétaire parlementaire vient de dire, ces témoins n'étaient pas tous d'accord.
Voici ce qu'a dit Carol Todd, la mère d'Amanda Todd:
Je ne veux pas que l'on s'ingère dans ma vie privée. Je ne veux pas que la vie privée de jeunes gens soit exposée. Je ne veux pas que des renseignements personnels soient exploités sans qu'une ordonnance de protection appuie les personnes visées. Je ne veux pas que l'on fasse du mal à un seul Canadien au nom de ma fille. Je veux que son héritage continue de donner espoir, de souligner nos différences et d'insuffler de la force à tous les jeunes gens partout dans le monde.
Je pense qu'elle aurait été très heureuse qu'on divise ce projet de loi car, au nom de sa fille, elle ne veut pas qu'on s'ingère dans la vie privée, qu'on abaisse le seuil d'obtention des communications, qu'on donne accès à des renseignements personnels sans mandat à des agences gouvernementales. C'est vraiment très clair.
Le comité n'a pas été capable d'évaluer un autre élément étant donné que c'est arrivé après l'étude en comité, et c'est la décision de la Cour suprême dans la cause Spencer. C'est une décision extrêmement importante qui a constaté quelque chose qui était peut-être un peu vague auparavant. La décision dans la cause Spencer a tranché qu'on ne pouvait pas avoir accès aux noms, adresses, numéros de téléphone et adresses IP des clients sans mandat. Or on vient tout de même d'inclure dans le projet de loi C-13 l'immunité légale pour les fournisseurs d'accès à Internet qui partagent des renseignements sans mandat.
Il y a donc des doutes, et des doutes très crédibles, à l'effet que ces parties de ce projet de loi ne sont pas constitutionnelles et qu'elles seront bloquées.
Cela dit, pourquoi n'a-t-on pas pu s'asseoir ensemble et évaluer cela? On sait que le gouvernement conservateur semble avoir un certain manque de respect pour la Constitution et pour les décisions de la Cour suprême. On l'a vu lors de processus entourant la nomination du nouveau juge à la Cour suprême. Or c'est la responsabilité du gouvernement de s'assurer que tous les projets de loi, toutes les lois qu'il veut mettre en application respectent la Constitution canadienne. C'est son devoir fondamental. Quand les conservateurs disent qu'il y a eu une révision, que des juristes ont évalué le projet de loi pour s'assurer qu'il respecte la Constitution, c'est bien beau, mais la décision dans la cause Spencer est arrivée après la rédaction du projet de loi.
Une autre chose me laisse perplexe. Comme on le sait, le gouvernement refuse de répondre à cette décision. Il prétend que tout est conforme dans le projet de loi et qu'il est constitutionnel, bien que plusieurs experts doutent qu'il passe le test de la Constitution après le prononcé de la décision dans la cause Spencer. Une chose est intéressante, c'est qu'on s'attendait à ce que le gouvernement réponde, mais au lieu de cela, ce sont les fournisseurs d'accès à Internet qui ont répondu. Désormais, Rogers et TELUS ne répondront plus aux demandes de renseignements sur leurs clients faites par les agences gouvernementales. Pourquoi le gouvernement ne prend-il pas ses responsabilités au sérieux en renonçant à faire ces demandes? Ce serait la chose responsable à faire de la part du gouvernement. Au lieu de cela, cela vient de l'autre côté. Cela me trouble énormément.
Il faut modifier la loi, je suis tout à fait d'accord. Il faut qu'elle corresponde à la modernisation des technologies et aux nouveaux problèmes auxquels la société fait face. De nombreuses nouvelles choses arrivent et il faut demeurer à jour. Toutefois, on ne peut pas et on ne devrait jamais placer la protection des gens devant la protection de la vie privée. On peut trouver un équilibre. Malgré ce dont les députés conservateurs veulent se convaincre, il n'y a pas d'équilibre dans ce projet de loi. De plus, il est fort probablement inconstitutionnel. C'est donc extrêmement problématique.
On dit qu'on ouvre la porte, que c'est correct dans telle ou telle situation. Oui, il y a des cas exceptionnels. Toutefois, je crains qu'on brime la protection des renseignements personnels, et qu'une fois qu'on aura ouvert la porte, on va continuer à l'ouvrir de plus en plus. Où, alors, notre société en sera-t-elle rendue?