Monsieur le Président, la Chambre se souviendra que ma question de privilège, à l'origine, concernait les dix-pour-cent de députés conservateurs visant des électeurs juifs de régions urbaines, comme ma circonscription, Mont-Royal.
Ces dix-pour-cent constituaient aussi un abus de procédure, et l'on parle ainsi d'une question de fonds publics beaucoup plus vaste, puisque plusieurs députés en ont envoyé, ce qui fait qu'ensemble ils représentent plus de 10 p. 100.
En outre, comme je l'ai affirmé à la Chambre, ces dix-pour-cent déformaient les faits et rapportaient des faussetés, et c'est peu dire, monsieur le Président. Je veux cependant m'en tenir au critère que vous avez énoncé aujourd'hui et dans votre décision du 19 novembre:
[...] que le bulletin parlementaire [...] a en effet déformé la vraie position de leur député dans le dossier du registre des armes d'épaule et qu'il a, à tout le moins, possiblement semé la confusion dans leur esprit.
Cela se trouve dans votre décision, monsieur le Président, mais j'ajouterai, en citant toujours cette décision:
De plus, le document a peut-être eu pour effet de ternir injustement la réputation et la crédibilité du député auprès des électeurs de sa circonscription et, par conséquent, de porter atteinte à ses privilèges en compromettant sa capacité d'exercer ses fonctions de député.
Ce qui peut faire le plus de tort, et c'est là que l'atteinte au privilège est le plus évidente, c'est la description fausse et cruelle de mon parti et de moi-même. Voici la seule allégation que je rapporterai à la Chambre. Le dépliant affirme que les libéraux « ont participé de plein gré à la conférence de Durban I, qui était ouvertement antisémite ».
C'est une accusation particulièrement odieuse, surtout si on la fait dans des circonscriptions qui sont visées en raison de leur importante communauté juive, puisque Durban est devenu, pour les Juifs de ma circonscription et de bien d'autres, une métaphore pour parler d'antisémitisme virulent.
Par conséquent, pointer du doigt un parti politique et, à plus forte raison, un député juif, en disant qu'ils ont participé de plein gré à un événement antisémite, est l'accusation la plus dangereuse et ignoble qu'on puisse faire.
Monsieur le Président, et c'est le principal point que je veux faire valoir au sujet de vos décisions et à l'appui de la motion de renvoi au comité de cette atteinte au privilège fondée de prime abord, ces accusations ont déjà causé, pour reprendre vos critères, des dommages et des préjudices à ma réputation et à l'estime qu'on me porte dans ma circonscription, les trois accusations réunies dans le dépliant constituant la pire accusation qu'on puisse porter. On m'a attaqué en tant que personne, en tant que député et en tant que membre de la communauté juive, et on a attaqué le parti dont je suis membre.
Cela a semé la confusion, pour reprendre votre critère, et en plus, cela a suscité la colère parmi mes électeurs. En plus de porter injustement atteinte à ma réputation et à ma crédibilité, comme si cela ne suffisait pas, pour utiliser à nouveau votre critère, cela portait clairement atteinte à mes privilèges et nuisait à ma capacité d'exercer mes fonctions de député.
J'ajouterai qu'en réaction au dépliant qui a été distribué dans ma circonscription, certaines personnes ont réclamé que je démissionne de mon poste de député et même que je me retire de la communauté juive, comme si j'avais trahi cette communauté. Le dépliant incriminé n'aurait pas pu avoir de retombées plus pernicieuses et préjudiciables que celles que je viens de mentionner et, monsieur le Président, je peux vous communiquer les éléments de preuve.
J'attire l'attention de la Chambre sur la décision rendue le 6 mai 1985 par le président Fraser, lorsqu'il déclare:
[...] toute tentative de semer la confusion sur l'identité d'un député [...] risque d'empêcher ce député de remplir ses fonctions [et] est une atteinte aux privilèges.
Je cite la déclaration du président Fraser au complet:
Il va sans dire qu'un député doit exercer ses fonctions comme il faut et que toute tentative de semer la confusion sur l'identité d'un député risque d'empêcher ce député de remplir ses fonctions comme il se doit. Toute initiative qui empêche ou vise à empêcher un député d'exercer ses fonctions est une atteinte aux privilèges. Cette opinion est corroborée par bien des commentaires et des précédents.
Monsieur le Président, dans votre décision d'aujourd'hui et dans celle qui précède, dans le cas du député de M. Peter Stoffer (Sackville—Eastern Shore, NPD), vous avez raffermi ces principes et ces précédents.
Je soulève la question de l'identité mentionnée dans la décision du président Fraser parce que, dans mon cas, il ne peut probablement pas y avoir plus grande trahison aux yeux des gens de confession juive que d'être soi-même juif et anti-sémite et cela est également vrai pour la députée de Winnipeg-Centre-Sud.
Une telle accusation dans le dix-pour-cent est absolument répugnante. Des électeurs ont même déclaré avoir reçu le dépliant plus d'une fois à leur domicile. Ils m'ont demandé comment je pouvais continuer d'appartenir à un parti anti-sémite et comment moi, un juif, je pouvais détester autant ma propre communauté. Ce n'est qu'une partie des éléments de preuve des retombées préjudiciables de l'envoi qui établissent clairement qu'il y a eu atteinte à mes privilèges.
Même ma femme, si je peux utiliser cet exemple, elle-même électrice de ma circonscription et ayant elle aussi reçu cet envoi du président du Conseil du Trésor, s'est sentie obligée d'écrite une lettre sur le sujet à la rédaction du National Post afin de tenter de calmer le tumulte et d'atténuer les retombées préjudiciables de ces dépliants. Comme elle l'a écrit, ce qui nous ramène à nouveau à la question du privilège:
Cette semaine, j'ai reçu le « dix-pour-cent » envoyé par les conservateurs, plus particulièrement par le [président du Conseil du Trésor], à l'intention de ce qu'on suppose être des foyers juifs dans la circonscription de Mont-Royal, à Montréal [...] Le dépliant en question attribue faussement aux libéraux (y compris mon mari, qui représente cette circonscription depuis dix ans) des actes ou des omissions sur des sujets qui ont de l'importance aux yeux des membres de la collectivité juive.
Il est déjà passablement présomptueux de croire que, aux urnes, les Canadiens de confession juive votent en bloc et se laissent strictement guider par de telles considérations, quelles que soient leurs préoccupations concernant les soins de santé, l'environnement, la justice sociale ou la pauvreté. Pour autant que je sache, aucun autre groupe religieux de notre circonscription n'a été ciblé ainsi. Mais, même si l'on se borne à considérer les sujets se rapportant aux valeurs « juives », le dépliant contient une série d'affirmations erronées, que l'on peut même qualifier de diffamatoires.
Je termine ici la lecture de l'extrait de sa lettre d'opinion. Je pense que ce passage suffit à démontrer qu'il y a eu une atteinte au privilège parlementaire dont résultent des conséquences préjudiciables.
Permettez-moi de passer à un autre argument avant de clore mon intervention.
Il y a un autre problème qui est susceptible d'empêcher les députés de s'acquitter de leur devoir et qui constitue par conséquent une violation du privilège parlementaire. Il s'agit du fait d'avoir constitué des listes et cibler les électeurs juifs. Il s'agit aussi de la réaction et des inquiétudes des électeurs face à ce ciblage, qui a l'apparence d'une violation de la vie privée.
Quoique je sois déjà passablement choqué de voir, par le contenu de ce dépliant, qu'on a réduit la collectivité juive à un ensemble d'électeurs s'intéressant à un seul sujet et votant systématiquement en bloc, je vois bien qu'il n'y a pas là, en soi, matière à soulever une question privilège. Mais, il peut bel et bien y avoir une atteinte au privilège lorsque des députés risquent d'être empêchés de faire leur travail parce que leurs électeurs hésitent à communiquer avec eux, de crainte que leurs renseignements personnels soient compilés ou manipulés d'une façon ou d'une autre.
Le ciblage d'une collectivité bien définie relativement à des sujets qui l'intéressent grandement risque non seulement d'être vu comme un abus de ressources parlementaires, et il y a nettement abus, mais aussi comme une manoeuvre contraire aux attentes des gens en matière de protection de la vie privée, ce qui a pour conséquence de nuire encore davantage aux députés dans l'exercice de leurs fonctions.
En tant que président du Bureau de régie interne, le chef de l'opposition vous a écrit, monsieur le Président, sur la question des dix-pour-cent. Si le Bureau de régie interne devait être saisi de cette question et si la motion devait être renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, je serais prêt à témoigner de ce cas de mauvaise utilisation et d'abus des dix-pour-cent et d'expliquer quels effets préjudiciables une telle utilisation peut avoir sur les députés et sur leur capacité à exercer leurs fonctions.