Madame la Présidente, je remercie mon collègue de Surrey North d'avoir accepté de partager son temps de parole avec moi dans le cadre du débat sur le projet de loi C-26. J'ai demandé spécifiquement de pouvoir participer au débat aujourd'hui au nom des électeurs que je représente dans la circonscription de Winnipeg-Centre.
Chaque fois que j'ai sondé les électeurs de ma circonscription quant à leur principal sujet de préoccupation, invariablement, depuis les 15 dernières années, ils ont cité la sécurité, la criminalité et les questions de justice pénale, la sécurité dans les rues et le droit d'y marcher sans crainte d'être agressés, avec le sentiment d'être à l'aise et en sécurité. Voilà le thème dominant de 34 ou 36 p. 100 des répondants à mes sondages. Les baisses d'impôt se retrouvent au bas de la liste avec 8 p. 100 environ. Cela s'explique peut-être par les caractéristiques socioéconomiques de ma circonscription, étant donné qu'on y trouve l'une des zones postales les plus pauvres au pays. Les personnes à faible revenu sont plus susceptibles d'être touchées au cours de leur vie par la criminalité, la violence, et même, le système de justice pénale.
Je m'intéresse particulièrement à ce projet de loi et à son incidence sur les Canadiens ordinaires.
Je tiens à rendre hommage à ma collègue de Gatineau. Je la félicite d'avoir représenté le parti dans ce dossier parfois controversé avec toute l'intégrité et le sens de la mesure qu'exigent des questions aussi sensibles. Je suis aussi fier de l'origine de cette mesure en particulier et des commentaires d'autres députés néo-démocrates.
La députée de Trinity—Spadina peut tirer crédit du fait que nous ayons ce débat aujourd'hui étant donné que M. David Chen, le propriétaire de l'épicerie Lucky Moose réside dans sa circonscription. C'est le résultat d'une affaire hautement médiatisée. Exaspéré d'être victime à répétition de vol à l'étalage dans son petit commerce, M. Chen s'est senti obligé de prendre des mesures considérées dangereuses et extraordinaires, mais que la plupart des Canadiens auraient jugé justifiées et nécessaires à ce moment-là.
Cela dit, nous sommes en présence d'une foule de droits contradictoires. Comme c'est le cas de nombreuses mesures législatives dont la Chambre est dûment saisie, c'est une question au sujet de laquelle des personnes raisonnables peuvent avoir de bonnes raisons d'être en désaccord. Par conséquent, nous ne voulons pas prendre cette question à la légère.
Au cours des quelques minutes dont je dispose, je poserai tout d'abord la prémisse selon laquelle l'étalon de mesure d'une société civile est la qualité de son système de justice pénale, ce dernier devant être jugé selon son équité et sa mise en application, au-delà de la crainte qu'on en fasse parfois une application arbitraire. En outre, par souci d'équité, il faut aussi prendre en compte certaines des forces motrices sous-jacentes au problème qui nous est soumis.
Je suis un ex-syndicaliste. J'ai négocié des dizaines, voire des centaines de conventions collectives. Chaque fois que nous voulions modifier un article de la convention collective, les représentants de la partie patronale nous posaient deux questions: premièrement, pourquoi voulions-nous changer l'article en question? Deuxièmement, avait-il causé problème pendant la durée de la convention collective?
À mon avis, on peut assurément dire que dans le cas qui nous occupe, il est justifié de réexaminer l'article 494 du Code criminel qui porte sur l'arrestation par des citoyens en se fondant sur le cas extraordinaire de M. Chen et de l'épicerie Lucky Moose, qui ont attiré l'attention de l'opinion publique sur cette question fascinante.
La raison pour laquelle j'ai commencé par décrire la situation démographique et socio-économique de ma circonscription, c'est que le contraire de la pauvreté, ce n'est pas la richesse. Le contraire de la pauvreté, c'est la justice. Il suffit pour s'en convaincre de constater le grand nombre de crimes, d'actes de violence et de démêlés avec la loi dans les quartiers à faible revenu.
Quand je me penche sur le cas de M. David Chen et la situation qui a été décrite de façon tellement éloquente par ma collègue de Trinity—Spadina, je suis réconforté à l'idée que tous les partis à la Chambre des communes reconnaissent la nécessité d'agir, mais en même temps, nous sommes perplexes devant l'approche adoptée par les conservateurs dans les dossiers de justice criminelle en cette 41e législature, et même durant la 40e, alors qu'ils étaient en situation minoritaire.
On les a vu brandir le spectre du crime et de la violence dans la rue comme prétexte pour justifier des projets de loi qui sont difficilement justifiables. Je songe au projet de loi C-10, auquel les autorités de la province du Manitoba, ma propre province, ont en fait demandé au gouvernement d'apporter certains changements dans le domaine de la détention, par exemple en cas de vol d'auto, car le Manitoba était alors aux prises avec une flambée de vols d'auto, souvent commis par de jeunes contrevenants. La police et les tribunaux trouvaient frustrantes les limitations qui empêchaient la détention d'un jeune délinquant. Il arrivait qu'un adolescent appréhendé après avoir volé une voiture était relâché le soir même pour être parfois arrêté par les mêmes policiers au volant d'un autre véhicule, tout cela en une période de 12 heures.
La province du Manitoba s'est donc présentée devant le gouvernement fédéral pour lui demander instamment d'apporter des changements de manière à permettre la détention de jeunes délinquants jusqu'au lendemain, c'est-à-dire jusqu'à leur comparution devant le tribunal. Cette mesure a finalement été intégrée au nouveau projet de loi qui a été très controversé, mais quand on parle de jeter le bébé avec l'eau du bain... La mesure législative définitive avec laquelle on s'est retrouvé allait bien au-delà de toute justification raisonnable.
Comme je l'ai dit, la première question qu'il faut se poser quand on aborde un projet de loi qui vise à modifier une disposition existante, c'est de savoir s'il y a une raison de le faire. Nous devons savoir si la loi en question a posé un problème grave. Dans bien des cas, le seul problème auquel on essayait de remédier était un épouvantail fabriqué de toutes pièces par les conservateurs pour semer la peur parmi les Canadiens, pour ensuite essayer de se présenter comme les sauveurs, les seuls capables de protéger les gens contre cette peur inventée. Or, toutes les données empiriques nous montrent que le taux de criminalité, en particulier dans les cas de crimes violents contre des personnes, etc., est en forte baisse statistiquement.
Cela n'a pourtant pas empêché les conservateurs de poster des dix-pour-cent dans ma circonscription pour essayer d'effrayer la population. À l'époque où les députés pouvaient encore envoyer des dix-pour-cent dans d'autres circonscriptions que la leur, j'ai vu l'un de ces documents qui était orné de la photo d'un type en train d'entrer par la fenêtre, le visage masqué, brandissant bien haut un couteau comme s'il allait pénétrer dans notre maison et nous assassiner en pleine nuit à coups de couteau si nous ne votions pas pour les conservateurs. Tel était le message, à toutes fins pratiques.
Même alors qu'ils essaient de calmer les gens et qu'ils leur montrent les statistiques indiquant que les rues n'ont jamais été aussi sûres, même dans un quartier où le nombre d'infractions contre les biens est élevé, et ainsi de suite, personne n'est particulièrement en danger d'être assassiné la nuit par cet accro muni d'un couteau.
Il y a un côté malhonnête et fallacieux à tout cela. Les conservateurs n'y vont pas avec le dos de la cuillère lorsqu'il s'agit des questions de justice pénale et leur réaction est tout à fait disproportionnée par rapport à la cause, à la demande et au besoin réels.
En ce qui concerne le projet de loi C-26, je peux dire que notre parti l'appuie avec les réserves qui ont été exprimées par un grand nombre de mes collègues.