Monsieur le Président, je suis heureux de prendre part au débat sur le projet de loi S‑4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID‑19 et autres mesures).
J'aimerais d'abord souligner que nous sommes réunis ici sur les terres ancestrales non cédées du peuple algonquin.
Depuis le début de la pandémie, le système de justice pénale, comme tant d'autres institutions dans notre pays, a dû relever des obstacles importants et sans précédent pour poursuivre ses activités tout en respectant les directives essentielles en matière de santé et de sécurité publiques, tous pouvoirs confondus. Les tribunaux criminels et les utilisateurs de ces derniers se sont adaptés rapidement et admirablement aux réalités de la pandémie. Ils ont trouvé des solutions novatrices pour assurer la prestation de services essentiels au public de manière sûre et efficace.
Le projet de loi S‑4 a pour but de réformer le Code criminel et d'autres dispositions législatives pour résoudre certains problèmes concrets cernés pendant la pandémie et exacerbés par celle-ci. Ces réformes moderniseront et amélioreront le système de justice pénale en augmentant la souplesse et l'efficacité des activités pour l'avenir.
Les députés se demandent peut-être pourquoi les changements proposés dans le projet de loi S‑4 sont toujours nécessaires, puisque nous sommes maintenant habitués de vivre dans un monde où la COVID-19 est présente, et que les tribunaux ont adapté leurs façons de faire depuis le début de la pandémie. Les changements proposés demeurent tout à fait cruciaux; ils contribueront à réduire les pressions que subissent encore les tribunaux pénaux en raison de la pandémie de COVID-19, y compris l'arriéré de cas qui s'est accumulé.
Je tiens à souligner que ce projet de loi est le résultat de consultations considérables auprès des provinces et qu'il a l'appui de premiers ministres provinciaux de tous les horizons politiques. J'ai appris que le mois dernier, lors de la rencontre fédérale-provinciale-territoriale des ministres de la Justice et de la Sécurité publique, tous les ministres de la Justice ont confirmé souhaiter que le processus d'adoption de ce projet de loi continue, puisqu'il permettra d'améliorer l'administration des tribunaux dans leur propre province ou territoire.
La pandémie a grandement bouleversé l'administration des tribunaux. Des avocats et des juges nous ont aussi dit qu'il fallait apporter des changements pour éviter que le système judiciaire prenne encore plus de retard. Le système de justice doit inspirer confiance aux Canadiens, et un système qui ne suit pas l'évolution de la société n'inspire pas confiance. À titre d'exemple, c'est notamment grâce aux audiences virtuelles et aux services offerts à distance que les utilisateurs des tribunaux ont pu avoir accès à la justice malgré les difficultés liées à la pandémie. Le projet de loi à l'étude viendrait améliorer et préciser les règles concernant l'utilisation de moyens technologiques dans le système de justice pénale.
Avant d'entrer dans les détails du projet de loi S‑4, je tiens à remercier le sénateur Pierre Dalphond d'avoir parrainé le projet de loi et d'avoir fait preuve de leadership pendant qu'il travaillait avec tous les sénateurs à l'autre endroit pour nous présenter ce projet de loi.
J'aimerais également souligner le travail diligent du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dans le cadre de l'étude du projet de loi S‑4 et remercier les témoins qui ont exprimé leurs points de vue sur cette mesure législative. L'étude du comité et l'examen des témoignages ont donné lieu à deux amendements au projet de loi, les nouveaux articles 78.1 et 78.2, qui rendraient obligatoire l'examen de l’utilisation de procédures à distance dans des affaires de justice pénale.
Passons maintenant aux modifications proposées dans le projet de loi et j'expliquerai comment elles s'attaqueront aux problèmes identifiés au cours de la pandémie et permettront aux accusés, aux victimes et aux autres personnes associées au système de justice pénale de réaliser des gains d'efficacité et d'avoir un meilleur accès à la justice.
Premièrement, le projet de loi améliorera et précisera les règles relatives aux comparutions à distance dans les procédures pénales; deuxièmement, il révisera le processus lié aux télémandats afin qu'une plus grande variété de mandats de perquisition et d'autres ordonnances d'enquête puissent être délivrés par des moyens de télécommunication; troisièmement, il permettra de prendre les empreintes digitales des accusés et des délinquants à une étape ultérieure à celle qui est actuellement autorisée; et quatrièmement, il améliorera les règles sur la gestion des instances par les juges.
En ce qui concerne les comparutions à distance, le projet de loi S‑4 s'appuie sur un projet de loi antérieur, le projet de loi C‑75, qui a introduit une nouvelle partie générale sur les comparutions à distance dans le Code criminel, soit la partie XXII.01, qui a élargi la disponibilité des comparutions à distance pour les accusés, les participants et les juges. Il faut noter que ces modifications ont été élaborées avant la pandémie et qu'elles ne tiennent pas compte du recours exponentiel aux solutions technologiques qui en a découlé.
Le projet de loi dont nous sommes saisis élargirait et clarifierait le processus permettant aux accusés de comparaître par vidéoconférence pendant les enquêtes préliminaires et les procès, tant pour les déclarations sommaires que pour les actes criminels, même lorsque des témoins sont entendus, sauf dans les cas où la preuve est présentée devant un jury. Le projet de loi permettrait aussi expressément à une personne accusée de comparaître à distance lorsqu'elle prononce un plaidoyer, soit par vidéoconférence ou par audioconférence, selon les circonstances. En outre, le projet de loi permettrait à un délinquant de comparaître à distance aux fins de la détermination de la peine.
Les nouvelles mesures concernant les comparutions à distance comprennent une exigence de consentement, de sorte que l'accusé ou le contrevenant et le procureur de la Couronne devront donner leur consentement pour comparaître de cette façon. En outre, toutes les décisions visant à procéder à distance seraient laissées à la discrétion du tribunal en fonction d'un certain nombre de facteurs qu'il serait tenu d'examiner. Par exemple, les tribunaux devront tenir compte du droit des accusés ou des délinquants à un procès public et équitable, et de la pertinence du lieu d'où ils comparaîtront avant de l'autoriser.
Je tiens également à souligner que le projet de loi ne rend pas les audiences à distance obligatoires et qu'il ne change rien au principe général selon lequel tous ceux qui participent à des procédures criminelles doivent se présenter en personne au tribunal, sauf autorisation contraire. Le projet de loi S‑4 ne cherche pas à remplacer les procédures réalisées en personne, dont l'importance demeure, mais plutôt à offrir d'autres façons de procéder lorsque des moyens technologiques existent et qu'on les juge appropriés.
Le projet de loi S‑4 promulguerait également des mesures de protection claires relatives aux comparutions par vidéoconférence. J'en ai mentionné quelques-unes, notamment le fait de s'assurer de l'approbation judiciaire, ainsi que du consentement de toutes les parties. En outre, le projet de loi exigerait que les accusés ou les contrevenants qui sont représentés par un avocat et qui comparaissent à distance aient la possibilité de consulter leur avocat en privé. De plus, les tribunaux doivent être convaincus qu'un accusé ou un contrevenant qui n'a pas accès à des conseils juridiques serait en mesure de comprendre la nature de la procédure et que toute décision qu'il pourrait prendre au cours de l'instance serait volontaire.
Étant donné que des centaines de personnes peuvent être convoquées au même endroit dans le cadre du processus de sélection des jurés, de nombreuses sélections de jurés pour des procès criminels ont été reportées ou retardées pendant la pandémie. Certaines provinces s'inquiètent des retards dans la tenue des procès par jury. Le projet de loi S‑4 donnerait aux tribunaux la possibilité de tenir un processus de sélection de jurés par vidéo lorsque les deux parties y consentent et que des mesures de protection appropriées sont en place, comme veiller à ce que les tribunaux approuvent l'utilisation d'un lieu où l'infrastructure technologique serait disponible pour que les juristes potentiels puissent participer au processus.
Depuis mai 2020, le ministre de la Justice copréside le Comité d'action sur l'administration des tribunaux en réponse à la COVID‑19 avec le juge en chef de la Cour suprême du Canada, le très honorable Richard Wagner.
Le ministre m'a fait savoir que, à ce titre, il a continué d'apprendre comment la pandémie avait affecté les activités des tribunaux et aggravé des problèmes qui existaient déjà, notamment l'arriéré croissant de cas et les enjeux liés à l'accès à la justice. Nous avons bon espoir que le projet de loi S‑4 contribue aux efforts pour régler ces problèmes en facilitant un recours accru à la technologie dans le système de justice pénale.
Je sais que, pendant l'étude du comité sénatorial sur le projet de loi S‑4, certains témoins ont exprimé des préoccupations au sujet du manque de ressources technologiques dans les tribunaux et les établissements correctionnels et de l'incapacité de personnes vulnérables ou désavantagées d'avoir accès à la technologie. Je reconnais que ces préoccupations sont fondées, et le gouvernement est déterminé à s'attaquer à ces problèmes.
Le gouvernement s'est engagé à faire entrer le système judiciaire canadien dans le XXIe siècle et à collaborer avec les provinces et les territoires pour ce faire. Dans l'énoncé économique de 2020-2021, le gouvernement a annoncé des investissements technologiques d'approximativement 40 millions de dollars pour les tribunaux d'un bout à l'autre du Canada. Le gouvernement s'est également engagé à brancher 98 % des Canadiens à Internet d'ici 2026, et tous les Canadiens, d'ici 2030.
Je sais aussi que de nombreux témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial au sujet du projet de loi S‑4 ont appuyé les réformes proposées et estiment que le recours accru à la technologie par les tribunaux et les participants est avantageux et facilite grandement l'accès à la justice.
Bref, le projet de loi S‑4 établit un juste équilibre en ne rendant pas obligatoire la comparution à distance, mais en offrant plutôt aux tribunaux une certaine souplesse pour la tenue des audiences, en prévoyant le consentement des deux parties et en accordant aux juges un pouvoir discrétionnaire. Cette mesure assure également la prise en compte des ressources technologiques dont disposent les tribunaux et les utilisateurs. Le projet de loi S‑4 contribuerait également à ce que les audiences à distance se déroulent dans le respect des droits garantis par la Charte, pour les accusés et les contrevenants.
J'aimerais maintenant parler des modifications apportées au processus d'utilisation des télémandats qui se trouve actuellement dans le Code criminel et qui permet à un agent de la paix de demander certains mandats par des moyens technologiques à condition de respecter certains critères.
Le projet de loi S‑4 simplifie le processus d'utilisation des télémandats et en élargit l'application à une plus grande variété de mandats d'enquête, comme des mandats visant à saisir des armes, des mandats de perquisition, ainsi que des ordonnances de communication de documents et de données financières.
Selon les termes de ce processus simplifié, un policier pourra demander un mandat de perquisition par un moyen de télécommunication sous forme écrite, un courriel, par exemple, sans qu'il soit obligatoire de répondre à l’exigence actuelle selon laquelle l'agent de la paix doit démontrer qu'il est peu commode de se présenter en personne pour demander un mandat.
Les policiers pourront continuer de demander un mandat par un moyen de télécommunication qui ne rend pas la communication sous forme écrite, par téléphone, par exemple. Dans ce cas, toutefois, le juge qui reçoit la demande de mandat devra être convaincu que la demande démontre l’existence de motifs raisonnables pour exempter le demandeur de la présenter par un moyen de télécommunication qui rend la communication sous forme écrite, comme un courriel.
Le processus modifié d'utilisation des télémandats serait aussi étendu pour s'appliquer de façon plus large de deux façons.
Premièrement, le processus s'appliquerait maintenant aux enquêtes concernant tous les types d'infractions et non uniquement aux infractions punissables par mise en accusation.
Deuxièmement, le processus serait accessible aux responsables de l'application de la loi autres que les agents de la paix, notamment les fonctionnaires publics.
Par exemple, il s'appliquerait aux fonctionnaires de l'Agence du revenu du Canada chargés d'enquêter sur les infractions fiscales, qui peuvent à l'heure actuelle demander un mandat de perquisition et d'autres ordonnances judiciaires en se présentant en personne.
De même, le processus serait désormais accessible à tout juge ou magistrat qui émet un mandat, une ordonnance ou une autorisation, ce qui supprimerait l'exigence actuelle selon laquelle seuls des juges spécifiquement désignés peuvent émettre des télémandats.
Le projet de loi S‑4 harmonise aussi les règles qui s'appliquent aux télémandats et celles des mandats obtenus en personne relativement à l'exécution des mandats et au rapport exigé suivant la saisie des biens.
Plus précisément, le projet de loi S‑4 ajoute une obligation pour la police exécutant un mandat de perquisition de fournir à l'occupant du lieu perquisitionné une copie du mandat, ainsi qu'un nouvel avis. Cet avis contiendrait des renseignements essentiels sur l'endroit où la personne peut obtenir une copie du rapport sur les biens saisis et sur le lieu où ces biens sont détenus.
Soulignons toutefois que ces exigences ne s'appliqueraient pas aux mandats de perquisition demandés relativement à des biens saisis que la police détient déjà légalement. Ainsi, il ne serait pas nécessaire de fournir une copie du mandat et de l’avis à la personne responsable d’un casier à pièces à conviction de la police.
Le projet de loi apporte également des modifications au processus de prise d'empreintes digitales. La pandémie a perturbé la capacité de la police à obtenir les empreintes digitales des accusés et des délinquants en raison des exigences de distanciation physique, ce qui a entraîné d'importants défis opérationnels pour les tribunaux pénaux.
À l'heure actuelle, les personnes accusées d'une infraction peuvent se voir ordonner par la police ou un juge de se présenter à une heure et à un endroit précis aux fins d'identification.
Cependant, dans la plupart des cas, si quelque chose empêche un policier de procéder à la prise des empreintes digitales au moment prévu, aucun mécanisme ne permet à l'agent de demander à quelqu'un de revenir à un autre moment. Le projet de loi corrige cette situation en permettant la prise des empreintes digitales à un autre moment s'il est impossible de le faire plus tôt à cause de circonstances exceptionnelles comme celles auxquelles nous avons dû faire face pendant la pandémie de COVID‑19.
Le projet de loi ne changerait pas les règles concernant les personnes dont on peut prendre les empreintes digitales.
Par ailleurs, le projet de loi S‑4 élargit le pouvoir des tribunaux d'établir des règles sur la gestion des instances afin de permettre à leurs fonctionnaires de régler des questions de nature administrative qui touchent les procédures extrajudiciaires, notamment en ce qui concerne les accusés non représentés par un avocat.
À l'heure actuelle, le Code criminel permet aux tribunaux d'établir des règles seulement lorsque l'accusé est représenté par un avocat. La gestion des instances améliore l'efficacité du système de justice pénale. En élargissant le pouvoir des tribunaux d'établir ce genre de règles, le projet de loi S‑4 contribuera à réduire les comparutions en cour inutiles lorsque l'accusé n'est pas représenté par un avocat.
Je sais que le ministre de la Justice reste déterminé à moderniser le système de justice pénale et à soutenir les réalisations technologiques des tribunaux au cours de la pandémie. Je soutiens ces objectifs et nous devons continuer à adopter des solutions technologiques lorsqu'elles sont disponibles et appropriées.
Bon nombre d'intervenants et de nos partenaires, en particulier nos partenaires provinciaux, insistent constamment sur l'urgence d'apporter ces modifications. Il me tarde de travailler avec mes collègues de tous les partis afin que nous puissions adopter cet important projet de loi et mettre en place ces mesures.