Madame la Présidente, je suis ravi de prendre la parole aujourd'hui pour participer à un débat qui se révèle animé. Qui aurait cru que le système de justice pénale soulèverait les passions? Comme mes collègues qui se sont exprimés avant moi, au NPD, nous avons mené de vastes consultations avec des avocats de la défense, des universitaires, des procureurs, des sous-procureurs généraux et d'autres personnes occupant des postes semblables. Malheureusement, à la suite de ces discussions, nous en sommes venus à la conclusion que nous devions nous opposer au projet de loi.
Cela dit, je tiens à préciser à mes collègues que notre objectif est de collaborer avec le gouvernement, de le prendre au mot et de lui offrir notre aide pour déterminer les façons d'améliorer le projet de loi au comité de la justice. Après tout, la mesure législative compte plus de 300 pages. C'est un projet de loi omnibus qui modifie le système de justice pénale. Nous souhaitons travailler de façon constructive pour l'améliorer dans l'intérêt des Canadiens. Nous voulons donc le renvoyer au comité le plus rapidement possible à cette fin.
Évidemment, dans toute réforme de la justice pénale, il y a deux objectifs. L'efficience est clairement l'objectif déclaré du gouvernement: accroître l'efficacité des tribunaux, éliminer l'arriéré et gérer les conséquences du cas Jordan, dans lequel la Cour suprême a confirmé que nous devons avoir un système de justice rapide au Canada. L'efficience est le grand objectif avancé par le gouvernement, et j'y reviendrai. En même temps, nous ne pouvons jamais, bien entendu, perdre de vue les droits de l'accusé dans notre système de justice.
Je dois dire d'emblée que, selon nos recherches et nos consultations, il y a de bonnes mesures dans ce projet de loi, et je vais en parler, mais il y a également des aspects très problématiques qui, dans certains cas, ont été soulevés par tous ceux que nous avons consultés. C'est donc ce que nous souhaitons mettre en lumière dans le cadre de ce débat.
Par exemple, Sayeh Hassan, avocate criminaliste basée à Toronto, a résumé ce que nombre de gens nous ont dit en écrivant ceci:
Même si certaines dispositions du projet de loi C-75 pourraient améliorer le système de justice pénale, dans bien d'autres cas, non seulement les mesures proposées seront inefficaces lorsqu'il s'agit de réduire les délais, mais elles auront également pour effet d'éliminer nombre de droits actuellement accordés aux accusés.
Le problème le plus flagrant, c'est que le gouvernement a choisi de ne pas du tout tenir compte d'un aspect dont bien des gens ont parlé, c'est-à-dire la nécessité d'abolir les peines minimales obligatoires. Il était permis d'espérer que la ministre s'attaque à ce problème. Après tout, Sean Fine, auteur du Globe and Mail spécialisé dans les affaires juridiques, a écrit ceci:
Déjà en octobre 2016, la ministre de la Justice a dit, lors d'un discours devant la Criminal Lawyers' Association, qu'elle allait changer « prochainement » les dispositions législatives concernant les peines minimales obligatoires. Quelques jours plus tard, elle a dit au Globe and Mail qu'on verrait bientôt les nouvelles dispositions législatives et qu'elles seraient présentées « certainement au début de la prochaine année ».
Nous sommes maintenant en 2018, et nous sommes saisis d'un projet de loi de 300 pages qui ne dit rien sur cette initiative de réforme et qui aurait pu résoudre le problème des délais beaucoup plus efficacement. Je souligne également que cet objectif figurait dans la lettre de mandat de la ministre et qu'il n'est pas pris en compte dans ce projet de loi de 300 pages. Même si j'ai énormément de respect pour la ministre, je dois souligner que l'absence de réforme à l'égard des peines minimales obligatoires représente une occasion manquée.
Nous savons tous que le système judiciaire est engorgé et ainsi de suite. Cela a déjà été dit, mais nous sommes tous conscients des graves injustices qui ont été commises. Le mois dernier, à Calgary, Nick Chan, qui est un membre et un chef présumé de gang, dont le cas a été très médiatisé, a été acquitté des accusations de meurtre, de complot en vue de commettre un meurtre et d'avoir dirigé une organisation criminelle. Pourquoi? Parce qu'il n'aurait pas été possible de tenir un procès dans un délai raisonnable tel que le prévoit l'arrêt Jordan de 2016. Les Canadiens estiment que c'est inacceptable.
La question qu'il faut poser est la suivante: ce projet de loi résout-il vraiment ce problème? Bien des gens soutiennent que ce sérieux problème demeure. Dans son exposé de position, la Criminal Lawyers' Association affirme notamment:
Les peines minimales obligatoires entravent l'efficacité du processus de règlement des cas en limitant le pouvoir discrétionnaire de la Couronne d'offrir une peine qui réduira la capacité de la Couronne d'adopter une position favorisant un règlement avant le procès.
Voici ce qui se produit. Comme les avocats de la défense savent qu'il y a une peine minimale obligatoire, ils évitent de prendre le risque de compter sur la discrétion de la cour étant donné que les conservateurs de Stephen Harper ont essentiellement éliminé le pouvoir discrétionnaire des juges. Résultat: des gens subissent des procès où, dans le passé, ils auraient plutôt plaidé coupables à de moindres accusations. Il est inexcusable que rien de tout cela n'ait été abordé dans ce projet de loi.
Ma collègue de Nanaimo—Ladysmith a aussi déclaré à maintes reprises que le Canada est aux prises avec un problème de surreprésentation des femmes autochtones, en particulier. Ma collègue a travaillé sur ce dossier en tant que membre du comité de la condition féminine. Pendant son témoignage au comité, Jonathan Rudin, des Services juridiques autochtones, a insisté sur l'inaction du gouvernement concernant l'abolition des peines minimales obligatoires et de leur effet sur les femmes autochtones. Il a dit:
Nous devons penser au fait qu'il existe encore des sentences minimales obligatoires qui empêchent les juges d'infliger aux femmes autochtones les peines qu'ils voudraient leur infliger. Certaines dispositions empêchent encore les juges de recourir à des peines avec sursis, lesquelles évitent l'incarcération aux femmes.
Avant tout, il a pressé le comité de recommander une mesure législative afin de redonner aux juges ce pouvoir discrétionnaire. C'est ce que les libéraux avaient promis de faire et, de toute évidence, ils ne l'ont pas fait. En 2015 — et c'est probablement pire aujourd'hui —, la proportion d'hommes autochtones d'âge adulte dans la population carcérale était huit fois plus élevée que dans la population générale, et douze fois plus élevée dans le cas des femmes autochtones. Toute mesure susceptible de régler ce problème doit être étudiée sérieusement. Le gouvernement a échoué dans le mandat que lui a confié le premier ministre à cet égard.
J'ai promis que je m'attarderais à des aspects du projet de loi auxquels le NPD est favorable.
Premièrement, il élimine ce qu'on appelle les dispositions zombies du Code criminel, ce qui est une bonne chose. Par exemple, la criminalisation du sexe anal aurait pu être abolie il y a longtemps et nous sommes ravis que le gouvernement l'ait fait. J'aurais souhaité qu'il accorde le même sort à d'autres dispositions zombies, comme la disposition du Code criminel qui interdit le ski nautique en soirée. Peut-être le gouvernement se penchera là-dessus ultérieurement.
Deuxièmement, il est judicieux de redonner aux juges le pouvoir de décider d'imposer moins ou pas de suramendes compensatoires. Je félicite le gouvernement d'avoir agi sur ce point. Comme l'a affirmé le député conservateur, je crois, élargir la définition de « partenaire intime » est également un pas dans la bonne direction. De plus, il est bon de créer un autre processus concernant les cas de non-respect des conditions de mise en liberté et de codifier le principe dit de l'échelle, qui exige qu'on impose la forme la moins pénalisante de mise en liberté.
Je suis moi-même en faveur de l'abolition des récusations péremptoires. Je sais que la question suscite la controverse, mais je suis d'avis que c'est une bonne chose. Je tiens à le signaler.
D'un autre côté, voici quelques aspects négatifs.
Absolument toutes les personnes à qui nous avons parlé ont dit que la disposition sur l'admissibilité des soi-disant éléments de preuve de routine recueillis par la police est trop vaste et pourrait être problématique pour les personnes marginalisées en particulier. Tout le monde s'entendait pour dire que le libellé de l'élément de preuve routine doit être corrigé. Beaucoup de gens étaient heureux que l'heure à laquelle l'infraction a été commise, la météo ou les résultats de laboratoire de routine soient disponibles. Cependant, selon la façon dont la disposition est rédigée, elle pourrait même permettre à la Couronne de refuser qu'un policier vienne témoigner. Je ne pense pas que c'était l'intention du gouvernement, mais c'est un exemple de ce qui semble être un projet de loi rédigé à la hâte et qui doit être corrigé. L'ironie, c'est que la plupart des juges vont permettre le contre-interrogatoire des agents de police, de sorte que le sergent Brown devra être rappelé plus tard, ce qui entraînera plus de retard. Ce n'est certainement pas intentionnel. C'est certainement quelque chose que nous pouvons régler en travaillant ensemble.
Le professeur Peter Sankoff de l'Université de l'Alberta est allé jusqu'à qualifier cette mesure d'extrêmement dangereuse et inefficace. Ce n'est pas seulement nous qui le disons.
Nous avons beaucoup entendu parler des infractions mixtes aujourd'hui. Je suis persuadé que le gouvernement conviendra qu'il semble nécessaire de modifier l'aspect des infractions mixtes. Comme des collègues l'ont souligné, le transfert aux tribunaux provinciaux de nombreuses infractions ne fera que déplacer le problème de l'engorgement des cours supérieures vers les cours provinciales, car un plus grand nombre d'affaires seront traitées par déclaration sommaire de culpabilité. Je me demande si la consultation avec les ministres provinciaux et territoriaux a été claire à ce sujet. En Colombie-Britannique, la cour provinciale entend déjà 95 % de toutes les affaires criminelles. Je suis sûr que ce n'est pas si différent ailleurs, alors j'invite le gouvernement à réfléchir à la façon dont nous pouvons travailler ensemble pour régler ce problème de transfert de surcharge évident.
Un autre sujet de préoccupation, peut-être moins évident, c'est que le gouvernement a l'intention d'augmenter les peines maximales pour les déclarations de culpabilité par procédure sommaire. Concrètement, cela signifie que des acteurs comme les étudiants en droit et les techniciens juridiques, qui sont actuellement en mesure de représenter des personnes accusées d'une infraction passible d'une peine maximale de six mois ou moins, ne pourront pas le faire pour toute une gamme d'infractions si ces changements vont de l'avant. C'est une conséquence involontaire, mais il faut certainement s'y attarder, car non seulement nous avons déjà un problème avec les personnes non représentées dans les cours provinciales et les juges qui font des pieds et des mains, comme il se doit, pour aider ceux qui n'ont pas les moyens d'obtenir les services d'un avocat, mais maintenant ils ne pourront pas non plus obtenir les services d'un technicien juridique ni d'un étudiant en droit pour les représenter dans certains cas. Encore une fois, j'aurais cru que le gouvernement ne voulait pas que cela se produise, mais il semble que cela se produira.
En terminant, je tiens à dire que je suis conscient que le budget de 2018 augmente le financement de l'aide juridique. Je crois que tout le monde s'entend pour dire qu'il était plus que temps. Je félicite le gouvernement d'avoir pris cette décision. Or, en Colombie-Britannique, comme on a pu le lire dans le Vancouver Sun d'hier, c'est trop peu trop tard. Certes, il s'agit d'une augmentation faramineuse par rapport à ce qui se faisait auparavant, mais selon le PDG de la Legal Services Society, c'est-à-dire les services d'aide juridique de la province, Mark Benton: « De nombreux avocats qui offrent leurs services aux pauvres travaillent à perte, c'est-à-dire à des tarifs insuffisants pour que la plupart puissent gagner leur vie. Tellement bas, en fait, que la LSS a du mal à trouver des avocats et à les garder. » Il faut s'occuper de ce problème.
Mon collègue de Niagara Falls et moi avons discuté tout à l'heure de la question de l'enquête préliminaire, et je sais que nous ne sommes pas du même avis. C'est un fait: les changements proposés feraient diminuer le temps des procédures d'environ 3 % seulement. Le gouvernement est tout fier de dire que la mesure législative réduira de 87 % le nombre d'enquêtes préliminaires, ce qui peut paraître excellent, mais il se garde bien d'ajouter qu'elle n'aura à peu près aucun effet sur la durée des procédures. Pourquoi proposer une telle mesure, alors? Pourquoi courir le risque qu'il y ait davantage de déclarations de culpabilité erronées, comme le craint le président du Conseil canadien des avocats de la défense, Bill Trudell? Pourquoi retirer aux prévenus un de leurs droits? Le gouvernement répond que le droit à la divulgation établi dans Stinchcombe demeure valide et que nous sommes très loin de l'époque où les enquêtes préliminaires ont vu le jour, mais a-t-il pris le temps de peser le pour et le contre de cette mesure? Nous réduirons la durée des procédures de 3 %, mais certaines personnes pourraient être reconnues coupables à tort. Selon moi, les deux ne se comparent même pas. Les risques sont excessifs, et je crois que cela devrait nous inquiéter.
J'ai déjà parlé de la violence entre partenaires intimes et du cautionnement, alors je ne reviendrai pas là-dessus, parce que le temps file.
Des inquiétudes persistent quant à l'effet qu'aura le projet de loi sur les personnes qui ont fréquenté un pensionnat indien ou qui ont vécu un traumatisme semblable, comme les victimes de la rafle des années 1960. Voici par exemple ce qu'a déclaré la Criminal Lawyers' Association:
Malheureusement, la violence entre partenaires intimes est l'une des séquelles reconnues laissées par les pensionnats autochtones et la rafle des années 1960. L'inversion du fardeau de la preuve à l'étape de la mise en liberté sous caution et l'alourdissement de la peine des personnes reconnues coupables risquent d'empirer la surreprésentation des Autochtones dans les prisons.
C'est une préoccupation qu'ont aussi exprimée les professeures Elizabeth Sheehy et Isabel Grant. Je pense donc que nous devons nous attaquer à cette question et déterminer si nous pouvons trouver une autre solution, même si, à mon avis, celle-ci partait d'une bonne intention.
En conclusion, je veux maintenant souligner quelques mesures qui, selon nous, pourraient nous permettre de régler certains des problèmes.
Premièrement, le gouvernement prétend qu'il a nommé des juges — nous avons entendu les conservateurs faire la même affirmation —, mais il semble toujours y avoir des postes de juge vacants. Je ne veux pas dire qu'il s'agit de l'unique option, mais il faut remédier à la situation dans le cadre d'une solution globale.
Deuxièmement, comme je l'ai mentionné, nous souhaitons que le gouvernement revienne sur sa décision de ne pas revoir les peines minimales obligatoires.
Troisièmement, le NPD estime que le fait de décriminaliser la possession de petites quantités de drogues dans le contexte de la présente crise des opioïdes permettrait assurément de réduire l'engorgement actuel des tribunaux. Qui sont les gens souvent sans représentation dans les tribunaux provinciaux? Il y a un nombre disproportionné de gens aux prises avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanes, de gens pauvres qui n'ont tout simplement pas les moyens de se payer un avocat, et l'aide juridique n'a pas la capacité de s'occuper d'eux. Voilà ce qui engorge le système.
Si on examine la situation sous cet angle, nous ferions vraiment de vastes efforts pour réformer le système. Jagmeet Singh a fait une déclaration audacieuse en affirmant qu'une partie de la solution à la congestion des tribunaux passe fort probablement par la décriminalisation de la possession de petites quantités de drogues. La bonne façon de procéder est habituellement de ne pas criminaliser ces problèmes, mais bien de les traiter comme des problèmes de santé mentale et des problèmes de santé. Nous devons trouver une meilleure solution.
À Vancouver et à Victoria, il y a des tribunaux de traitement de la toxicomanie, et on a trouvé des moyens originaux de s'attaquer à ce problème, mais ils n'ont pas été efficaces. Il y a encore de graves problèmes.
En judiciarisant les gens, ils finissent avec un casier judiciaire. Qu'arrive-t-il lorsqu'on a un casier judiciaire? Dans de nombreux cas, on ne peut plus se trouver d'emploi. Y avons-nous pensé? C'est primordial.
J'ai affirmé maintes fois à la Chambre qu'il est injuste que des milliers de Canadiens se retrouvent avec un casier judiciaire pour possession de petites quantités de cannabis. Il y a encore des gens qui ne parviennent pas à obtenir un emploi parce qu'on continue de les accuser en vertu de la loi actuelle. Cependant, les choses sont sur le point de changer. Je félicite le député de Hull—Aylmer d'avoir présenté un projet de loi en vue de radier ces casiers judiciaires. Je ne crois pas que sa mesure législative aille assez loin, mais j'appuierai certes cette initiative.
Finalement, nous offririons de meilleurs soutiens sociaux. C'est là le fond du problème. Nous avons besoin de fonds supplémentaires pour l'aide juridique, ce qui réduirait sûrement le nombre de gens sans représentation et garantirait que davantage d'accusés ont accès à des ressources grandement nécessaires.
Plus tôt aujourd'hui, j'ai parlé d'un excellent résumé sur les consultations menées par le gouvernement à cet égard. Il s'agit plus précisément d'un rapport publié en mars 2018 par le ministère de la Justice, qui s'intitule « Ce que nous avons entendu — Transformer le système canadien de justice pénale ». Je veux lire sa conclusion fondamentale et demander à la Chambre si le projet de loi donnera les résultats escomptés.
Il dit ceci:
Presque tous les participants à la table ronde ont exprimé les mêmes préoccupations majeures. Ils ont dit que presque toutes les personnes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale sont des personnes vulnérables ou marginalisées. Elles souffrent de problèmes de santé mentale, de toxicomanie, de pauvreté, d’itinérance et ont déjà été victimes d’actes de violence. La plupart des participants ont estimé que le système de justice pénale n’est pas outillé pour répondre aux problèmes qui sont à la source de comportements criminels chez ces groupes, et qu’il ne devrait pas l’être. Selon les participants, ces problèmes sont aggravés par un recours excessif à l’incarcération.
Nous sommes tout à fait d'accord. J'espère que mes collègues tiendront compte de ces préoccupations et travailleront avec nous au comité de la justice en vue d'apporter les changements dont notre système de justice pénale a évidemment grandement besoin.