Monsieur le Président, je suis heureux de pouvoir prendre la parole aujourd'hui à propos du projet de loi C-622, proposé par ma collègue de Vancouver Quadra, qui vise, sur le plan de la forme, à modifier la Loi sur la défense nationale afin d'améliorer la transparence et la responsabilité ainsi qu'à prévoir l’examen indépendant des activités du Centre de la sécurité des télécommunications. Il vise aussi à édicter la Loi constituant le Comité parlementaire sur le renseignement et la sécurité. Par ce projet de loi, nous cherchons à atteindre l'important équilibre entre la sécurité nationale, le droit des Canadiens à la vie privée et la surveillance du Parlement.
Les Canadiens ont constaté cette année qu'ils avaient de bonnes raisons de s'inquiéter lorsqu'ils ont appris que le Centre de la sécurité des télécommunications contrôlait les services d'accès sans fil à Internet dans les aéroports canadiens. Il semble d'ailleurs qu'il y ait lieu de s'inquiéter, de manière générale, du respect du droit à la vie privée par le gouvernement actuel.
Pensons au projet de loi de Vic Toews. Nous nous souvenons tous du projet de loi d'espionnage électronique, qui n'a heureusement pas été adopté, mais dont plusieurs dispositions ont été intégrées dans un nouveau projet de loi, le projet de loi C-13, où elles ont été amalgamées à des dispositions pour protéger les droits des victimes et lutter contre la cyberintimidation. L'exemple le plus récent de la tendance du gouvernement à empiéter sur les droits des citoyens est le projet de loi sur la protection des renseignements personnels numériques ou projet de loi S-4, par lequel le gouvernement voudrait ouvrir la porte encore un peu plus grand. Il s'agit de permettre aux entités susceptibles de recevoir des renseignements personnels de profiter des dispositions déjà adoptées du projet de loi C-13. Le thème de la remise en question du droit à la confidentialité au Canada revient constamment depuis que le gouvernement actuel est au pouvoir.
Monsieur le Président, avant de poursuivre mes explications, je voudrais décrire brièvement le rôle joué par le Centre de la sécurité des télécommunications à l'intention de ceux qui suivent le débat de ce soir et également des députés qui ne connaissent pas suffisamment cet organisme pour pouvoir prendre part adéquatement au débat.
Le Centre de la sécurité des télécommunications a un mandat à trois volets. Premièrement, il est responsable de recueillir des renseignements étrangers au moyen d'Internet. Deuxièmement, c'est le principal responsable de la cybersécurité au sein de l'État fédéral. Troisièmement, il peut se servir de ses capacités et de son expertise technologiques pour prêter main-forte aux organismes canadiens d'application de la loi et de renseignement.
Il ne fait aucun doute que le Centre de la sécurité des télécommunications est un rouage essentiel de la mécanique assurant la sécurité nationale du Canada. De plus, il oeuvre au sein d'une alliance internationale d'organismes de renseignement électromagnétique qui est connue sous le nom de Groupe des cinq et dont les autres membres sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, aux États-Unis, le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications a été étendu. C'était il y a 13 ans, et le monde évolue rapidement, pour ce qui est des facteurs agissant sur la sécurité nationale. Il nous semble plus que raisonnable d'évaluer le mandat, l'efficacité et les obligations de rendre des comptes du Centre de la sécurité des télécommunications ainsi que de se pencher sur ses activités.
Mon collègue, le député de Malpeque, a indiqué très clairement qu'une surveillance parlementaire est nécessaire. En sa qualité de porte-parole en matière de sécurité publique, il a souligné à maintes reprises un fait important, à savoir que le Canada, même s'il est membre de l'alliance du Groupe des cinq dont je viens de parler, est le seul pays où il n'y a aucune surveillance parlementaire proactive.
En février 2014, le député de Malpeque a posé une question qui, à mon avis, mérite une réponse. Je ne suis pas certain qu'on lui ait jamais répondu de façon réelle ou pertinente, alors je pose de nouveau la question aujourd'hui. Je cite le député de Malpeque:
Ce qui m'échappe vraiment, c'est le refus du gouvernement d'envisager une surveillance parlementaire appropriée alors que deux de ses principaux ministres ont participé à la production d'un rapport favorable à ce genre de surveillance.
Nous savons que, lorsqu'un organisme qui dépend d'un financement gouvernemental critique le gouvernement actuel, il peut s'attendre à une réduction de son financement.
Le député a donné une explication détaillée au sujet du Groupe des cinq et des autres pays qui sont nos alliés dans ces dossiers. D'où le gouvernement sort-il l'idée que les Canadiens sont moins menacés par les atteintes à la vie privée et qu'ils n'ont pas besoin d'une surveillance parlementaire appropriée alors que chez tous nos alliés la population en bénéficie?
M. Ryan Leef: Nous sommes différents.
M. Sean Casey: Monsieur le Président, un député d'en face me dit que nous sommes différents. Nous pouvons toutefois tirer de nombreuses leçons des pratiques exemplaires.
Si j'ai bien compris, l'alliance initiale du Groupe des cinq a été formée en 1946. Elle est le résultat d'accords stratégiques bilatéraux qui permettent à chaque pays de procéder de façon indépendante à la collecte de renseignements sur leur propre territoire et de veiller à ce que ces renseignements soient automatiquement communiqués aux quatre autres membres de l'alliance.
Cette alliance entre les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ne date pas d'hier. Je me demande pourquoi le gouvernement conservateur hésite à participer aux efforts déployés par les quatre autres membres du Groupe des cinq en vue d'assurer une surveillance adéquate. Je crois que l'explication qui vient d'être donnée, qui consiste à dire que nous sommes différents, n'est pas vraiment satisfaisante. À l'heure actuelle, sous le gouvernement en place, les Canadiens auraient avantage à disposer d'un autre mécanisme de surveillance parlementaire.
Hier, à la Chambre, le chef du Parti libéral et député de Papineau a exhorté le premier ministre à assurer l'équilibre entre la sécurité et les libertés civiles. Le député de Papineau a aussi indiqué, à juste titre, que le Canada n'est pas le seul pays à devoir faire face à ce problème. Le Canada n'est certainement pas la seule démocratie occidentale qui doit assurer la sécurité des citoyens tout en protégeant leurs droits.
Je n'ai pas le moindre doute que ce débat fera ressurgir le souvenir des événements tragiques qui se sont déroulés la semaine dernière dans cette enceinte et à Saint-Jean-sur-Richelieu, en fait, c'est déjà le cas. En tant que législateurs, nous devrions garder en mémoire ces terribles événements et chercher à prévenir de tels drames.
Cela dit, le souvenir des atrocités commises la semaine dernière ne devrait pas à lui seul guider notre conduite à l'égard du terrorisme et de la sécurité nationale. Nous devons toujours chercher à assurer l'équilibre auquel je fais souvent allusion, plutôt que de réagir impulsivement — comme le dit le juge John Major —, lorsqu'il est question d'un sujet aussi important.
J'ai été impressionné par le ton posé et respectueux de la déclaration conjointe des commissaires canadiens à l’information et à la protection de la vie privée. J'aimerais la citer avant de poursuivre mes propres observations à ce sujet:
Les jours, les semaines et les mois à venir seront cruciaux pour déterminer la ligne de conduite à adopter afin de s’assurer non seulement que le Canada demeure un pays sécuritaire, mais aussi que nos droits fondamentaux sont respectés. Des modifications législatives envisagées pourraient modifier les pouvoirs dévolus aux organismes de renseignement et d’application de la loi.
Nous reconnaissons que la sécurité est essentielle au maintien des droits démocratiques. Parallèlement, la réaction à ces événements doit être posée et proportionnelle, et conçue de manière à préserver nos valeurs démocratiques fondamentales.
À cette fin, les commissaires canadiens à l’information et à la protection de la vie privée exhortent le gouvernement fédéral:
À adopter une démarche fondée sur des données factuelles quant au besoin de nouvelles mesures législatives qui accorderaient des pouvoirs supplémentaires aux organismes de renseignement et à ceux chargés de l’application de la loi;
À engager un dialogue ouvert et transparent avec les Canadiens quant au besoin de nouvelles mesures, et, le cas échéant, quant à leur nature, leur portée et leur impact sur les droits et libertés;
À s’assurer que toute loi accordant des pouvoirs additionnels à des organismes de renseignement ou chargés de l’application des lois soit assortie de mesures de contrôle efficaces.
Les Canadiens sont en droit de s’attendre à ce que leurs droits à la vie privée et à l’accès à l’information soient respectés au même titre que leur sécurité. Nous devons maintenir ces droits fondamentaux qui sont au cœur de la démocratie canadienne.
Je suis certain que les députés comprennent pourquoi j'ai senti le besoin de lire ce communiqué de presse. La troisième recommandation des commissaires canadiens à l’information et à la protection de la vie privée porte carrément sur l'objet du projet de loi. Les commissaires demandent à ce que des mesures de contrôle efficaces soient mises en oeuvre, et, pour qu'il y ait surveillance efficace, il faut un comité parlementaire. Nous sommes tous ici pour faire respecter les droits fondamentaux qui sont au coeur de la démocratie canadienne, du moins je l'espère. Nous remplissons notre rôle au nom des gens que nous représentons et du Canada.
En conclusion, dans le dossier de la sécurité nationale et de la collecte de renseignement, il ne faut pas agir sous le coup de la peur et nous laisser guider par des considérations politiques à court terme. De même, la peur ne devrait pas l'emporter sur les droits fondamentaux des Canadiens. Ce ne sont pas nos lois en matière de sécurité qui nous confèrent nos droits, mais plutôt nos valeurs et nos libertés fondamentales. Nous devons être capables d'exercer ces droits même si nous avons l'impression que notre sécurité est menacée.
Nos droits ne devraient pas être tributaires des circonstances ou des tragédies. J'espère que certains de mes collègues d'en face tiendront compte du fait que l'Association canadienne pour les armes à feu appuie la mesure, qu'ils ne s'opposeront pas par simple esprit de contradiction — comme à leur habitude — à ce projet de loi d'initiative parlementaire qui a été présenté par une députée de l'opposition et qu'ils nous montreront qu'ils comprennent le bien-fondé d'un tel projet de loi.