Monsieur le Président, cela me fait plaisir d'être ici aujourd'hui pour signifier l'appui du Bloc québécois au projet de loi S‑4, qui était anciennement le projet de loi C‑23. Le projet de loi S‑4 était demandé par bon nombre de provinces et d'acteurs du système judiciaire afin de tirer profit des leçons apprises au cours de la pandémie.
Le projet de loi S‑4 vise à modifier le Code criminel pour y introduire des dispositions permettant une meilleure efficacité du système. La pandémie aurait été une situation désastreuse à plusieurs égards. Nous en convenons tous. Nous souhaitons sûrement ne pas la voir se répéter; cela va de soi.
Toutefois, nous avons aussi appris de cette crise et nous pouvons certainement aujourd'hui tenter de tirer profit des leçons apprises. Ainsi, nous avons travaillé en mode virtuel au cours des deux dernières années comme jamais auparavant. Ce mode de fonctionnement a des désavantages certains; j'y reviendrai. Il comporte toutefois des avantages que nous ne pouvons ignorer. Notre système judiciaire pourrait très certainement être amélioré par l'utilisation de cet outil trop mal connu ou souvent mal utilisé. Le projet de loi S‑4 propose donc un mode d'emploi pour que les procédures qui peuvent être faites en mode virtuel soient encadrées et utilisées de manière efficace.
Notamment, ce projet de loi propose de permettre le recours à des moyens électroniques ou à d'autres moyens automatisés dans le processus de constitution du jury. Cela permet aussi d'élargir les possibilités de comparution à distance, par audioconférence ou vidéoconférence dans certaines circonstances pour les accusés et les contrevenants. Cela permet également de prévoir en certaines circonstances la participation de candidats-jurés dans le processus de constitution du jury par vidéoconférence.
Le projet de loi permet également d'élargir les pouvoirs des tribunaux en matière des règles sur la gestion des instances afin de permettre à leurs fonctionnaires de régler des questions de nature administrative pour les accusés non représentés par avocat. Il permet également aux tribunaux d'ordonner la prise des empreintes à l'étape de l'enquête sur la remise en liberté provisoire ou à toute autre étape du processus de justice pénale lorsqu'elles n'ont pas pu être prises antérieurement pour des motifs exceptionnels.
Finalement, il permet de remplacer les dispositions existantes sur les télémandats par un processus de demande et de délivrance d'une grande variété de mandats de perquisition, d'autorisations et d'ordonnances par des moyens de télécommunication.
Le projet de loi S‑4 apporte également des modifications au Code criminel et à la Loi sur l'identification des criminels afin de corriger des erreurs mineures de nature technique et comporte des dispositions transitoires, notamment sur l'application des modifications.
Enfin, le projet de loi S‑4 apporte des modifications connexes à d'autres lois et prévoit également des examens indépendants sur l'utilisation de la procédure à distance dans les affaires de justice pénale.
Il prévoit également un examen parlementaire des dispositions édictées ou modifiées par la présente loi, ainsi que de l'utilisation des procédures à distance dans les affaires de justice pénale, lequel commence au début de la cinquième année qui suit sa sanction. C'est donc une révision de l'ensemble du processus au bout de cinq ans. Cela me semble très sage, compte tenu de la nouveauté de bon nombre de dispositions que nous propose le projet de loi S‑4.
Le projet de loi S‑4 est un outil. Le mode virtuel, on l'a vu ici à la Chambre et ailleurs, a des avantages, c'est certain, mais il a aussi des inconvénients importants. Comme tout outil, on doit l'utiliser avec discernement. Il comporte des limites dont on doit tenir compte. Quand vient le temps notamment d'évaluer la crédibilité d'un témoin, le langage non verbal est un élément important dont le juge veut tenir compte. En mode virtuel, le langage verbal est pour ainsi dire caviardé. N’y a-t-il pas là un élément important qui pourrait dans certains cas changer radicalement l'issue d'un procès, surtout quand la preuve présentée est constituée de témoignages contradictoires? Je le crois.
Encore une fois, comme tout outil, on doit l'utiliser avec discernement. Un tournevis, c'est très utile; un marteau aussi. Toutefois, si on utilise le marteau pour essayer de planter des vis, on a un problème. Si on utilise le tournevis pour planter des clous, on a un autre problème. Il faut déterminer dans chaque cas si c'est adéquat ou pas. Ce n'est pas une panacée. À cet égard, le Barreau du Québec nous invite à la prudence sur certaines dispositions. J'y reviendrai.
Par contre, procéder de façon virtuelle dans certains cas va permettre d'accélérer le processus judiciaire. Cela va éviter des pertes de temps et des remises. On voit souvent des salles de cours bondées d'individus qui sont là le matin aux comparutions alors que la moitié de ces cas peuvent être reportés pour différentes raisons. Si on est en mode virtuel, on va diminuer ces déplacements, on va diminuer le délai pour les remises et c'est la même chose pour les questions administratives qui n'ont pas besoin d'une présence en personne des avocats. C'est déjà en place et on le fait déjà pour les questions de gestion d'instance quand les parties sont représentées par des avocats. Le projet de loi S-4 prévoit qu'on pourrait aussi procéder ainsi lorsque les parties ne sont pas représentées. Il va falloir voir comment procéder parce que cela apporte certains défis.
Je pense que c'est intéressant pour limiter les déplacements, les inconvénients et souvent la frustration des gens qui sont confrontés à un système judiciaire qu'on trouve trop lent, hermétique et qui impose des déboursés et des déplacements qu'on pourrait s'éviter. Donc, c'est une bonne chose, encore une fois, si on l'utilise avec discernement.
Je parlais des inconvénients, notamment la question de la crédibilité des témoins ou des jurés. Quand on sélectionne un jury dans un procès avec jurés, les avocats ont à évaluer les différents candidats jurés sur une base qui n'est pas toujours technique. L'avocat va les écouter, il va leur poser des questions, il va apprécier les réponses qu'il reçoit, mais aussi le langage non verbal, la façon dont les réponses sont données. Cela peut souvent faire la différence entre le rejet d'un candidat juré ou son acceptation.
C'est la même chose pour les témoins. On a vu fréquemment des procès où la preuve déterminante est constituée de témoignages contradictoires. Comment fera-t-on pour décider que M. X dit la vérité et que Mme Y ment? Le juge va se baser évidemment sur les réponses objectives, mais aussi sur le non verbal. Il va tenir compte de la manière dont les gens ont réagi. On va se faire une idée de la crédibilité des gens en fonction de bon nombre de critères qui ne sont pas nécessairement objectivés dans des procédures écrites. C'est important que le juge et les avocats qui travaillent sur un procès puissent avoir accès en personne à ces différents témoins et candidats jurés.
Est-ce que dans certains cas on ne pourrait pas quand même les entendre en virtuel? Je pense que oui. Est-ce que les jurés ne pourraient pas, dans certains cas, comparaître en mode virtuel? Je pense que oui, mais cela doit être déterminé du consentement des parties et non pas imposé de façon systématique dans tous les procès.
On parle également du problème du piratage informatique. On sait qu'on est constamment appelé à faire face à des actes de piratage informatique. On reçoit tous des courriels non sollicités, des propositions. J'en reçois souvent, où on me dit que j'ai été cité dans un procès à tel endroit et que je dois cliquer sur un lien sinon la fin du monde va arriver. Il y a toutes sortes de choses comme cela qui arrivent et qui font que nos systèmes informatiques ne sont pas toujours aussi sécuritaires que ce qu'on voudrait croire. Même les banques se font pirater. On l'a vu il y a environ deux ans, Desjardins s'est fait voler des données informatiques. Alors quand on parle de tenir des procès en mode virtuel, c'est une chose, il va falloir être prudent, mais on parle également dans le projet de loi S‑4 des télémandats, soit l'obtention d'un mandat qui permet par exemple de perquisitionner chez quelqu'un.
Si on informatise tous les télémandats, les mandats obtenus par mode virtuel, et si on procède par mode virtuel, est-ce qu'on ne s'expose pas à du piratage et, éventuellement, à des perquisitions ou des gestes de nature juridique qui seraient contraires à l'intérêt des justiciables, contraire à ce qu'on souhaite faire de l'administration de la justice? Je pense qu'il faut se poser la question. Je ne veux pas être alarmiste. Encore une fois, je pense que le projet de loi S‑4 est une bonne chose, mais je dis juste qu'il va falloir se poser des questions. Ce n'est pas une panacée, on ne peut pas appliquer cela sans réfléchir.
Il y a la question des disparités régionales. On le sait, on l'a vu pendant la pandémie, tout le monde au Québec, comme ailleurs au Canada, n'a pas accès à des systèmes informatiques égaux. Dans certaines régions, c'est plutôt déficient.
Certaines personnes sont capables de travailler à la maison toute la journée, à deux sur des ordinateurs, et faire des réunions à plusieurs sans problème. D'autres ont de la difficulté à passer un coup de fil sans se faire interrompre. Il va aussi falloir tenir compte de cela.
C'est aussi le mandat de notre gouvernement fédéral que de s'assurer d'offrir une couverture Web efficace partout au Québec et au Canada. Or, on n'en est pas encore là. On y travaille, j'en conviens, mais on en est encore loin. Si on veut informatiser le système judiciaire, il faut en tenir compte. Comment va-t-on en tenir compte?
Encore une fois, je pense que, avant d'imposer des procédures en mode virtuel, il va falloir s'assurer du consentement des parties. Si quelqu'un nous dit « un instant, chez nous, la couverture n'est pas efficace, et je ne pourrai pas suivre », on va peut-être alors devoir le faire en personne.
Il y a des modalités et des ajustements qui vont devoir être faits, et il faut en tenir compte, même si je suis d'avis que le projet de loi S‑4 constitue un progrès certain pour l'administration de la justice.
Parlant de compromis, il y a le Barreau du Québec qui avait soumis un mémoire en avril dernier et qui recommandait quatre choses. Je vais me permettre de les lire, parce qu'elles m'apparaissent judicieuses.
La première recommandation du Barreau du Québec est celle-ci:
Exclure la preuve testimoniale du nouveau régime relatif à l'utilisation de la visiocomparution. La preuve testimoniale doit être entendue en présence des parties.
Comme je le disais tantôt, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la question de l'évaluation du langage non verbal, je pense qu'il est important de voir les gens.
La deuxième recommandation est la suivante:
Procéder à une étude approfondie au soutien de la pérennisation dans le Code criminel (des mesures développées en contexte pandémique, en lien avec l'usage des moyens technologiques et l'automatisation des procédures). Procéder à une étude en profondeur relativement à l'impact de la visiocomparution sur:
La relation entre l'avocat et son client [...]
C'est une question de responsabilité professionnelle pour l'avocat que de bien représenter son client, et de s'assurer qu'il comprend bien son mandat et qu'il explique bien à son client ce qui, à son avis, est dans son intérêt.
[...] et sur la confidentialité de leurs échanges;
Encore une fois, on le sait, le Web et l'informatique n'ont rien de complètement étanche, et cela pourrait apporter des défis et des inconvénients qu'on ne souhaite pas.
La publicité des procès (Charte canadienne des droits et libertés);
La Charte canadienne des droits et libertés le prévoit, et il faut en tenir compte. J'y reviendrai d'ailleurs.
Le droit à un procès juste et équitable (Charte canadienne des droits et libertés);
La qualité et l'uniformité de la justice (disparités régionales des ressources, réalités autochtones, personnes qui se représentent seules).
En ce qui concerne le droit à un procès juste et équitable, de même que la qualité et l'uniformité de la justice, encore une fois, il y a les disparités régionales des ressources. Pour ce qui est des réalités autochtones, est-ce que les communautés autochtones sont équipées pour procéder en mode virtuel lors des procès? Sont-elles en mesure de le faire? Ce n'est pas certain; en tout cas, probablement pas tout le monde. Concernant les personnes qui se représentent seules, c'est une chose qu'un avocat soit chez lui ou à son bureau en mode virtuel pour faire de la gestion administrative d'instance, mais, qu'une personne se représente seule et qu'elle doive composer avec un, deux ou trois avocats, en plus d'un juge et d'un greffier, tout cela en virtuel, cela peut être assez problématique. Cela ferait-il l'objet de motifs pour faire appel? Peut-être que non, mais peut-être que oui. À tout le moins, cela pourrait alourdir le système plutôt que de l'alléger. Il va falloir y penser sérieusement.
La troisième recommandation du Barreau du Québec est la suivante:
Supprimer l'article 715.241 du Code criminel proposé qui permet au tribunal « d'exiger la comparution par vidéoconférence de l'accusé qui est sous garde et qui a accès à des conseils juridiques lors de toute procédure visée à ces articles, sauf durant la présentation de la preuve testimoniale ».
Je le disais tantôt. Je pense que, dans la mesure où tout le monde y consent, c'est parfait: l'outil approprié va être le virtuel. Si on est tous d'accord et que le juge est d'accord, allons-y. Toutefois, si on n'est pas tous d'accord, cela pose un problème. Ici, l'article 715.241 permet au tribunal d'exiger cette comparution de l'accusé en visioconférence. Cela m'apparaît possiblement problématique, et je suis d'avis que le Barreau du Québec a raison de nous mettre en garde sur cet aspect.
La quatrième recommandation du Barreau du Québec est la suivante:
Clarifier dans le projet de loi la distinction entre l'accusé qui a « accès à des conseils juridiques » et celui qui est « représenté par avocat » dans un contexte où seul l'accusé représenté peut communiquer avec son avocat.
Avoir accès à des conseils juridiques, c'est effectivement assez vague comme concept. Accès à quel moment et sur quel sujet; de quoi parle-t-on? Le fait d'avoir eu accès à son avocat hier concernant un certain nombre de questions fait-il en sorte qu'on est prêt à répondre à toutes les situations qui peuvent survenir lors d'un procès? Ce n'est pas certain. Il va falloir clarifier cela, le projet de loi S‑4 n'étant pas très clair à cet égard.
On semble accorder le même crédit ou le même traitement à l'accusé qui est représenté par un avocat et à celui qui a accès à des conseils d'un avocat. Je pense qu'il va falloir regarder cela de près.
Comme je l'ai dit, le Bloc québécois appuiera le projet de loi et proposera probablement des amendements en comité. Nous verrons, mais je pense que ce projet de loi doit être renvoyé en comité.
Cela dit, durant les cinq dernières minutes qui me sont imparties, je m'en voudrais de ne pas porter à l'attention de la Chambre d'autres problèmes majeurs qu'il faut surmonter pour en arriver à une saine et efficace administration de la justice. Il ne faut pas les oublier. Effectivement, le projet de loi S‑4 n'est pas une panacée. J'ai parlé longuement de la question de la connectivité dans toutes les régions et je n'y reviendrai pas, mais c'est un aspect important et cela fait partie des choses qu'on doit faire si on veut se doter d'un système juridique virtuel efficace.
Il y a aussi la question des postes de juges vacants. Plusieurs postes sont encore vacants. Je parlais à un juge de la Cour supérieure du Québec il y a deux ou trois semaines. Il me disait qu'une quinzaine de postes étaient à pourvoir au Québec. Je ne sais pas ce que notre gouvernement attend pour pourvoir les postes de juges vacants, c'est quelque chose qui m'apparaît absurde. Ce n'est même pas le fédéral qui paie ces juges, c'est Québec. C'est-à-dire que le fédéral les paie, mais il ne paie pas les infrastructures, les greffiers et les salles d'audience. Tous les coûts que cela comporte sont assumés par Québec. Il y a des postes vacants et notre gouvernement néglige de les pourvoir. C'est un problème majeur. Une saine administration de la justice requiert des ressources suffisantes sur le terrain et les juges sont la première des ressources dont nous avons besoin.
Nous avons parlé longuement de la question de la nomination des juges par la « libéraliste » et nous allons y revenir encore. Cela n'a pas de bon sens que, encore aujourd'hui, le ministre de la Justice et le premier ministre tentent de me rassurer en me disant qu'on utilise la « libéraliste » seulement après avoir reçu des candidatures qui sont jugées adéquates. Pour ma part, j'estime que cela ne devrait jamais être utilisé, car les nominations partisanes ou qui tiennent compte de la partisanerie sont inacceptables dans notre société.
Enfin, on a parlé récemment encore de la question des procès secrets et c'était dans l'actualité hier encore. Le ministre de la Justice nous dit qu'il n'est pas en mesure de nous dire combien il y a de procès secrets. Il n'est même pas en mesure de nous dire s'il y en a. Je peux comprendre qu'on doive procéder de façon différente de ce que la Charte prévoit dans certains cas pour protéger la sécurité des témoins, mais il n'est certainement pas admissible qu'on procède de façon opaque et secrète comme on le fait présentement. Ces procès doivent être encadrés conformément aux dispositions de la Charte. Comme on le sait, on peut déroger à la Charte dans des circonstances exceptionnelles qui le justifient dans une société libre et démocratique. Je veux bien qu'on y déroge, mais pas n'importe comment. Quand le ministre de la Justice nous dit qu'il ne peut pas dire combien il y en a, qu'il ne peut même pas dire s’il y en a ni nous dire comment on procède, cela ne fonctionne pas. On n'est plus à l'époque du Far West et il faut être mieux structuré. C'est inacceptable que notre gouvernement fonctionne de cette façon.