Monsieur le Président, je suis heureux de participer au débat à l'étape du rapport du projet de loi C-83.
L'étude du projet de loi en comité m'a permis de vivre quelque chose que j'ai rarement, voire jamais, vu depuis que je suis député.
Le projet de loi a été dénoncé à différents degrés par tous les témoins, à l'exception des fonctionnaires du ministère, bien entendu. Cela est extrêmement préoccupant. Le contexte entourant le projet de loi C-83 est extrêmement important. Il s’agit d’une réponse à deux décisions provenant des tribunaux, une de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et une autre d'une cour de l'Ontario. Les deux tribunaux ont constaté des abus quant à l’usage de l’isolement carcéral, et ils l'ont déclaré anticonstitutionnel. Pour répondre à cela, le gouvernement a porté la décision en appel, puis il a présenté le projet de loi C-56, en 2016, soit il y a trois ans, si ma mémoire est bonne. Maintenant, il dépose le projet de loi C-83, qui est complètement différent.
Une question se pose avant même que nous nous penchions sur la teneur du projet de loi et des amendements. Comment le gouvernement peut-il faire appel d'une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique et déposer en même temps un projet de loi qui applique cette décision et qui, selon lui, remédie aux pratiques et aux abus jugés inconstitutionnels par la cour?
Il est déroutant et très préoccupant que le gouvernement continue d'affirmer qu'il a éliminé ce qu'on appelle en droit l'isolement préventif et que la plupart des Canadiens considèrent comme de l'isolement cellulaire. À cet égard, je tiens à citer la sénatrice Kim Pate, qui a fait beaucoup de travail sur de nombreuses questions liées à la justice et à la sécurité publique, et notamment à la situation dans les pénitenciers. Le passage suivant est particulièrement éloquent dans ce qu'elle écrit: « Ottawa ne peut déclarer que le recours à l’isolement a été éliminé quand il ne s’attaque pas aux horreurs associées à cette mesure et qu’il allège les restrictions minimales à cette pratique qu’ont imposées les tribunaux. »
Le problème, c'est que la création de la nouvelle pratique censée remplacer l'isolement carcéral entraîne l'élimination de plusieurs protections légales qui existaient jusqu'à présent.
En comité, des efforts ont été déployés par plusieurs députés de plusieurs partis — je l’avoue — afin de tenter de corriger le tir.
L’exemple le plus frappant, c’est le fait qu'un amendement compte environ 2 000 mots. Au mois de décembre, c’était le fiasco à la Chambre. Plusieurs députés avaient invoqué le Règlement parce que nous n'avions pas accès à une traduction française convenable. L’amendement a littéralement été rédigé à minuit moins une, à la veille du débat. Cela est sans mentionner que plusieurs personnes qui ont témoigné devant le comité ont exposé le manque de consultation en lien avec le projet de loi.
Je tiens à rappeler ce que M. Ivan Zinger, l'enquêteur correctionnel du Canada — qui est essentiellement le chien de garde du système correctionnel —, a déclaré au sujet du projet de loi. Étant donné que mon temps de parole est limité, je vais m'en tenir à la citation qui résume le problème de l'improvisation. Il a déclaré ceci: « C’est pourquoi, je pense, vous vous retrouvez avec un texte qui n’est peut-être pas entièrement abouti. »
J'espère que M. Zinger m'excusera de ne pas l'avoir cité au complet. Comme je l'ai mentionné, mon temps de parole est limité. Quand un expert comme M. Zinger dit qu'un texte n'est pas entièrement abouti, c'est malheureusement assez révélateur du manque de consultation et du rafistolage législatif dont nous débattons actuellement.
Soyons clairs: les députés libéraux proposent ces amendements à l'étape du rapport après que le ministre se soit présenté devant le comité en sachant qu'il faudrait obtenir une recommandation royale et en ayant de toute évidence obtenu de certains députés qu'ils présentent des amendements précis en vue de corriger un projet de loi pourtant impossible à corriger. Nous nous retrouvons avec des dispositions qui ne sont que du rafistolage et qui prévoient une période pouvant aller jusqu'à 90 jours avant qu'un cas de recours abusif à des mesures d'isolement ne soit examiné adéquatement.
Quand on regarde le travail qui a été fait par le Comité et les déclarations de plusieurs députés libéraux, incluant le ministre, il faut comprendre que c'était présent dans les lettres de mandat du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et de la ministre de la Justice au moment de l'assermentation du gouvernement. L'atteinte des objectifs du projet de loi qui est devant nous est malheureusement un échec lamentable.
Je vais donner quelques exemples de la direction concrète que nous voulons emprunter. La députée d'Oakville-Nord—Burlington a parlé, avec raison, de la situation chez les femmes. Très peu de femmes sont mises en isolement préventif, mais celles à qui cela arrive sont souvent dans des situations de plus grande vulnérabilité. Je pense, par exemple, aux problèmes graves de santé mentale.
J'ai proposé un amendement à la suite de plusieurs témoignages au Comité pour éliminer l'utilisation de la pratique dans les pénitenciers pour femmes. Or il a été rejeté.
Un autre exemple me vient à l'esprit, et c'est la possibilité d'obtenir une révision judiciaire.
La possibilité d'obtenir une révision judiciaire est particulièrement importante. C'est une pratique qui remonte à une recommandation émise il y a quelques années par la juge Louise Arbour, suite aux événements qui se sont déroulés au Pénitencier de Kingston. Elle a expliqué de manière bien plus éloquente que moi la manière dont le recours abusif à l'isolement préventif au Canada compromet notre système judiciaire, car les administrateurs du système correctionnel en viennent à jouer un rôle dans la détermination de la peine. Lorsque nous arrivons à un point où certains contrevenants sont traités d'une manière qui nuit à leur cheminement vers la réhabilitation et aux objectifs que la cour a pu établir pour eux au moment de déterminer la peine, la seule solution qui s'impose est d'envisager une révision judiciaire.
Je sais que d'autres personnes ne souhaitent pas se limiter à la révision judiciaire et ont proposé certains outils. Au comité, nous avons entendu des témoins avancer que la révision judiciaire pourrait mettre en péril la sécurité publique. Ce n'est pas le cas. J'aimerais revenir sur le commentaire de mon collègue conservateur, car je n'ai pas eu la chance d'y répondre. Il a parlé de l'isolement préventif. Fort bien. Nous comprenons qu'il existe des situations où la sécurité de tous est menacée, comme lors d'une émeute. Dans de tels cas, le recours à l'isolement préventif peut s'avérer adéquat. Nous devons donc nous pencher sur la bonne façon d'avoir recours à l'isolement préventif.
Toutefois, l'isolement ne devrait pas s'échelonner sur une longue période. Il s'agit d'une situation qui pourrait vraisemblablement être résolue en 24 heures. Voilà certains des exemples qui nous ont été fournis par des membres de la Société John Howard, entre autres.
Le dernier élément auquel je pense, compte tenu du temps qu'il me reste aujourd'hui, est la durée.
On a beaucoup entendu parler de mécanismes de révision et de reddition de compte des administrateurs des pénitenciers. Bien sûr, il y a la question des mécanismes à utiliser et celle de la reddition de compte dans le cadre de la santé mentale, afin de s'assurer de ne pas nuire aux objectifs de réhabilitation et d'amélioration de la santé mentale des détenus qui sont en isolement préventif.
Cependant, on a raté une bonne occasion, alors qu'on empruntait pourtant cette direction avec le projet de loi C-56, déposé par ce même ministre, que nous n'avons jamais débattu. On a raté l'occasion de mettre en vigueur les normes établies par les Nations unies, les Règles Nelson Mandela, qui limitent à 15 jours la durée de l'isolement préventif. On a laissé passer là l'occasion de s'attaquer directement aux plus grands abus qui existent actuellement dans le système.
En conclusion, malgré les bonnes intentions des amendements, on constate que c'est un fourre-tout qui vise à régler un projet de loi si mauvais qu'il a été dénoncé unanimement en comité. Ce projet de loi ne peut pas être appuyé.
J'espère que le gouvernement profitera de l'occasion pour retourner à la case départ, et surtout pour laisser tomber les appels à deux décisions des tribunaux, qui affirment ce que nous savons depuis trop longtemps, à savoir que ces abus de l'isolement carcéral sont inconstitutionnels.