Monsieur le Président, le Parlement étudie le projet de loi C-83 depuis neuf mois. Sa raison d'être et son objectif n'ont pas changé depuis qu'il a été présenté, soit séparer des détenus de la population générale d'un établissement lorsque c'est nécessaire pour des raisons de sécurité, tout en continuant de leur offrir des interventions de réadaptation, des programmes, des soins de santé mentale et des contacts humains réels.
La principale caractéristique du projet de loi, c'est le remplacement de l'isolement préventif par des unités d'intervention structurée. Dans ces unités, les détenus pourront sortir de leur cellule pendant au moins quatre heures par jour, soit le double du nombre d'heures accordées actuellement aux détenus placés en isolement préventif. En outre, pour la première fois, la loi consentira aux détenus visés un droit à des contacts humains réels d'au moins deux heures par jour.
En plus de ces modifications législatives, le gouvernement investira 450 millions de dollars pour que le Service correctionnel du Canada puisse embaucher le personnel nécessaire pour offrir des programmes, des interventions et des soins de santé mentale dans les unités d'intervention structurée, et ce, en toute sécurité. Cet investissement est essentiel au succès de ces unités.
Une chose est ressortie très clairement de mes conversations avec les représentants du Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice et du Syndicat des Agents Correctionnels du Canada, de même que de mes visites dans des établissements correctionnels d'Edmonton et de Saskatoon l'an dernier, à savoir que des investissements considérables s'imposaient pour réparer les effets des 10 années de compressions du gouvernement conservateur précédent si nous voulions donner les meilleures chances de réadaptation possible aux détenus et, tout aussi important, assurer la sécurité du personnel du système correctionnel.
Mon ami Stan Stapleton, le président national du Syndicat des employé-e-s de la Sécurité et de la Justice, a écrit un article en mai dernier. J'aimerais en lire un extrait:
Le Service correctionnel du Canada doit changer sa façon d'utiliser l'isolement. La pratique de longue date employée pour contrôler les détenus difficiles en [ayant recours à] l'isolement ne peut pas fonctionner. Comme l'ont déclaré les tribunaux canadiens, cette méthode est profondément inhumaine. Les hommes et les femmes incarcérés dans des établissements fédéraux sont des êtres humains brisés et désespérés qui ont besoin de contacts humains. Ils n'ont pas besoin d'être davantage isolés.
En même temps, les prisons fédérales recèlent une multitude de dangers. Ce sont des poudrières où la violence peut éclater à tout moment, ce qui amène certains détenus à vouloir s'écarter de la population générale pour leur propre santé mentale et leur propre sécurité.
D'autres délinquants ayant une forte propension à la violence et une faible capacité d'adaptation ne peuvent tout simplement pas supporter de longues périodes en présence d'autres personnes sans poser une menace réelle. Dans un système comportant peu de mécanismes de protection, l'isolement préventif est tragiquement devenu l'un d'eux.
Le projet de loi C-83 propose d'apporter d'importantes modifications à l'isolement. Certes, il ne réglera pas tout, mais c'est un progrès qui en vaut la peine. Il obligera le Service correctionnel du Canada à affecter les ressources humaines nécessaires pour que les efforts de réadaptation soient soutenus. Jusqu'à présent, l'occasion pour les agents de libération conditionnelle, les agents de programme et les enseignants de passer du temps de qualité avec les délinquants aux besoins les plus criants a été minime, voire inexistante.
Le projet de loi fera des délinquants séparés de la population carcérale générale une priorité au sein du Service correctionnel du Canada plutôt qu'une préoccupation secondaire. Il mettra en place de meilleurs mécanismes de déclaration et de reddition de comptes.
J'estime qu'il sera avantageux que les unités d'isolement proposées fassent l'objet d'une surveillance indépendante provenant de l'extérieur du Service correctionnel du Canada, comme le propose le projet de loi. C'est crucial. Toutefois, pour que le projet de loi atteigne son objectif, le Service correctionnel du Canada doit savoir puiser dans la sagesse permanente des intervenants de première ligne qui travaillent au quotidien à la réadaptation des délinquants [...].
Un engagement à garder les Canadiens en sécurité signifie investir sérieusement dans la réadaptation de tous les délinquants qui sont dans les prisons fédérales, dont 90 % seront réinsérés dans la collectivité, prêts ou pas. J'ai bon espoir que le projet de loi C-83 sera adopté de sorte que le véritable travail puisse commencer.
L'article se termine ainsi.
Je tiens à remercier M. Stapleton de s'être consacré pendant des années aux services correctionnels, de m'avoir aidé à comprendre le système correctionnel du Canada et de nous avoir fourni à tous le point de vue essentiel de ceux qui travaillent dans le milieu correctionnel.
Je reviens au projet de loi C-83. Les amendements adoptés par le comité de la sécurité publique l'automne dernier remédiaient à des préoccupations pratiques soulevées par certains témoins et avaient pour but de permettre au nouveau système de fonctionner comme prévu.
Le comité a entendu des groupes autochtones, dont M. Allen Benson et l'Association des femmes autochtones du Canada, qui réclamaient la modification de la définition d'organisme autochtone pour qu'elle englobe adéquatement l'éventail diversifié de groupes et d'organismes autochtones qui travaillent dans ce domaine au Canada.
À la suite de la discussion, le comité a été en mesure d'adopter à l'unanimité un amendement qui exigeait que les organisations autochtones soient dirigées principalement par des Autochtones. Nous avons également entendu parler du fait que le Service correctionnel du Canada doit demander des conseils, particulièrement en matière de santé mentale et de comportements, à des chefs spirituels et des aînés autochtones. Je suis heureuse que mon amendement visant à s'assurer que ce soit le cas ait été adopté par le comité.
Le projet de loi a beaucoup changé depuis qu'il a été présenté pour la première fois. Je suis fière de travailler avec un gouvernement qui est disposé à entendre les points de vue des autres et qui a accueilli favorablement des amendements inspirés des témoignages entendus par le comité de la sécurité publique. Ce sont des changements qui renforcent le projet de loi.
À l'étape du rapport, nous avons apporté une autre modification importante — et je suis extrêmement fière de l'avoir proposée — qui crée un mécanisme de surveillance externe, indépendant et obligatoire des unités d'intervention structurée.
Le Sénat nous a renvoyé le projet de loi avec d'autres propositions. Je comprends l'objectif de toutes ces propositions et je suis heureux que le gouvernement en accepte plusieurs intégralement ou partiellement.
Les amendements que nous acceptons incluent notamment: des évaluations de la santé mentale obligatoires pour tous les détenus dans les 30 jours suivant leur admission et dans les 24 heures suivant leur transfert à une unité d'intervention structurée; l'ajout de précisions dans l'article du projet de loi qui oblige le Service correctionnel du Canada à tenir compte des facteurs systémiques et historiques dans ses décisions touchant les détenus autochtones; la prise en considération des solutions de rechange à l'incarcération, le cas échéant, à titre de principe directeur du Service correctionnel du Canada; la réduction du recours aux fouilles à nu.
D'autres propositions du Sénat sont intéressantes, mais elles devraient être étudiées séparément au lieu d'être incluses à titre d'amendements au projet de loi. Par exemple, l'idée de permettre aux détenus non autochtones d'utiliser des mesures élaborées pour les services correctionnels destinés aux autochtones pourrait être valable. L'an dernier, lorsque j'ai visité les pavillons de ressourcement Pê Sâkâstêw et Buffalo Sage à Edmonton, j'ai vu de mes propres yeux l'effet incroyable des programmes offerts dans ces établissements sur les résultats obtenus avec les détenus qui purgent leur peine dans ces pavillons.
À la Maison de ressourcement Buffalo Sage, j'ai eu l'honneur de me joindre à un cercle avec Vicky, une aînée, et d'écouter le récit des détenues présentes. Ces femmes fortes ont enduré tout ce que la vie leur a apporté comme difficultés et, aujourd'hui, elles sont sur la voie de la guérison, de la réadaptation et de la réinsertion sociale parce qu'elles sont plongées dans leur culture. Ces femmes ont fui des agresseurs violents et se sont elles-mêmes retrouvées en prison. Elles ont abouti dans les filets de la justice criminelle parce qu'elles n'avaient nulle part où se loger et qu'elles étaient sans le sou. Elles ont perdu leurs enfants parce qu'ils ont été confiés aux soins de l'État. Une personne à la Maison de ressourcement Buffalo Sage m'a dit que, depuis son entrée dans le système correctionnel, c'est seulement à cet endroit qu'elle s'est sentie capable de guérir.
J'ai aussi eu le privilège de visiter le Centre Pê Sâkâstêw, un pavillon de ressourcement pour hommes, où j'ai eu une rencontre mémorable avec un Autochtone de 39 ans, qui est entré dans le système judiciaire à 12 ans en tant que jeune contrevenant. Après avoir été incarcéré plusieurs fois dans sa vie, une vie remplie de mauvais traitements et de dépendances, il était en train de purger une peine pour vol qualifié et il cheminait vers la guérison. En prison, il adopte une identité d'homme et à l'extérieur, il vit comme une femme. Il préfère le pronom « il ». Il a renoué avec sa communauté pour la première fois depuis 20 ans.
Je pourrais dire beaucoup de bien au sujet des pavillons de ressourcement et des résultats des services correctionnels qui y sont fournis aux délinquants autochtones, mais il reste une somme considérable de travail à faire pour déterminer comment la vision du Sénat pourrait être mise en pratique. Il faudrait savoir quels aspects pourraient être empruntés aux programmes Autochtones, quels éléments devraient plutôt être repensés, à quel point l'idée susciterait l'appui des communautés, quelle devrait être la provenance du financement pour qu'il n'y ait pas de diminution des services fournis à la population carcérale autochtone, qui, comme nous le savons, connaît la croissance la plus importante dans les prisons du Canada.
Le Sénat nous fait aussi, par exemple, une proposition visant à prévenir les inconduites des employés correctionnels et à aider les détenus qui en sont victimes.
Il est important de souligner que la vaste majorité du personnel correctionnel est composée de professionnels bien formés qui font un travail très difficile avec compétence et dévouement. Ce sont des gens pour lesquels j'ai le plus grand respect. Les Canadiens ne leur rendent pas assez souvent hommage. Chaque fois qu'un problème survient concernant une personne qui travaille dans le domaine correctionnel, nous devons absolument y remédier. Cependant, selon moi, la proposition du Sénat visant à réduire la durée de la peine purgée par les détenus lorsqu'il y a inconduite du personnel correctionnel n'est pas la bonne approche.
Le Sénat a également proposé un amendement qui prévoit que tout placement dans une unité d'intervention structurée pour une période de plus de 48 heures nécessite une autorisation de la cour supérieure d'une province.
Dans ce cas également, je comprends l'objectif de l'amendement et j'y souscris. On veut que les unités d'intervention structurées soient bien utilisées. En exerçant une surveillance étroite, on pourrait s'assurer que ces unités sont une solution de dernier recours, que les détenus y sont placés pendant des périodes aussi courtes que possible, qu'ils peuvent passer suffisamment de temps hors de leur cellule et qu'ils bénéficient de contacts humains réels, comme le prévoit le projet de loi.
Il est important de noter que dans le contexte de l'isolement préventif, la Cour supérieure de justice de l'Ontario a conclu que les placements doivent être examinés au plus tard le cinquième jour ouvrable par un examinateur qui est « complètement hors du cercle d'influence de la personne qui a pris la décision » et qui est « capable de substituer sa décision à celle de la personne qui a pris la décision ». La Cour a explicitement indiqué que l'examinateur n'avait pas besoin d'être externe au Service correctionnel du Canada et, en fait, a recommandé la réalisation d'« un examen administratif effectué par le Service correctionnel du Canada ». Même si cette conclusion se rapportait précisément à l'isolement préventif et non aux unités d'intervention structurée, le projet de loi C-83 créerait un processus d'examen des unités d'intervention structurée conforme à ce que le tribunal exige pour l'isolement préventif.
En vertu du projet de loi C-83, les placements dans les unités d'intervention structurée seront examinés au plus tard le cinquième jour ouvrable par le directeur du pénitencier qui ne relève pas du décideur initial et qui a le pouvoir d'annuler la décision initiale. Il est important de souligner que, que ce soit dans le contexte de l'isolement préventif ou des unités d'intervention structurée, aucun tribunal n'a exigé de contrôle judiciaire et n'a fixé de délai de 48 heures pour un contrôle quelconque.
Je rappelle à la Chambre que le comité de la sécurité publique a longuement discuté de la question d'un contrôle rigoureux et qu'à l'étape du rapport, mon amendement à cet effet a déjà été ajouté au projet de loi.
Des décideurs externes indépendants seront nommés par le ministre pour examiner tout cas où un détenu dans une unité d'intervention structurée n'a pas la possibilité de passer le nombre minimal d'heures en dehors de sa cellule ou d'interagir avec autrui pendant le nombre minimal d'heures, et ce, pendant cinq jours consécutifs ou un total de 15 jours au cours d'une période de 30 jours. Ils examineront également les situations où le Service correctionnel du Canada n'écoute pas un professionnel de la santé qui l'aviserait de retirer un détenu d'une unité d'intervention structurée ou de changer ses conditions. De plus, ils examineront tous les cas où un détenu se trouve dans une unité d'intervention structurée depuis 90 jours et ils effectueront un autre examen tous les 60 jours par la suite.
Les décisions des décideurs externes indépendants seront exécutoires et elles pourront faire l'objet d'un examen par la Cour fédérale. Toute cette surveillance externe s'ajoute aux examens qu'effectuent régulièrement les services correctionnels à partir du cinquième jour dans une unité d'intervention structurée.
Il existe plusieurs avantages à recourir à des arbitres indépendants plutôt qu'à des juges pour assurer la surveillance dans ce contexte. D'une part, les tribunaux ont déjà une lourde charge de travail. Si on leur donne des responsabilités supplémentaires, il faudrait aussi leur donner des ressources supplémentaires, c'est-à-dire augmenter le nombre de juges à la Cour supérieure, ce qui exigerait des modifications législatives et des allocations budgétaires tant à l'échelle fédérale que provinciale.
Cela soulève un autre problème. Les provinces ont des cours supérieures. Nous ne devrions pas autant alourdir leur charge de travail sans mener de vastes consultations auprès des provinces.
En outre, la souplesse qu'offre un système d'arbitres indépendants constitue un avantage de taille dans ce contexte. Quelques-uns d'entre eux pourraient être déployés dans diverses régions du pays, afin de répondre aux besoins de différentes provinces. Les juges, eux, sont nommés de manière permanente à un tribunal précis et ne traitent que des causes relevant de leur juridiction. Les tribunaux n'ont pas exigé de révision judiciaire, même pour le système actuel d'isolement préventif. En fait, la Cour supérieure de l'Ontario a exprimé une préférence pour une révision non judiciaire, qui permet d'arriver à une décision plus rapidement.
En fin de compte, bien que j'apprécie l'intention du Sénat dans sa proposition de révision judiciaire, j'estime que le système d'arbitrage indépendant que prévoit le projet de loi C-83 répond au besoin de surveillance sans présenter les désavantages d'un recours aux tribunaux.
Je remercie le Sénat de sa contribution et de ses efforts. Le projet a reçu beaucoup d'attention de la part des parlementaires au cours des neuf derniers mois, et avec raison.
Nous confions à Service correctionnel Canada la tâche d'assurer l'exécution des peines qui sont censées constituer un moyen de dissuasion et une sanction pour des actes criminels et de séparer physiquement du reste de la société canadienne des personnes pouvant être dangereuses. Par ailleurs, nous chargeons Service correctionnel Canada de réhabiliter les détenus avec des mesures comme la thérapie comportementale, des programmes de gestion de la colère, des soins de santé mentale, le traitement de la toxicomanie, l'enseignement et la formation professionnelle.
Dans un pays comme le Canada, nous exigeons que ces tâches soient exécutées avec humanité, dans le respect des droits et conformément à la Charte des droits et libertés, même pour les personnes qui ont commis des actes terribles. Le projet de loi C-83 contribuerait à l'atteinte de ces objectifs.
Lorsque j'ai pris part au débat sur le projet de loi à l'étape du rapport, j'ai dit être fermement convaincue que le projet de loi, combiné à d'autres investissements du gouvernement, transformerait le système correctionnel. Voilà pourquoi j'appuie le projet de loi et la motion à l'étude aujourd'hui. Je presse les députés de faire de même.
C'est la dernière fois que je m'adresse à la Chambre avant l'ajournement. J'en profite donc pour saluer mes collaborateurs ici présents, Hilary Lawson et Conor Lewis. Le projet de loi n'aurait pas été ce qu'il est aujourd'hui sans l'excellent travail d'Hilary. Quant à Conor, il a collaboré avec moi aux travaux du comité de la condition féminine. Je peux affirmer en toute confiance que j'ai les meilleurs collaborateurs de la Colline et je les remercie tous deux de tous les efforts qu'ils ont déployés.
Je tiens également à remercier les membres du comité de la sécurité publique qui sont ici présents. Je suis désolé de ne pas avoir retenu le nom de leur circonscription, mais ils ont tous deux pris la parole ce soir. Ils ont été des collègues extraordinaires. Il est rare de voir des députés de toutes allégeances politiques travailler aussi bien sur des questions très controversées. Nous avons toujours trouvé le moyen de collaborer et de manifester nos désaccords de façon très civilisée. Je tiens à les féliciter de leur travail et de celui de mes collègues libéraux au comité. Nous avons accompli de bonnes choses et je suis très fière de ce projet de loi. Je retournerai dans ma circonscription en sachant que nous avons adopté un projet de loi qui va vraiment transformer notre système correctionnel.