Monsieur le Président, j'aimerais soulever une question de privilège, et je vais le faire dans les plus brefs délais.
Il s'agit de quelque chose qui a été soulevé hier, lors de la période des questions orales. Je vais y revenir dans un moment. Ce sont les premières affaires courantes depuis la période des questions orales d'hier.
Je suis reconnaissant de pouvoir soulever cette question de privilège aujourd'hui.
Comme le savent les députés, la Chambre a le pouvoir de sanctionner l'outrage, qui comprend explicitement la désobéissance à un ordre de la Chambre.
Je cite les pages 80 et 81 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, où l'on peut lire:
Tout acte tenant du mépris ou constituant une attaque contre les droits, pouvoirs et immunités de la Chambre et de ses députés, soit par une personne ou un organisme de l'extérieur, soit par un de ses députés, est considéré comme une « atteinte aux privilèges » et est punissable par la Chambre. Il existe toutefois d'autres affronts contre la dignité et l'autorité du Parlement qui peuvent ne pas constituer une atteinte aux privilèges comme telle. Ainsi, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l'outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l'exercice de ses fonctions, ou transgresse l'autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes [...]
Comme vous le savez, monsieur le Président, des Présidents d'autres Parlements dans le monde, y compris au Royaume-Uni, ont eu à rendre des décisions à ce sujet. Au Royaume-Uni, le Comité mixte sur le privilège parlementaire a également tenté d'établir une liste de types d'outrages dans son rapport de 1999. Je vais en citer un: « Sans excuse valable, désobéir à un ordre légal de la Chambre ou d'un comité ».
Le mercredi 11 décembre, le député de Timmins—Baie James a présenté une motion donnant des directives claires qui a été adoptée. Voici le texte de cette motion:
Que la Chambre demande au gouvernement de respecter la décision historique du Tribunal canadien des droits de la personne ordonnant de mettre fin à la discrimination envers les enfants des Premières Nations, notamment:
a) en se conformant entièrement à l'ensemble des ordonnances faites par le Tribunal canadien des droits de la personne et en veillant à ce que les enfants et les membres de leur famille n'aient pas à rendre témoignage de leurs traumatismes devant les tribunaux;
b) en mettant en oeuvre, pour les années à venir, un plan de financement prescrit par la loi qui mettra fin aux insuffisances systémiques des services de bien-être aux enfants des Premières Nations.
Cette motion a été adoptée à l'unanimité.
Selon le Petit Robert, lorsqu'on « demande » à quelqu'un de faire quelque chose, on lui ordonne, on le somme de le faire. C'est assez clair. Toujours selon le Petit Robert, « respecter » un ordre, un règlement, etc., c'est en tenir compte.
Le Parlement a exigé que le gouvernement soit en conformité avec les décisions du Tribunal. Le Tribunal a dit ceci:
[...] que la discrimination raciale systémique dont le Canada a fait preuve [...], a eu pour effet de léser les enfants des Premières Nations vivant dans une réserve et au Yukon qui, pour cause de pauvreté, d’absence de logement ou de logement jugé convenable ou encore de négligence ou d’alcoolisme et de toxicomanie, ont été inutilement placés à l’extérieur de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité et, surtout en ce qui concerne l’alcoolisme et la toxicomanie, n’ont pas bénéficié de mesures moins perturbatrices ou d’autres services de prévention qui leur auraient permis de demeurer en sécurité au sein de leur foyer, de leur famille et de leur collectivité. Ces enfants ont subi un préjudice moral d’une extrême gravité justifiant le paiement du montant maximal d’indemnité de 20 000 $ [...]. Le Tribunal condamne donc le Canada à payer 20 000 $ à chaque enfant d’une Première Nation qui a été retiré de son foyer, de sa famille et de sa communauté entre le 1er janvier 2006 [...]
Ces directives sont très claires.
Pendant la période des questions d'hier, la réponse du gouvernement a fait preuve d'un manque de respect flagrant à l'égard des directives de la Chambre, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'enceinte du Parlement.
Premièrement, CBC News a publié en ligne une citation du ministre des Services aux Autochtones selon laquelle le gouvernement n'a pas l'intention d'abandonner la contestation judiciaire. Ensuite, pendant la période des questions d'hier, le ministre des Services aux Autochtones a dit: « Notre engagement à mettre en œuvre d'autres ordonnances du TCDP ou à réformer les services à l'enfance et à la famille ne change en rien. » Rien ne change. En effet, en réponse à une question du député de Timmins—Baie James, le ministre a dit que le gouvernement n'allait tout simplement rien changer à sa façon de faire.
Je dirais que c'est une approche sans précédent et qu'il y a un flou procédural à cet égard. Il n'y a pas de jurisprudence ou de décision de la présidence qui porte précisément sur une telle situation, et nous sommes pourtant remontés des dizaines d'années en arrière lors des recherches que nous avons effectuées jusqu'à tard hier soir. La question qui se rapprochait le plus du cas qui nous occupe a été examinée par le Président Milliken, le 8 mars 2005. Il était question des projets de loi C-31 et C-32, qui visaient à créer un ministère du Commerce international distinct du ministère des Affaires étrangères. Dans ce cas précis, le gouvernement a mis à exécution cette proposition même si la Chambre avait rejeté les projets de loi qui devaient permettre cette réorganisation ministérielle.
Dans cette décision, le Président Milliken a déterminé qu'il n'y avait pas eu atteinte au privilège, en grande partie parce que la prise des décrets se fondait sur les pouvoirs conférés par le Parlement au gouvernement. La présidence s'est également appuyée sur la teneur du budget principal des dépenses. Autrement dit, il n'y avait aucune ambiguïté dans les instructions reçues de la Chambre. Par ailleurs, étant donné que les commentaires en cause avaient été faits à l'extérieur de la Chambre, la présidence a remis en question leur pertinence et l'exactitude des propos cités. Dans le cas qui nous occupe, nous nous appuyons sur le hansard et sur les propos qui ont bel et bien été tenus à la Chambre.
Malgré ce qui précède, le Président Milliken a exprimé de vives inquiétudes. Il a dit ceci: « Cela ne veut pas dire que les commentaires du ministre, s’ils ont été rapportés fidèlement, ne préoccupent pas la présidence. Je peux comprendre l’irritation de la Chambre et la confusion des députés, ainsi que des personnes qui suivent les affaires parlementaires à l’extérieur de la Chambre. » Le Président Milliken a ensuite posé cette question: « Comment les décisions que prend la Chambre [...] peuvent-elles être sans conséquence sur le plan pratique? » Cet extrait, tiré d'une décision rendue le 23 mars 2005, se trouve à la page 56 de l'ouvrage Recueil de décisions du Président Milliken.
Il y a une ambiguïté à laquelle vous devez soigneusement réfléchir et à propos de laquelle vous devez prendre une décision, monsieur le Président. Bien sûr, la Chambre des communes est suprême et elle a donné des directives au gouvernement. Le gouvernement a déclaré à la Chambre que rien n'avait changé, et je soutiens que c'est une atteinte aux privilèges de la Chambre. Toutefois, comme vous le savez, c'est à la Chambre qu'il revient en fin de compte de décider s'il y a eu atteinte à ses privilèges et si le gouvernement s'est rendu coupable d'outrage.
Vous le savez très bien, le rôle du Président est de décider si cette question mérite d'être discutée davantage à la Chambre. Je vous demanderai de conclure que la question de privilège vous paraît fondée de prime abord et de laisser aux députés la possibilité de déterminer si cette question mérite d'être examinée par le comité de la procédure et des affaires de la Chambre. C'est d'une importance capitale, surtout dans un gouvernement minoritaire.
Vous vous pencherez sur ma demande, et peut-être que d'autres députés voudront intervenir. Cependant, le fait est que le gouvernement a la possibilité, pendant la pause, de résoudre ce que je considère comme une contradiction évidente entre la directive donnée par la Chambre et la réponse du gouvernement. En tout cas, j'espère qu'il le fera. S'il en est ainsi, je serai plus qu'heureux de retirer cette question de privilège.
Il n'en reste pas moins que, dans une démocratie, ce sont les électeurs qui décident, les Canadiens le comprennent. Ils décident qui vient siéger à la Chambre, puis nous prenons les décisions. Quand une directive claire est donnée, le gouvernement devrait comprendre qu'elle devrait être suivie. Il ne fait aucun doute que, mercredi, la Chambre a donné une directive au gouvernement et que, jeudi, moins de 24 heures plus tard, le ministre a dit à la Chambre que rien n'avait changé.
Je soutiens que la Chambre devrait être saisie de cette affaire et si, après une étude attentive, vous êtes d'accord, je suis prêt à présenter la motion idoine, monsieur le Président.