Ma région a vécu la crise du verglas, qui a marqué l'imaginaire collectif. On avait réalisé à ce moment qu'il s'était créé des mouvements de solidarité, un peu comme c'est le cas maintenant. Il y a eu de l'aide entre les citoyens. Je me souviens de mon père qui se promenait avec sa génératrice pour aller vider les caves de gens qui habitaient sur le rang chez nous et les pompes qui ne fonctionnaient pas parce qu'il n'y avait pas d'électricité. On a aussi réalisé — et ce sont les plus vieux qui nous le font remarquer parce que j'étais moi-même trop jeune pour m'en rendre compte — qu'au moment où on a rallumé les lumières, beaucoup de cette solidarité a été perdue. Malheureusement, je crains que cela arrive aussi au moment où on trouvera un vaccin. Présentement, nous sommes dans une situation où on encourage énormément l'achat local.
J'ose espérer qu'on pourra garder cette belle solidarité, mais il y a des choses qui devront être mises en place par le gouvernement et par le Parlement pour s'assurer qu'il nous restera quelque chose de cette crise. Ce serait une insulte aux gens qui souffrent présentement et aux gens qui auront péri des suites de la COVID-19 que de ne pas tirer de leçon de cette pandémie et de ne pas saisir l'occasion pour devenir meilleurs.
Des choses peuvent être faites présentement dans certains dossiers, mais elles auraient aussi pu être faites par le passé, ce qui nous aurait permis de passer un peu mieux à travers la crise. Je vais donner trois exemples particuliers. Il y a la question des aînés, qui a été un des clous sur lesquels le Bloc québécois a énormément tapé. Même avant la crise, même avant qu'on puisse penser qu'il y aurait un jour ce genre de pandémie, le Bloc québécois soulevait le problème. Au moment où on a instauré le système de Sécurité de la vieillesse, cela couvrait l'équivalent de 20 % du revenu industriel moyen. Compte tenu du désinvestissement qu'il y a eu année après année, cela correspond à l'équivalent de 13 % du salaire moyen. Le pouvoir d'achat des aînés a grandement diminué. Nous souhaitons pouvoir dire que les 300 $ qui ont été octroyés, c'est un bon coup, mais cela ne doit pas être ponctuel. Oui, cela aidera en partie pendant la crise, mais les problèmes que les aînés vont subir vont continuer d'exister.
On peut penser notamment au coût du panier d'épicerie à l'automne, qui risque d'être très élevé, notamment pour les fruits et les légumes frais, surtout ceux qui viendront de nos maraîchers et de nos agriculteurs. Quelque chose aurait dû être fait avant la crise, mais on peut encore le faire dans le cadre de la crise. Il s'agit d'augmenter le pouvoir d'achat de nos aînés et de s'assurer, par la force des choses, qu'ils continuent à contribuer à notre économie, qu'ils continuent à faire leurs achats chez nos producteurs locaux et qu'ils continuent à être actifs, économiquement parlant, dans notre société. Malheureusement, ce sont des choses que nous ne pourrons peut-être pas faire si le Parlement se résume à quatre périodes de questions par semaine.
Il y a un autre point que nous avons beaucoup soulevé pendant la crise, et c'est la question des transferts en santé. Depuis plusieurs années, il y a un désinvestissement massif des transferts fédéraux en santé vers les provinces et le Québec. Dans certains cas, on peut critiquer certaines réformes que les provinces ont tenté de mettre sur pied. Même certains acteurs de ces réformes admettent que ce qui a été fait était peut-être perfectible, qu'ils auraient pu faire les choses autrement et que cela aurait été mieux. Il reste que, quand on n'a pas l'argent, on part avec une béquille énorme. Le désinvestissement fédéral est la cause principale des problèmes actuels du système de santé. Cela existait avant la crise. Cela aurait dû être réglé avant la crise. La situation que nous vivons présentement devrait à tout le moins nous faire dire que nous ne voulons pas que cela se reproduise plus tard.
Il y a une chose qu'on peut faire présentement, c'est de s'assurer que les entreprises qui bénéficient des paradis fiscaux ne reçoivent pas de subvention salariale. Nous avons fait le calcul. Les grandes banques épargnent en impôt annuellement l'équivalent d'environ 2,5 milliards de dollars; or il en coûterait entre 1,9 et 2 milliards de dollars pour rétablir les transferts en santé. En s'assurant que les vrais fautifs, les gens qui légalement, mais immoralement utilisent les paradis fiscaux, paient leur juste part d'impôt, on pourrait rétablir les transferts en santé.
On espère que cela n'arrivera pas, mais il faudra être prêt à réagir si une autre crise survient. Il faut s'assurer de tirer des leçons de la crise que l'on vit présentement.
Un autre sujet que j'ai beaucoup aimé aborder pendant la crise est toute la question des agriculteurs, plus spécifiquement sous l'angle des travailleurs étrangers temporaires qui sont les piliers de notre production. Ce sont des gens qui sont absolument nécessaires à notre sécurité et à notre souveraineté alimentaires et qui nous permettent de nous approvisionner en produits frais et locaux.
La problématique des permis de travail fermés existe depuis longtemps. Les producteurs agricoles se plaignent du manque de flexibilité qu'impose un permis de travail fermé. Je vais donner quelques exemples d'avant la crise.
Pensons d'abord à un agriculteur qui n'aurait besoin de quelqu'un qu'à temps partiel, peut-être une journée par semaine. Cela ne vaut pas la peine de faire venir quelqu'un du Guatemala en lui disant qu'il ne va travailler qu'une journée par semaine. Cependant, un permis de travail fermé ne permet pas d'échanger ou de partager le travail d'un employé entre plusieurs entreprises agricoles.
Par ailleurs, la charge de travail n'est pas répartie de la même façon d'une entreprise agricole à une autre. Par exemple, la fin de l'hiver représente une charge de travail un peu moins grande pour les producteurs laitiers, puisque ce n'est ni le début ni la fin des récoltes. Par contre, pour les producteurs acéricoles, la fin de l'hiver est une période très occupée de l'année, car c'est à ce moment-là qu'ils commencent à semer. Cette répartition inégale de la charge de travail empêche là aussi de se partager les services des employés. Ce problème existait déjà avant la crise.
Pendant la crise, alors que l'on subissait une pénurie majeure de travailleurs étrangers temporaires, des producteurs ont été incapables de se partager l'aide de travailleurs dans des moments très critiques. Pensons ici aux pomiculteurs qui avaient besoin de faire tailler leurs pommiers pour lancer leur saison. Au même moment et souvent sur le terrain juste à côté, des producteurs acéricoles dont la saison de cabane à sucre avait été annulée avaient à leur disposition une poignée de gens qu'ils ne pouvaient pas faire travailler et dont ils auraient bien aimé pouvoir partager les services avec les pomiculteurs.
Pensons aussi aux producteurs maraîchers qui ont souvent deux récoltes par été. Alors qu'un premier lot de travailleurs récolte les produits, un deuxième groupe juste en arrière plante en prévision d'une seconde récolte. Or, la majorité des maraîchers de chez nous ont présentement suffisamment de gens pour récolter, mais pas assez pour planter en arrière. Si toutes les entreprises s'étaient entendues pour mieux utiliser les travailleurs à leur disposition, elles auraient pu avoir deux récoltes, ce qui aurait constitué une meilleure production à la fin de l'année.
Advenant une autre crise, il serait bien de considérer de nouvelles modalités en lien avec les permis fermés. Si une tempête de grêle détruisait ma récolte, mais pas celle de mon voisin, ce dernier pourrait sauver sa récolte en recourant à davantage de main-d'œuvre si l'on pouvait se partager les services des travailleurs. Plus près d'ici, lorsqu'il y a eu des inondations, les travailleurs agricoles qui n'étaient pas trop occupés à ce moment-là n'ont pas pu prêter main-forte et installer des sacs de sable pour protéger les gens des inondations.
Ce problème existe depuis longtemps et pourrait être résolu. Pour notre part, nous faisons des propositions et nous suggérons des pistes, comme la possibilité de permettre à un travailleur titulaire d'un permis fermé d'aller quand même travailler ailleurs pendant un certain nombre de jours.
Cependant, nous ne pouvons pas présenter toutes ces réflexions à l'heure actuelle, puisque deux partis ont choisi de restreindre la tenue de ces échanges à entre nous. Pourtant, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a mené une étude remarquable sur la tenue de séances virtuelles du Parlement.
Je trouve dommage que l'on reconnaisse d'entrée de jeu que la pandémie de la COVID-19 constitue un immense problème, mais que l'on décide de se lier les mains en s'empêchant de trouver des solutions pour maintenant et pour l'avenir. D'une certaine façon, je trouve que le fait de ne pas travailler dès maintenant à aider les gens qui souffrent et ceux qui meurent de la COVID-19 constitue un manque de respect envers ces personnes. Il est dommage que cette crise ne fasse pas ressortir le meilleur de nous-mêmes.