Madame la Présidente, puisque j'ai présenté la motion au Comité permanent de la sécurité publique et nationale recommandant de ne pas poursuivre l'étude du projet de loi C-226, par respect pour mon collègue le député de Bellechasse—Les Etchemins—Lévis et pour informer la Chambre des débats qui ont eu lieu en comité, j'aimerais soumettre mes arguments à la Chambre.
La conduite avec les facultés affaiblies, que ce soit par la drogue ou par l'alcool, est un problème sérieux. Les victimes de la route et les agents de la sécurité publique ont donc besoin de notre soutien. Les dispositions sur la conduite avec les facultés affaiblies sont celles qui sont le plus souvent contestées dans le Code criminel. Il faut donc un plan robuste et exhaustif pour atteindre un équilibre entre la sécurité publique des Canadiens et la Charte canadienne des droits et libertés.
Le projet de loi C-226 a une intention tout à fait louable. Cependant, les problèmes légaux du projet de loi dépassent largement les bénéfices potentiels. Je veux exposer trois problèmes relatifs à ce projet de loi.
Tout d'abord, il y a la mise en place de peines minimales. Le seul groupe de témoins qui appuie cette mesure du projet de loi est celui qui a aidé le député à rédiger celui-ci. L'autre groupe qui a contribué à la rédaction du projet de loi, Les mères contre l'alcool au volant, a témoigné contre les peines minimales pendant l'étude en comité. Je voudrais citer quelques témoins au sujet des peines minimales.
Andrew Murie, chef de la direction du bureau national des Mères contre l'alcool au volant, a dit ceci:
[...] nous fondons toute notre organisation sur les données probantes et les politiques. Nous n'arrivons à trouver aucun effet dissuasif en ce qui concerne les peines minimales obligatoires. Voilà un problème. L'autre tient au fait que, d'après notre analyse juridique, nous ne croyons pas qu'elles résisteraient à une contestation au titre de la Charte.
Michael Spratt, de la Criminal Lawyers' Association, a dit qu'« il y a des articles du projet de loi qui sont incontestablement inconstitutionnels ».
Abby Deshman, de l'Association canadienne des libertés civiles, a dit ceci:
Sachez d'abord que les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas. Elles sont inefficaces et injustes. Des décennies de recherches ont clairement montré que le durcissement des peines ne décourage pas la criminalité.
Finalement, Micheal Vonn, de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, cité par les députés de l'autre côté, a ajouté ceci:
En plus de ne pas présenter l'avantage d'avoir un effet dissuasif, les peines minimales obligatoires risquent fort d'être préjudiciables. Des peines injustes et excessivement punitives pourraient être imposées [...]
Ensuite, la deuxième lacune que je veux soulever est le contrôle aléatoire de l'haleine, la mesure phare de ce projet de loi. Il pose deux problèmes: nous ne sommes pas certains de ses bénéfices, et là aussi, il y a un risque constitutionnel. Dans la plupart des endroits où on a adopté le contrôle aléatoire de l'haleine, il y avait peu ou pas de mesures législatives mises en place pour lutter contre l'alcool au volant. C'était le cas en Australie, par exemple, et en Irlande, deux pays souvent mentionnés dans des études sur le contrôle aléatoire de l'haleine.
Or, au Canada, nous avons déjà un système en place pour lutter contre l'alcool au volant. Tout le monde a déjà été arrêté à un barrage routier, et nous avons un cadre légal en place pour l'utilisation d'éthylomètres. C'est pourquoi les études qui parlent des bienfaits du contrôle aléatoire de l'haleine ne sont pas vraiment valables dans le contexte canadien. Ainsi, on ne sait pas quel serait le bénéfice de ce projet de loi, parce qu'il n'y a pas d'étude qui parle de l'implantation du contrôle aléatoire dans des endroits où il y a déjà des mesures visant à lutter contre l'alcool au volant.
De plus, ce qu'il faut retenir des études sur l'Australie et l'Irlande, c'est que le succès de l'introduction du contrôle aléatoire de l'haleine doit être conjugué avec une vaste campagne d'éducation et de sensibilisation. Malheureusement, il n'y a rien dans le projet de loi qui parle d'éducation ou de sensibilisation.
Un des problèmes constitutionnels liés au contrôle aléatoire de l'haleine est qu'il n'est pas vraiment aléatoire. On l'appelle « aléatoire » seulement parce que c'est un des sous-titres du projet de loi. C'est une erreur qui a été commise dans les lois australiennes, et il faut donc éviter de l'importer au Canada.
En réalité, le contrôle de l'haleine donnerait aux policiers le pouvoir d'arrêter n'importe quelle personne sur la route aux fins de la soumettre à un contrôle. J'ai énormément de respect pour les forces de l'ordre, mais un pouvoir aussi absolu comporte un risque de dérive. Il faut trouver une véritable solution, un contrôle réellement aléatoire. Par exemple, on pourrait choisir au hasard une voiture sur dix ou utiliser un système de lumière binaire qui donnerait une mesure véritablement aléatoire et potentiellement plus dissuasive.
Enfin, je dirai un mot sur l'aide aux victimes. La troisième raison pour laquelle nous recommandons de ne pas poursuivre l'étude de ce projet de loi est qu'il n'y a rien pour les victimes.
Pendant l'étude, nous avons entendu un témoignage à briser le coeur, c'est vrai. J'aimerais remercier Sheri Arsenault et Markita Kaulius de Families for Justice et Patricia Hynes-Coates des Mères contre l'alcool au volant, qui ont témoigné au comité. Toutes trois ont perdu des êtres chers, victimes d'accidents de la route.
Je vais citer Mme Arsenault, la directrice de Alberta de Families for Justice:
Quelqu'un a dit que les victimes n'ont droit à presque aucune considération, et c'est très vrai. Les délinquants ont tous les droits du monde. Ils ont le droit à être défendus par des experts. Ils ont le droit d'interjeter appel. La victime n'a qu'un seul droit. Le seul droit que j'ai, c'est celui de préparer une déclaration de la victime et de la présenter.
Mon collègue de Saint-Léonard—Saint-Michel a lui aussi vécu une expérience très personnelle. J'aimerais en profiter pour saluer ses filles qui, au nom du gouvernement du Québec, président des consultations publiques en matière de sécurité routière. Malheureusement, il n'y a rien dans le projet de loi pour aider les victimes. Je pense que cela aurait été utile de prévoir des mesures contre les phénomènes de victimisation lors des témoignages en cour, par exemple.
En conclusion, comme il a été déposé en tant que projet de loi émanant d'un député, il n'a pas été soumis à un examen de constitutionnalité fait par le ministère de la Justice, en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice. Les membres du Comité permanent de la sécurité publique et nationale auraient aimé consulter l'avis de constitutionnalité du projet de loi loi C-73, la version du projet de loi déposé au moment où le député de Bellechasse—Les Etchemins—Lévis était encore ministre, mais nous n'y avons pas eu accès.
De plus, à l'exception du contrôle aléatoire de l'haleine, les représentantes de Mères contre l'alcool au volant ont dit au comité que même si toutes ces mesures étaient confirmées en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, elles n'auraient pas un impact considérable sur la conduite avec les facultés affaiblies et les collisions, décès et blessures qui en découlent.
Pour toutes ces raisons, j'encourage les députés à appuyer le rapport du comité et de ne pas poursuivre l'étude de ce projet de loi.
Toutefois, j'aimerais attirer l'attention des députés sur une partie du rapport que nous avons déposé. En effet, même si nous proposons de ne pas poursuivre l'étude du projet de loi C-226, nous recommandons que le gouvernement introduise des mesures législatives solides, afin de réduire la prévalence de la conduite avec les facultés affaiblies dans les meilleurs délais.