Monsieur le Président, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui. Je tiens à féliciter le député de Beloeil—Chambly pour son très beau discours. Il fait preuve d'un bilinguisme hors pair. Il rend hommage, sans aucun doute, aux aïeux des deux peuples fondateurs du Canada.
Mon collègue de Sherwood Park—Fort Saskatchewan a assez bien expliqué la question sur laquelle on s'exprime aujourd'hui. Il a vraiment fait l'historique des trois dernières semaines. Il nous a étalé l'accumulation des questions de privilège. Je n'ai pas l'intention de refaire cet exercice. Bien que je compte parler de l'importance d'une question de privilège en introduction, j'ai plutôt l'intention de faire l'analyse du document de discussion concernant les réformes à la Chambre, tout en restant ancré sur le sujet qui nous importe actuellement.
Depuis trois semaines, espérais avoir l'occasion de m'adresser à mes collègues à la Chambre sur le débat qui a cours, que ce soit sur la question de privilège ou sur les réformes, débattues au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Bien que des députés tentent de différencier les débats et de séparer les éléments de ces débats, cela constitue un tout. Que ce soit la question de privilège ou celle sur les réformes proposées par le gouvernement libéral — les réformes dites de modernisation — on s'attarde au même enjeu, c'est-à-dire à celui des droits inaliénables des parlementaires et, par ricochet, au droit de représentation de tout Canadien.
Au cours des trois dernières semaines, j'ai tenté de m'exprimer au comité en mettant mon nom sur la liste. Je n'en ai pas eu la chance. J'ai aussi tenté de parler à la Chambre vendredi dernier. J'étais ici pour participer au débat, tout comme les collègues de l'autre côté de la Chambre. Je suis content de pouvoir enfin intervenir et de peut-être faire prendre en compte la perspective canadienne française dans ce débat.
Plusieurs de mes collègues de ce côté-ci de la Chambre ont voulu faire la démonstration que les questions de privilège sont d'une importance capitale pour les députés de la Chambre des communes, de même que pour tous les députés de tous les Parlements de la tradition de Westminster dans le monde.
Il a fallu des siècles pour mettre en place les questions de privilège. Je crois que c'est mon collègue de Yorkton—Melville qui a bien expliqué comment, il y a plusieurs siècles, en Angleterre, les rois tentaient par certaines manoeuvres d'empêcher les seigneurs ou les bourgeois qui étaient les élus ou les sénateurs de l'époque, les Lords de la Chambre haute, d'aller à la Chambre pour voter en temps et lieu sur un projet de loi quelconque.
Au fil des siècles, les Chambres respectives en Angleterre se sont autoallouées des protections, dont celle de la plus haute importance, soit celle relative à la question de privilège dont nous débattons aujourd'hui.
La question de privilège vise d'abord et avant tout à veiller à ce que l'accès à cette enceinte démocratique ne soit jamais mis à mal par une situation quelconque, le comportement d'un individu ou des lois ou des changements aux procédures et aux affaires de la Chambre. Ce n'est pas peu dire qu'il a fallu des siècles pour construire la protection de la question de privilège.
Il y a deux semaines, deux de mes collègues conservateurs n'ont pas pu voter, parce qu'ils ont été retardés par un autobus qui était lui-même retardé par les moyens de transport de notre très honorable premier ministre. Il y a eu effectivement un certain bris du privilège parlementaire pour ces deux députés qui sont ici, tout comme nous tous d'ailleurs, pour représenter et parler au nom de leurs concitoyens. Chacun député représente environ 100 000 concitoyens.
Cet enjeu est très sérieux pour tous les députés à la Chambre, ne serait-ce qu'en raison de ce qui pourrait arriver. On peut inverser la situation. Imaginons que c'est un vote de confiance et qu'une trentaine ou une quarantaine de députés libéraux ne peuvent pas se rendre à la Chambre. Le gouvernement pourrait alors tomber et on irait en élection.
C'est la raison pour laquelle il faut s'assurer que l'accès à la Chambre ne soit jamais restreint d'aucune façon. C'est de la plus haute importance. C'est pour cette raison qu'il ne faut pas se gêner d'en parler aussi longtemps qu'il le faut. Le bris d'un privilège parlementaire peut avoir des conséquences désastreuses. C'est un sujet très sérieux.
Le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes, directement ou indirectement, volontairement ou non, tente de gérer ce débat sur la question de privilège. Vendredi dernier, j'étais ici lorsqu'il tentait de gérer le débat et de remettre en question la pertinence de débattre d'une question de privilège à la Chambre. Il a tenté aussi de le faire quelque peu aujourd'hui, selon mon humble analyse de la situation, du contexte et de la dynamique à la Chambre. C'est une habitude qu'on constate chez nos collègues du gouvernement libéral et chez le secrétaire parlementaire. C'est l'habitude des libéraux de vouloir gérer, contrôler, dominer et superviser les élus de cette très honorable Chambre démocratique.
Il serait intéressant de lire la définition de « gérer ». Gérer veut dire administrer. Administrer quoi? Je lis à partir du Petit Robert 2006, car c'est quand même d'actualité: « Gérer veut dire administrer les intérêts et les affaires d'un autre ».
Personne d'autre que moi n'a à gérer mes intérêts à la Chambre. La raison pour laquelle j'ai lu la définition du mot « gérer », c'est pour s'y référer lorsqu'on lira le document de discussion présenté par la leader du gouvernement à la Chambre des communes et qui s'intitule « La Réforme du Règlement de la Chambre des communes ». Je vous invite à aller voir à la page 2 ou il est écrit:
Donc, les réformes proposées comportent trois volets correspondant aux aspects susmentionnés. Ces trois volets sont les suivants: 1) la gestion de la Chambre et de ses séances; 2) la gestion du débat; et 3) la gestion des comités.
La gestion, c'est le fait de gérer. C'est quand même incroyable qu'aucun professionnel travaillant au sein du gouvernement n'a dit à la leader à la Chambre de ne pas mettre ces mots dans le document. Ce sont des mots qu'on ne devrait pas y retrouver, comme bien d'autres mots d'ailleurs. Je vais en parler plus tard.
Le gouvernement n'a pas à gérer la Chambre, le gouvernement gère les affaires de l'État et il gère le Canada. C'est bien. Le gouvernement a la tâche de gérer les intérêts des Canadiens, mais il n'a pas la tâche de gérer la Chambre des communes. Pourtant, c'est ce qu'on dit ici, dans le document sur la réforme du Règlement de la Chambre présenté par la leader du gouvernement à la Chambre des communes.
Si on se rapporte à la Constitution canadienne — c'est ma bible, je m'y réfère constamment, bien que j'aime la Bible aussi —, et qu'on examine la partie concernant les pouvoirs législatifs, on constate qu'on y parle de privilège. Le mot « privilège » se retrouve dans la Constitution canadienne, dans la partie de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Pourtant, si on consulte la partie qui parle de la Chambre des communes comme telle, on n'y retrouve nulle part le mot « gérer ».
De toute évidence, jamais les Pères de la Confédération n'ont prévu, anticipé ou mis en avant l'idée selon laquelle le gouvernement ou les députés devraient gérer la Chambre. Bien au contraire, l'accent est mis sur la question des privilèges.
Regardons ce que le gouvernement fait avec sa proposition de réforme qui, en fait, est à la base de tout le débat actuel, bien que l'on soit rendu à l'amendement à une motion d'une question de privilège d'une question de privilège. Comme je l'ai déjà dit, je ne referai pas l'historique en entier, puisque cela a été très bien par mon collègue de Sherwood Park—Fort Saskatchewan.
En fait, le débat porte sur la frustration actuelle des députés de l'opposition devant une tentative éhontée du gouvernement libéral, et surtout du premier ministre, de vouloir rabaisser de manière substantielle et importante le droit de parole, le droit de vote et le droit de tous les députés d'agir comme bon leur semble à la Chambre. C'est difficile de savoir ce que veut faire le gouvernement exactement. Comme je ne veux pas lui prêter de mauvaises intentions, je vais laisser chacun penser librement. Toutefois, une chose est certaine, l'argumentation discursive du gouvernement a des failles à bien des égards.
Par exemple, beaucoup de choses m'ont dérangé dans le document de discussion sur la réforme du Règlement de la Chambre des communes. À la première page, on peut lire que le Parlement « devrait s’adapter pour mieux rendre des comptes, être plus transparent et pertinent. » En aucun cas, les Pères des la Confédération, les conventions constitutionnelles ou les conventions parlementaires n'ont demandé à la Chambre d'être pertinente. La seule pertinence importante pour tous les députés et pour tous les Canadiens, ce sont les élections qui ont lieu tous les quatre ans, selon la nouvelle loi. La seule pertinence importante, c'est le résultat des élections qui, par la suite, se traduit par la division des forces politiques à la Chambre des communes. Il n'y a pas d'autre pertinence à aller chercher au sein de la Chambre, mise à part la représentation des citoyens et la représentation des différents intérêts et des différentes forces politiques de la société canadienne.
Dans le deuxième paragraphe, on peut lire que les réformes sont faites « de manière à ce que le juste désir de la minorité d’être entendue soit en équilibre avec le devoir de la majorité de donner suite à ses intentions législatives. » C'est incroyable! Que la minorité politique soit entendue n'est pas un désir, c'est un droit. Je trouve incroyable de lire de tels mots dans un texte qui provient du gouvernement canadien. Est-ce une dissertation d'un étudiant de cégep ou est-ce un document du gouvernement? On peut vraiment se poser la question.
Au troisième paragraphe, il est dit qu'on devrait rendre les débats efficaces pour qu'ils soient d'une durée raisonnable. Saint-Bon-Dieu! Aujourd'hui, je parlerai pendant 20 minutes, alors que, la plupart du temps, mon temps de parole est de 10 minutes. C'est déjà déraisonnable, parce que ce n'est pas beaucoup.
À mon bureau, j'ai un livre que j'affectionne intitulé Débats sur la fondation du Canada. À la Chambre, nos ancêtres parlaient pendant deux, trois, quatre ou cinq heures. Ils parlaient toute la nuit. Aujourd'hui, nous parlons 10 ou 20 minutes, et on nous dit que ce n'est pas raisonnable. C'est incroyable de retrouver de telles lignes dans un document du gouvernement.
Le document indique aussi qu'il est temps « de réévaluer le rôle des députés et d’étudier comment ils pourraient influer davantage sur le processus législatif. » Ce n'est pas facile de faire avancer de telles réformes. À ce sujet, j'ai deux solutions très simples à proposer au gouvernement, et je le dis très sérieusement.
J'ai deux solutions très simples à proposer au gouvernement, et je suis convaincu qu'elles seraient appuyées. En tout cas, pour ma part, je m'en ferai l'apôtre toute ma vie. Si on veut vraiment redonner du vrai pouvoir législatif à tous les députés à la Chambre des communes, il y a deux choses à faire. Tout d'abord, il faut abolir le Cabinet du premier ministre, qui n'existait pas avant les années 1970. Même avant les années 1970, plusieurs premiers ministres étaient à la fois premiers ministres et ministres des Affaires étrangères. Ils étaient capables de faire tout cela sans les 700 employés du Cabinet du premier ministre. Je sais ce que je dis, puisque j'ai moi-même été stagiaire au Cabinet du premier ministre, qui compte environ 200 employés partisans et 500 fonctionnaires.
Ensuite, il faudrait mettre fin à la discipline de parti. En Angleterre, cela n'existe pas. C'est cela le vrai système parlementaire de Westminster. Le concept de la majorité et de la minorité est en réalité illusoire. Dans un vrai système parlementaire de Westminster où il y a une majorité et une minorité, la majorité est complètement mouvante, à tout moment et lors de tout vote. En Angleterre, c'est ainsi.
Un vrai premier ministre, dans un parlementarisme britannique, doit avoir la fierté, la conviction et la force de convaincre tous les députés de la Chambre des communes d'être de son côté. En Angleterre, David Cameron a perdu je ne sais combien de votes. Parfois, 80 de ses collègues conservateurs ne votaient pas comme lui, mais il l'emportait tout de même parce que des libéraux démocratiques ainsi que des gens du Parti des travailleurs votaient comme lui. C'est cela la force d'une vraie majorité parlementaire: elle est mouvante.
Alors, pour redonner du pouvoir aux députés, il suffit d'abolir le Cabinet du premier ministre et de mettre fin à la discipline de parti. Ainsi, le premier ministre ferait preuve d'une audace incroyable et serait reconnu pendant des millénaires au pays.
À la page 4, le gouvernement dit que les réformes apporteraient une souplesse qui « aurait évidemment l'avantage de dissiper l'acrimonie qui précède l'ajournement des travaux pour l'été ou l'hiver. »
Encore une fois, lorsqu'on connaît le fonctionnement du constitutionnalisme libéral selon un système parlementaire de Westminster, l'acrimonie est bienvenue. L'acrimonie politique est voulue par nos pères fondateurs. Aux États-Unis, c'est le système des poids et contrepoids, parce que là-bas, la division des pouvoirs est stricte et étanche. Ici, la division des pouvoirs est non stricte et non étanche. Vous le savez plus que moi, monsieur le Président, avec toutes vos années de service en cette très grande Chambre.
Non seulement l'acrimonie sert-elle donc de poids et de contrepoids à la Chambre, mais les textes écrits par les politologues Baker, Morton et Knopff, de l'Université de Calgary, et Manfredi, de l'Université McGill, à Montréal, nous apprennent également qu'il existe une acrimonie entre les trois pouvoirs, c'est-à-dire l'exécutif, le législatif et le judiciaire, qui nous permet d'arriver à la meilleure solution pour les Canadiens après la tenue d'un débat houleux et très fort.
Je rappelle que la réforme gouvernementale qui est à l'origine de la question de privilège dont il est question aujourd'hui et qui a fait l'objet de deux motions de privilège subséquentes vise à nous enlever nos droits en tant que députés de l'opposition. Si les libéraux veulent vraiment augmenter le pouvoir législatif des députés, ils n'ont qu'à abolir le Cabinet du premier ministre, ce qui serait très bien, et à mettre fin à la discipline de parti.