Madame la Présidente, j'aimerais revenir à la question de l'éducation du public dont j'étais en train de discuter avant le début de la période des questions. Au risque de me répéter, je dirais, pour ceux qui viennent de commencer à écouter le débat, qu'il s'agit de reconnaître l'échec des libéraux à vraiment travailler avec les provinces pour s'assurer que celles-ci ont les ressources et le temps de planification nécessaires pour la mise en oeuvre des programmes d'éducation du public. Ces programmes sont tellement importants, non seulement concernant la consommation en tant que telle, mais aussi, comme on le mentionnait, en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies.
Je vais passer à autre chose pour l'instant. Toutefois, avant d'aller plus loin, je pense qu'il est très important de reconnaître une chose, malgré certains commentaires que j'ai entendus ce matin pendant le débat, et qui ont presque insinué le contraire: tous les députés à la Chambre, peu importe leur tendance politique ou la couleur du parti, sont tous d'accord pour dire que la conduite avec facultés affaiblies, que ce soit à cause de la drogue ou de l'alcool, est un fléau. Nous voulons l'éradiquer. Il n'y a aucun doute là-dessus.
Comme pour la maladie, ces tragédies ne font aucune discrimination. Il y a des gens, tous partis confondus, qui ont vécu ou qui connaissent des gens qui ont vécu les conséquences horribles de l'erreur tragique que quelqu'un a pu commettre en prenant le volant avec les facultés affaiblies. Il est important de reconnaître cela, parce que nous pouvons avoir un désaccord sur les moyens à prendre, d'une part, pour composer avec cette nouvelle réalité qu'est la légalisation de la marijuana et, d'autre part, pour nous assurer que nos routes sont sécuritaires.
L'un des grands enjeux de ce projet de loi est cette notion d'arrêts et de contrôles obligatoires. Ce sujet a été abordé dans le cadre des audiences du comité de la sécurité publique concernant un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par un député conservateur qui souhaitait atteindre un objectif très semblable. Rien dans la vie n'est aléatoire, en particulier — et malheureusement — dans le cas de certaines activités policières.
Un contrôle aléatoire obligatoire augmenterait singulièrement les risques qu'on cible plus particulièrement des personnes d'une origine socioéconomique précise, autrement dit qu'on pratique le profilage. Les néo-démocrates ne peuvent accepter qu'une telle chose se produise. Je sais que le chef de mon parti, Jagmeet Singh, accorde une grande importance à cet enjeu, qui était au coeur de sa campagne au leadership, mais qui se retrouve également au coeur du travail qu'il souhaite maintenant accomplir en tant que chef du Nouveau Parti démocratique. Il a déjà dit, avec beaucoup plus d'éloquence que moi, qu'en tant que personne de couleur, il a déjà été victime de profilage.
Lorsque nous mettons en place des lois pour assurer la sécurité publique, il faut toujours veiller à le faire sans discriminer injustement certains segments de la population. Ce n'est pas une information nouvelle. C'est une opinion qu'ont exprimée des spécialistes aux membres du comité de la sécurité publique — même si ce n'était pas précisément dans le cadre de l'étude de ce projet de loi. Par ailleurs, ce commentaire a été formulé par divers membres de la société civile, notamment l'Association canadienne des libertés civiles. Il a aussi été émis lorsque d'autres projets de loi ont été déposés, qu'il s'agisse de projets de loi d'initiative parlementaire ou de mesures législatives du gouvernement conservateur qui ont fait l'objet de discussions pendant la législature précédente.
Lorsque cette approche est adoptée, il faut éviter d'augmenter le risque que se pose un problème qui, soyons honnêtes, existe déjà. Je parle ici du profilage racial. C'est une de nos préoccupations.
Une autre de nos préoccupations concerne le taux de concentration de THC qu'on doit retrouver dans le sang d'un conducteur pour que l'on constate une infraction. Le projet de loi est quasi muet sur cette question, et c'est extrêmement préoccupant. Comment peut-on déterminer réellement si une personne a commis une infraction — un acte criminel, dans ce cas-ci — si la loi ne précise pas quelle quantité précise de THC doit être détectée dans son sang? C'est extrêmement préoccupant.
Aux États-Unis, l'approche des États qui ont légalisé la marijuana varie entre eux. Par exemple, le Colorado et l'État de Washington ont fixé un taux de concentration de THC qui doit être retrouvé dans le sang pour constater une infraction routière ou criminelle. Dans l'État de l'Oregon, où on a aussi légalisé la marijuana, on a décidé d'être plus flexible et de considérer l'utilisation du même test employé pour les conducteurs soupçonnés d'avoir les facultés affaiblies par l'alcool, soit un test basé sur les repères visuels.
Par ailleurs, le problème que pose l'absence d'un taux fixe est exacerbé par le manque de formation de nos policiers. Je ne dis pas cela pour insulter les hommes et les femmes en uniforme. Ce sont eux-mêmes qui le disent. Cela démontre encore une fois que les libéraux ont raté la cible en matière de planification. Même si, en principe, nous appuyons le plan de légalisation de la marijuana, nous aurions cru évident qu'une consultation beaucoup plus étoffée que celle qu'on a menée auprès des services policiers était nécessaire. On aurait dû constater que les policiers avaient besoin d'une formation additionnelle pour qu'ils apprennent à reconnaître, par exemple, les symptômes d'une personne qui conduit avec les facultés affaiblies par la marijuana, et à bien manipuler les outils technologiques qu'ils devront utiliser pour faire ces tests. On aurait dû s'asseoir avec eux pour fixer un taux sanguin de THC, qui n'est pas fixé par ce projet de loi. Ce sont des choses qu'on aurait pu faire avec la police.
Pour revenir à une question qui a été posée par un député conservateur, on pourrait aussi considérer qu'il y a trop d'intervenants. Dans certaines grandes villes, il y a la police municipale. Au Québec et en Ontario, il y a la police provinciale, c'est-à-dire la Sûreté du Québec et la Police provinciale de l'Ontario. Ailleurs, il y a des services policiers dans les grandes centres, et bien sûr, dans d'autres provinces, la Gendarmerie royale du Canada dessert des régions plus éloignées.
Je ne suis pas en train de remettre en question la hiérarchie et la division des pouvoirs au sein des différents corps policiers du Canada, mais on constate qu'il y a beaucoup d'intervenants à la table. Plusieurs personnes qui ont un mot à dire doivent être consultées et considèrent qu'il y a énormément de travail à faire, chose qui n'a pas été faite jusqu'à présent.
L'importance de cette formation a été soulevée en comité. De plus, la formation des agents de police pour reconnaître les symptômes et utiliser les technologies compte deux volets. Elle est manifestement essentielle pour que les policiers puissent bien faire leur travail et assurer la sécurité publique. Il va sans dire qu'ils doivent être en mesure de déterminer les personnes qui conduisent sous l'influence de l'alcool ou la drogue. Cependant, ils doivent aussi reconnaître celles qui ne conduisent pas sous l'influence de l'alcool ou la drogue, celles qui n'ont pas atteint la limite permise de ce qu'elles peuvent boire ou fumer, selon la substance consommée. C'est non seulement une question de sécurité publique, mais aussi de protection et de respect des droits des Canadiens — ce que les agents de police sont prêts à faire, mais ils ont besoin de la formation appropriée, comme l'ont mentionné les représentants de l'Association canadienne des chefs de police.
Le même raisonnement vaut pour la technologie. Les experts confirment ce que l'expérience des autres pays nous apprend: on ne connaît pas avec certitude l'efficacité de certains outils servant à mesurer les facultés physiques d'une personne, et c'est particulièrement vrai dans le cas de la marijuana. Le meilleur exemple est sans doute celui que nous avons entendu un peu partout, que ce soit au comité, ici ou dans la société en général, à savoir la période durant laquelle l'organisme peut contenir des traces de marijuana. Eh bien, on peut trouver des traces de THC dans le sang d'une personne pendant des jours, voire des semaines.
J'ai bien du mal à concevoir qu'une personne qui consommerait de la marijuana à des fins récréatives de manière tout à fait légale, dans l'intimité de son foyer, et qui agirait de manière responsable et sauverait des vies en ne prenant pas le volant, puisse se faire pincer quelques jours plus tard, en se rendant au travail, avec un faux positif, même si elle n'est plus intoxiquée, qu'elle a toutes ses facultés, mentales et physiques, et qu'elle peut tout à fait conduire sans mettre la vie de qui que ce soit en danger. C'est grave, comme problème, surtout si on y ajoute les risques de profilage qui peuvent survenir lors des contrôles aléatoires obligatoires. Cette question nous inquiète profondément.
J'ai entendu la ministre de la Justice en parler ce matin, lorsqu'elle disait qu'on ferait une évaluation robuste des différentes technologies et que la police serait amplement informée et participerait au processus. Le problème, c'est que tout cela arrive très rapidement, et encore une fois, sans qu'on ait fait les consultations nécessaires, ce qui nous laisse très préoccupés par l'efficacité de l'utilisation de ces technologies pour assurer la viabilité des tests.
Par exemple, après avoir donné un échantillon buccal, une personne pourrait se rendre au poste de police et devoir se soumettre à une prise de sang. On parle donc de plusieurs types de tests, ce qui démontre une inefficacité et une incertitude par rapport à ces échantillons que nous prenons pour déterminer dans quel état se trouve un conducteur et le taux de concentration de différentes substances dans son sang. Cette grave préoccupation a été soulevée par plusieurs experts et on est loin de la résoudre.
Comme je l'ai dit en anglais, cela est étroitement lié à nos préoccupations concernant le profilage. Si on arrête un individu qui aurait consommé une substance à un moment antérieur extrêmement éloigné par rapport aux critères proposés, même s'il est un citoyen responsable, il pourrait se faire prendre et subir des conséquences très graves sur sa vie. Il pourrait avoir un casier judiciaire et même passer du temps en prison. Cela pourrait même entraîner des procédures judiciaires extrêmement compliquées qui ont une incidence sur le système judiciaire.
Au Québec, avec l'arrêt Jordan et le manque de juges, plusieurs procès concernant des cas de violence et de meurtre ont été jetés à la poubelle, si je peux m'exprimer ainsi, à cause des délais dans le système judiciaire. On peut tracer un lien entre cette réalité et les contestations qui pourraient découler de ce projet de loi, et on doit en tenir compte.
Les conservateurs parlent beaucoup des peines minimales obligatoires, une politique publique qui s'est avérée un échec autant sous leur gouverne, ici, au Canada, qu'ailleurs dans le monde. Le fait d'enlever à un juge le pouvoir discrétionnaire d'utiliser son jugement au cas par cas, soit la raison pour laquelle il a été nommé, ne s'inscrit pas dans les valeurs que nous prônons dans notre système judiciaire et que nous voulons véhiculer en tant que législateurs. L'idée des peines minimales obligatoires va totalement à l'encontre de ces principes.
Si j'en parle, c'est parce que les conservateurs évoquent cet argument, et si je comprends bien, c'est l'une des raisons pour lesquelles ils s'opposent au projet de loi C-46. Toutefois, un projet de loi sur les alcootests aléatoires a été proposé par un député conservateur. Au Comité permanent de la sécurité publique et nationale, nous avons entendu non seulement des juristes, mais aussi des psychologues, qui nous ont expliqué la façon de penser d'un individu qui prend la décision insensée de se retrouver derrière le volant en état d'ébriété, ce qui entraîne souvent des conséquences tragiques.
Ces experts nous ont informés de quelque chose de très intéressant. Ils nous ont expliqué que, pour les parlementaires, le principal dans ce dossier est de dissuader les gens. Cela doit être l'objectif, en effet. Si nous ne décourageons pas les gens, nous continuerons d'être aux prises avec les conséquences tragiques de la conduite avec facultés affaiblies. Si nous ne voulons pas vivre avec ces conséquences, nous devons prendre les devants et dissuader la population.
On soutient que les punitions sont une bonne forme de dissuasion. Toutefois, les experts affirment que ce n'est pas la gravité des peines qui décourage les gens de conduire avec les facultés affaiblies. Le plus important facteur dissuasif, c'est la probabilité de se faire prendre. Il faut investir dans les collectivités, dans les services de police et dans l'éducation. Cela nous permettrait d'enseigner à nos concitoyens que la conduite avec facultés affaiblies met non seulement leur propre vie en danger, mais celle des autres également. Voilà un point qui est extrêmement important. La dissuasion et la prévention sont les deux objectifs. Nous ne voulons pas que d'autres vies soient perdues en raison de la conduite avec facultés affaiblies.
C'est pour cela qu'on doit investir dans l'éducation. C'est pour cela qu'on doit s'assurer que nos corps policiers ont les ressources nécessaires pour faire, par exemple, les arrestations pendant le temps des Fêtes. Ce n'est pas partout qu'on est en mesure de le faire, parce que cela nécessite des ressources humaines et financières. Il suffit d'examiner les chiffres. On pourrait travailler en collaboration avec d'autres organismes et les appuyer, comme Opération Nez rouge, par exemple. On sait qu'en mettant en place ces mesures, on peut réduire cette statistique alarmante, ce fléau présent dans notre société, soit la conduite avec facultés affaiblies.
Je vais terminer mon discours en disant que nous allons nous opposer au projet de loi C-46 parce que, comme je l'ai dit, il y a des risques de profilage, parce que nous avons l'impression que les technologies sont peu fiables pour mesurer la concentration de THC dans le sang, et parce qu'il n'y a pas de chiffre clair quant à la concentration de THC qu'une personne doit avoir dans son sang pour être considérée comme coupable d'une infraction criminelle.
Je veux cependant être bien clair. Tout cela ne change rien au fait que peu importe le parti que nous représentons, nous convenons tous qu'il s'agit d'une situation alarmante qui doit être réglée.
Notre position, c'est de s'occuper de l'éducation et des ressources policières nécessaires pour éliminer une fois pour toutes ce fléau. Nous pouvons être tous d'accord là-dessus,.