Monsieur le Président, la motion de l'opposition devant nous aujourd'hui est tout simplement une réplique d'une motion adoptée au Comité de suivi de l'Afghanistan le 23 novembre dernier et qui demande au gouvernement de déposer un certain nombre de documents.
Je comprends que cette motion arrive devant la Chambre à ce stade-ci du débat parce que les députés du Comité de suivi de l'Afghanistan ont recours à tout ce qu'il faut pour essayer de faire leur enquête et, comme je vais le démontrer tout à l'heure, ils ont fait face à plusieurs obstacles. Je pense qu'une motion, approuvée par le Parlement canadien, ferait en sorte de mettre un peu plus de pression sur un gouvernement qui est très peu transparent — opaque, si on veut — et très isolé aussi.
Je veux justement aborder la question de la non-transparence et de l'isolement du gouvernement. Je pense que c'est important qu'on récapitule un peu les faits. Tout cela a commencé en 2005, 2006 et 2007, alors que les députés de l'opposition de cette Chambre posaient des questions au gouvernement concernant le traitement des détenus afghans. Quand je me réfère à cette période, vous comprendrez que je me réfère autant au régime libéral qu'au régime conservateur.
La réponse a toujours été qu'il n'y avait aucun problème, que les lois internationales s'appliquaient et qu'il n'y avait pas de torture. Au fur et à mesure que les années s'écoulaient, la gente journalistique faisait quand même des enquêtes très sérieuses, et elle disait le contraire.
C'est pourquoi on est obligés, aujourd'hui, d'aller au fond des choses, parce qu'il y a une certaine commission qui s'appelle la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire qui a décidé de faire une enquête complète sur la question. Ce qui s'est passé, c'est que la Commission a dû faire face — un peu comme le Comité de suivi de l'Afghanistan y fait face aujourd'hui — à des obstacles majeurs de la part du gouvernement: la non-divulgation de documents ou les documents censurés, l'intimidation de témoins, les bâillons aux témoins, et autres.
Ce qui s'est passé dans les faits, c'est que la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire à laquelle je fais référence a été obligée d'arrêter ses travaux parce que le gouvernement ne voulait pas que certains témoins comparaissent devant elle et ne voulait pas divulguer certains documents, à moins qu'ils ne soient complètement censurés.
Le Comité de suivi de l'Afghanistan a donc décidé de prendre la relève parce qu'on pense que c'est important. On a pris la relève et maintenant, au moment où on se parle, on fait face à peu près aux mêmes comportements, sauf que le gouvernement a beaucoup plus de difficulté parce qu'il doit faire face à l'opposition tous les jours à la période des questions.
Je parlais de la gente journalistique tout à l'heure. Elle est un excellent relais auprès de l'opinion publique et cela met une certaine pression sur le gouvernement pour évoluer. On n'est pas au bout de nos peines parce qu'on travaille tous les jours. J'étais dans le foyer avant mon allocution et la situation évoluait de minute en minute. On veut se dépêcher aussi parce que la fin de la session arrive. C'est important qu'on fasse la lumière. Si le gouvernement pense, avec la fermeture de la Chambre demain, qu'on va reporter cela à la fin du mois de janvier, il se trompe. On a un devoir et il faut aller au fond des choses.
Le gouvernement est non transparent et isolé parce qu'il a sa théorie et à peu près tout le monde a la théorie contraire. Tous les organismes internationaux, entre autres, qui sont en Afghanistan démontrent régulièrement qu'il y a de la torture. C'est assez concluant de ce côté.
Je voudrais rappeler que la Convention de Genève ne parle pas seulement de torture. Une des conditions pour remettre des prisonniers, c'est qu'il n'y ait pas de torture. Cependant, il y a aussi une autre condition, celle d'éviter le risque de torture. On peut, d'ores et déjà, dire que tout le monde reconnaît, sauf le gouvernement, qu'il y a risque de torture et qu'il y a aussi de la torture. Le chef d'état-major, le général Natynczyk, est venu confirmer hier que, effectivement, il y avait eu un cas de torture.
Nous sommes profondément convaincus qu'il y en a davantage et que nous, ainsi que la population canadienne et québécoise, faisons face à une immense opération de camouflage. Je pense que le gouvernement va éventuellement en payer le prix politique. Aujourd'hui, c'est un peu la motion du 23 novembre que nous avons devant nous.
Je vais maintenant décrire les obstacles auxquels fait face le Comité de suivi de l'Afghanistan.
Le comité a demandé une série de six documents, et on a demandé un délai pour les produire au comité. C'était le 2 décembre. En date d'aujourd'hui, nous n'avons reçu que deux documents sur les six que nous avions demandés. De plus, ces deux documents sont hautement censurés. Je ne peux pas brandir les documents ici à la Chambre, mais ces rapports sont issus de la première série. Ces documents avaient été déposés lors du témoignage de M. Colvin. Or des pages entières sont complètement noircies.
J'ai d'ailleurs dit au ministre de la Défense nationale, lorsqu'il est venu témoigner devant le Comité permanent de la défense nationale, que ce genre de page ne devait pas prendre beaucoup de temps à traduire. En effet, une page noircie, ce n'est pas très long à traduire, et cela empêche les députés d'assumer leur grande responsabilité, qui est d'enquêter sur des allégations très sérieuses et sur des faits qu'on connaît grâce à la déclaration du chef d'état major hier.
La censure est donc extrême. Le gouvernement invoque toutes sortes de clauses de sécurité nationale et de dangers pour les soldats. Or les employés du gouvernement qui viennent témoigner ont accès, eux, aux documents qui ne sont pas censurés. On peut imaginer la situation: des gens devant nous ont eu accès à tous les documents, sans censure. Les généraux se vantent même d'avoir vu les documents. Ils insinuent que nous n'avons pas vu les documents parce que nous ne sommes que des députés, et qu'ils détiennent la vérité et que nous ne l'avons pas. C'est ce que cela voulait dire.
On ne peut donc pas accepter que des documents soient censurés à ce point. Comment peut-on interroger efficacement des témoins? Comment peut-on prendre pleinement connaissance de ce qui se passe vraiment si nous n'avons pas accès à ces documents, dont la divulgation est intentionnellement retardée? On retarde, et on retarde encore. C'est pour cette raison que j'ai cru bon, au départ, de dire que ce n'est pas parce que la Chambre ajournera demain que tout s'arrêtera jusqu'à la fin de janvier. Le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan discute de la possibilité de siéger pendant la période des Fêtes pour continuer de faire la lumière et d'aller au fond des choses.
Je reviens au rappel au Règlement de tout à l'heure parce qu'il m'apparaît important. Des collègues l'ont soulevé tout à l'heure à l'égard du ministre de la Justice. Le premier témoin à se présenter devant le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan était le juge-avocat général du gouvernement, le général Watkins. Ce qui s'était produit à la commission s'est également produit au Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. En effet, dès les premières questions, le général nous a dit qu'il avait un lien avec son client et qu'il ne pouvait donc pas révéler certaines choses. C'est à ce moment que cela a éclaté. Nous avons donc décidé de savoir quels étaient les droits des parlementaires comme nous, des députés, par rapport au droit légal d'un juge-avocat général qui défend la cause gouvernementale. Soit dit en passant, le client avec lequel il avait un lien privilégié était le gouvernement du Canada.
Nous avons invoqué des choses extrêmement importantes et je crois qu'il est important que j'en parle à nouveau. Nous, les députés, sommes les grands enquêteurs. Selon la Constitution, les députés sont les grands enquêteurs de la Chambre des communes. C'est nous qui décidons d'aller au fond des choses. Nous sommes élus. Nous avons la légitimité d'avoir été élus dans nos circonscriptions respectives. On a donc la responsabilité d'aller au fond des choses, dans nos dossiers respectifs, quand on croit que des éléments ne sont pas clairs. C'est cela, la démocratie parlementaire.
Dans la tradition britannique, le gouvernement est le défenseur qui sert à protéger le royaume, et nous nous trouvons au milieu de cela. Qui a le premier droit? Nous sommes d'avis que le droit parlementaire devrait primer. Le conseiller législatif de la Chambre des communes nous a dit qu'il faut interpréter les lois d'une manière qui respecte tous les aspects de la Constitution et que, de plus, lorsqu'une loi s'applique aux travaux parlementaires, la Chambre est la seule qui puisse décider de quelle manière la loi s'applique à elle.
C'est assez fort. Cela signifie que lorsqu'on arrive avec des dispositions comme l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada qui nous interdit de divulguer certaines questions pour des raisons de sécurité nationale, on peut remettre cela en cause, selon le conseiller législatif et selon nous.
Le conseiller législatif poursuit plus loin en disant ceci: « Si une loi devait permettre aux ministres et au gouvernement de dissimuler des renseignements au Parlement, cela donnerait au gouvernement la possibilité de se prévaloir de la loi pour se soustraire à son obligation de rendre compte à la Chambre, ce qui serait inconstitutionnel parce que contraire à ce principe fondamental de notre régime parlementaire. Du reste, l'obligation du gouvernement de rendre compte à la Chambre est un principe constitutionnel qui ne peut être écarté par une simple loi. »
Alors, pour nous, il est clair que lorsqu'un comité demande des documents et surtout quand il les demande non censurés, les documents fournis devraient être non censurés. Quand un comité demande des documents dans un délai décidé par une motion, les documents devraient nous être divulgués dans le délai prévu et non des semaines ou des jours plus tard. On est le 10 décembre aujourd'hui et l'ensemble de la série de documents dont je parlais tantôt devait être déposée avant le 2 décembre.
Selon nous, il doit y avoir prédominance du droit parlementaire, sinon c'est la démocratie qui ne fonctionne plus. Un gouvernement pourrait décider de ne pas divulguer des documents pour protéger ses ministres. D'ailleurs, ce sont les mots employés par le conseiller législatif lui-même et il serait inconstitutionnel de faire cela.
D'autre part, l'atteinte à l'immunité est de plus en plus évidente. L'immunité parlementaire, c'est la façon de fonctionner en démocratie pour ne pas être poursuivi à toutes les cinq minutes par des gens qui ont des intérêts différents des nôtres, qui sont de servir la population et la démocratie. Les responsables de grandes corporations peuvent diverger d'opinion avec nous. Si nous sommes restreints dans nos remarques à la Chambre et en comités, on ne rend pas service à la démocratie. C'est pour cela que le système a été construit ainsi et qu'il est fondé sur l'immunité. Ainsi, lorsque les témoins se présentent en comité, ils doivent pouvoir bénéficier d'une immunité et il doit y avoir une prédominance des lois du Parlement.
Qu'on écoute bien ce qu'a dit un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères à Richard Colvin avant qu'il vienne témoigner devant le comité. Je rappellerai que lorsque M. Colvin est venu témoigner devant le comité, on avait déjà demandé à l'avocat général qu'il aille consulter son client et qu'il nous remette son interprétation de notre prétention. Or, la réponse ne nous est pas parvenue, mais elle est parvenue aux témoins, et voici ce que disait le haut fonctionnaire du ministère des affaires étrangères:
« Comme le gouvernement du Canada ne partage pas l'avis du juriste sur l'effet des lois du Parlement sur les travaux parlementaires [...] »
On avait demandé expressément d'avoir la réaction de son client à l'avocat général et au lieu de nous la donner, il intimide un témoin avec cela.
Il poursuit en disant:
« [...] nous avons bon espoir qu'en tant que fonctionnaire [et il parle de Richard Colvin], vous vous comporterez conformément à l'interprétation du gouvernement. »
Cela signifie que si on demande à M. Colvin de se la fermer, de ne rien divulguer et de ne pas déposer ses documents, il doit se conformer à cela. Au diable le droit parlementaire!
« [...] Si le comité devait exprimer des préoccupations, qu'il soit prié de les communiquer à l'avocat du gouvernement. »
Cela s'appelle priver un témoin de son immunité et l'intimider parce que le gouvernement lui dit ce qu'il doit dire. C'est ce qui est dit à cet égard.
Comment peut-on aller de l'avant dans de telles conditions? C'est très clair qu'il y a eu intimidation d'un témoin et c'est très clair que le gouvernement veut empêcher les délibérations du comité à cet égard. Il y a donc atteinte à l'immunité et intimidation d'un témoin.
Finalement, avant que mon temps soit écoulé, je parlerai de la responsabilité ministérielle. Hier, trois témoins ont comparu devant le comité, soit le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Défense nationale et l'actuel whip en chef du gouvernement, qui était l'ancien ministre de la Défense nationale. ils nous ont expliqué en long et en large que la sécurité nationale était importante tout comme l'était la Loi sur la preuve au Canada.
Pour ce qui est des retards de divulgation, ils disent qu'ils n'en sont pas responsables et que ce sont souvent des fonctionnaires qui sont chargés des dossiers. Ils mettent aussi en cause le bilinguisme en disant que la traduction des documents prend du temps.
Depuis 16 ans que je siège à la Chambre, j'entends toujours la même chose. La meilleure façon de retarder les travaux d'un comité est de dire que les documents ne sont pas prêts. C'est une responsabilité ministérielle. Or, que font ces trois ministres et le gouvernement? Ils se dégagent de leur responsabilité ministérielle et ils rejettent la faute sur tout le monde.
Quant à la censure, on nous dit que ce sont des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice — le ministre en a parlé tout à l'heure — qui déterminent si un document présente un danger pour la sécurité nationale. Ce sont eux qui décident de caviarder ou non un document.
Qu'advient-il alors de la responsabilité ministérielle? Je suis tanné d'entendre des ministres dire que ce n'est pas leur faute. Ils peuvent également dire que ce sont des fonctionnaires qui sont responsables, voire les Forces armées canadiennes.
Qui est responsable dans ce gouvernement? Quand on devient ministre, on a un devoir. C'est ça, une responsabilité ministérielle. Il faut être responsable et rendre des comptes à la population. On n'acceptera pas que les ministres se défilent de leur responsabilité première, qui est de dire exactement ce qui se passe aux citoyens du Québec et du Canada. C'est important.
Nous sommes tannés qu'on nous dise que ce ne sont pas eux qui ont intimidé des témoins, mais M. Shawn Barber, un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. Il me semble que c'est le ministre des Affaires étrangères qui est responsable en cas de faux pas d'un de ses fonctionnaires.
Nous sommes aussi fatigués de voir des ministres s'en prendre à ceux qui sont situés plus bas dans la hiérarchie. Ce n'est jamais la faute des ministres. Ils disent qu'ils n'ont pas vu tel ou tel document sous prétexte que le ministère de la Défense nationale reçoit des milliers de documents par jour.
Ce n'est pas ce que j'appelle assumer une responsabilité ministérielle. Ils faillissent à leur devoir de ministres s'ils ne sont pas professionnels et transparents, et ne se tiennent pas au courant de ce qui se passe dans leur ministère. Ce n'est pas vrai qu'un ministre qui vient de faire face à un barrage de questions retourne à son cabinet, s'assoit et dit qu'il ne faut pas s'énerver.
Quand on a une responsabilité ministérielle, on convoque son personnel et on lui demande ce qui se passe exactement. Si un ministre n'agit pas ainsi, il n'assume pas sa responsabilité ministérielle. Ce sont les ministres qui sont responsables de la crise actuelle. Ce n'est certainement pas l'opposition, qui essaie d'aller au fond des choses.
Les responsables, ce sont les ministres et le premier ministre. Il faut qu'ils soient à la hauteur des responsabilités qu'on leur confie et que la responsabilité ministérielle s'applique. C'est pour cela que nous sommes obligés de présenter une motion à la Chambre afin d'avoir accès à des documents.
Ils refusent que la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire et le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan aient accès aux documents. Vont-ils pousser l'odieux jusqu'à refuser les documents au Parlement canadien?
Il faut rappeler à ce gouvernement qu'il est minoritaire, et non majoritaire. Cela veut dire qu'aujourd'hui, il y a beaucoup plus de gens qui font confiance à l'opposition qu'au gouvernement. Si le gouvernement ne veut pas voir la triste réalité en face, tant pis pour lui. Pour notre part, nous ne renoncerons certainement pas au rôle qui nous a été confié, celui d'aller au fond des choses devant une situation semblable.
On a envoyé une mise en demeure à un témoin pour le faire taire. Le ministre peut bien dire que ce n'est pas lui qui l'a envoyée, mais un avocat du ministère de la Justice. De même, le ministre des Affaires étrangères peut bien dire que c'est un haut fonctionnaire de son ministère qui a posé un geste donné. Il n'en demeure pas moins qu'ultimement, c'est le ministre qui est responsable.
Sans surprise, nous allons appuyer la motion de l'opposition qui est devant nous aujourd'hui. Cela ne s'arrêtera pas là. Je veux que le gouvernement sache qu'il fera face à des problèmes. Il peut ériger tous les obstacles qu'il veut, nous continuerons quand même à défendre la démocratie.
Selon la tradition britannique, nous sommes les grands enquêteurs, et lui, le défenseur du royaume. Qu'il défende le royaume, mais son château de cartes va s'écrouler tout à l'heure. C'est d'ailleurs déjà commencé.
Nous serons heureux d'appuyer la motion du Parti libéral.