Monsieur le Président, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-53, qui prévoit qu'on enferme les délinquants et qu'on jette la clé de leur cellule. Il s'agit de la Loi sur les peines de prison à vie purgées en entier. Cette mesure législative élimine toute possibilité de libération conditionnelle pour un grand nombre des crimes les plus graves, notamment pour de nombreuses formes de meurtre au premier degré et pour haute trahison.
L'objectif déclaré du projet de loi est de réduire le traumatisme subi par les familles des victimes en leur évitant des audiences inutiles à répétition. C'est un objectif louable, et il y a quelques semaines à peine, les libéraux ont appuyé une mesure législative visant le même objectif, le projet de loi C-587, Loi sur le respect dû aux familles des personnes assassinées et brutalisées. Les députés se rappelleront que ce projet de loi visait à faire passer de 25 à 40 ans le délai préalable à la libération conditionnelle pour une catégorie restreinte de crimes particulièrement violents.
Cependant, bien que nous approuvions l'objectif du projet de loi C-587, qui consiste à réduire le traumatisme des victimes, et l'approche qu'il adopte, nous n'appuierons pas la Loi sur les peines de prison à vie purgées en entier. Les libéraux sont disposés à envisager d'autres moyens de réduire le traumatisme des victimes. Par exemple, nous pourrions considérer de prolonger l'inadmissibilité à la libération conditionnelle au-delà de 25 ans pour certains crimes visés par le projet de loi C-53, tout comme nous avons appuyé l'imposition de périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle aux auteurs de plusieurs meurtres. Comme les députés le savent, grâce à ce changement, Travis Baumgartner s'est vu imposer une période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle de 40 ans pour le meurtre de trois de ses collègues dans une entreprise de véhicules blindés. Aussi grâce à cette mesure, la période d'inadmissibilité de Justin Bourque a été fixée à 75 ans pour le meurtre de trois agents de la GRC à Moncton.
Les crimes visés par le projet de loi C-53 sont odieux et c'est pourquoi la loi canadienne les punit sévèrement. Cependant, la principale raison pour laquelle nous n'appuierons pas ce projet de loi, c'est qu'il substituerait le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à la Commission des libérations conditionnelles. La nature du travail des ministres est de prendre des décisions politiques. Cette mesure est un retour en arrière et un affront à la primauté du droit. Elle est probablement inconstitutionnelle aussi. J'expliquerai pourquoi plus tard.
Examinons d'abord le contenu de la Loi sur les peines de prison à vie purgées en entier.
Le projet de loi C-53 modifierait le Code criminel pour prévoir une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour certains types de condamnations pour meurtre et pour les cas de haute trahison, pourvu que le délinquant soit âgé d'au moins 18 ans. Pour ce qui est des condamnations pour meurtre, il doit s'agir d'un meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré qui correspond aux circonstances suivantes: la victime est un agent de la paix, un membre du personnel correctionnel ou une personne travaillant dans une prison; la mort est causée par l’accusé au cours de la perpétration ou de la tentative de perpétration d'un détournement d’aéronef, de divers types d'agressions sexuelles, d'un enlèvement, d'une séquestration ou d'une prise d'otage, ou encore au cours de la perpétration ou de la tentative de perpétration d'une activité terroriste; ou bien le comportement de l’accusé associé à la perpétration de l’infraction est d’une nature si brutale que l’on ne peut s’empêcher de conclure qu’il y a peu de chance pour qu’à l’avenir ce comportement soit inhibé par les normes ordinaires de restriction du comportement.
Aux termes du projet de loi C-53, une condamnation pour haute trahison commanderait également l'imposition d'une peine d’emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle. Commet une haute trahison quiconque attaque la reine, fait la guerre au Canada ou aide un ennemi contre lequel les Forces canadiennes sont engagées dans des hostilités.
Le projet de loi C-53 créerait également un pouvoir judiciaire discrétionnaire permettant de fixer des peines d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour trois types de délinquants.
D'abord, les personnes reconnues coupables de meurtre au deuxième degré qui ont déjà été reconnues coupables de meurtre. Ensuite, les personnes reconnues coupables de meurtre au deuxième degré qui ont déjà été reconnues coupables de génocide, d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de guerre. Enfin, les personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré.
Un juge pourrait recourir au pouvoir judiciaire discrétionnaire, sur demande du poursuivant et compte tenu de l'âge et du caractère de l'accusé, de la nature de l'infraction et des circonstances de sa perpétration, ou sur la recommandation du jury.
En outre, le projet de loi C-53 modifierait la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Il permettrait à un délinquant purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle de présenter, après avoir purgé 35 ans de sa peine, une demande de libération sur décret au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, demande qui serait renvoyée au gouverneur en conseil. Si la demande était rejetée, le délinquant pourrait présenter une nouvelle demande après cinq ans. Le délinquant dont la demande de libération sur décret était acceptée serait assujetti au pouvoir de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, notamment en ce qui a trait à la cessation ou à la révocation de la libération sur décret et à l'imposition de conditions.
Comme je l'ai dit, les libéraux sont disposés à accepter 35 ou 40 années d'inadmissibilité pour les crimes visés dans ce projet de loi, comme nous l'avons indiqué lorsque nous avons appuyé le projet de loi C-587. Cette augmentation pourrait faire une différence notable pour les familles des victimes. Cependant, nous n'approuvons pas le choix proposé par le gouvernement en ce qui a trait à l'organe chargé de prendre les décisions après ce délai.
Outre les changements déjà mentionnés, le projet de loi C-53 modifierait la Loi sur la défense nationale. Il imposerait l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour les infractions suivantes: un manquement au devoir face à l'ennemi de la part d'un commandant, si celui-ci s'est conduit en traître; un manquement au devoir face à l'ennemi de la part de toute personne, si celle-ci s'est conduite en traître; une infraction relative à la sécurité si l'auteur de l'infraction s'est conduit en traître; la haute trahison; un meurtre du même type que ceux prévus dans les modifications au Code criminel.
Le projet de loi créerait aussi un pouvoir judiciaire discrétionnaire permettant au juge militaire d'imposer une peine d'emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle dans les mêmes circonstances que celles prévues au civil. De plus, le projet de loi C-53 modifierait la Loi sur le transfèrement international des délinquants afin d'autoriser l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle lorsque, de l'avis du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, des documents fournis par une entité étrangère démontrent que le délinquant aurait été déclaré coupable de l'une des infractions prévues au premier paragraphe, à l'exception de la disposition portant sur l'infraction de nature brutale.
Ce dernier changement m'apparaît particulièrement problématique, puisqu'il permettrait au ministre de la Sécurité publique d'imposer, sur la foi de preuves fournies par des entités étrangères, un emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. On risque alors que des preuves altérées ou inventées de toutes pièces mènent, au Canada, à un emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Des États affichant certains des pires systèmes de justice de la planète pourraient fournir des preuves considérées admissibles.
Il est important de comprendre comment les modifications proposées dans le projet de loi C-53 changeraient le statu quo. À l'heure actuelle, toutes les condamnations pour meurtres sont passibles d'une peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité. Le projet de loi C-53 propose de rendre les auteurs de certains types de meurtres inadmissibles à une libération conditionnelle; dans tous les cas, il s'agit déjà de meurtres au premier degré, pour lesquels la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle est de 25 ans. Une condamnation pour haute trahison serait passible d'un emprisonnement à perpétuité et de 25 ans d'inadmissibilité à la libération conditionnelle.
Pour les délinquants qui purgent une peine à perpétuité, la semi-liberté deviendrait possible après 22 ans, et la libération conditionnelle, après 25 ans. Sur demande, la Commission des libérations conditionnelles doit réexaminer tous les ans les demandes de semi-liberté refusées, et tous les deux ans les demandes de libération conditionnelle refusées.
Fait à noter: conformément à une loi adoptée en 2011 avec l'appui des libéraux, les délinquants peuvent se voir imposer des périodes d'inadmissibilité consécutives s'ils ont commis plusieurs meurtres. Comme je l'ai déjà dit, deux meurtriers ont ainsi été déclarés inadmissibles à la libération conditionnelle pour 40 ans et 75 ans respectivement.
Signalons aussi qu'en vertu de la loi actuelle, des délinquants peuvent être déclarés délinquants dangereux. Ils sont alors emprisonnés pour une période indéterminée, réévaluée de façon périodique.
J'aimerais également souligner que ce projet de loi donnerait au ministre de la Sécurité publique, un politicien élu, le pouvoir de libérer des détenus, un rôle qui revient actuellement à la Commission des libérations conditionnelles. Le ministre de la Sécurité publique, quel qu'il soit, risquerait d'être influencé par ses intérêts personnels, les demandes pressantes de ses électeurs, son parti, et surtout le premier ministre. Ces conflits d'intérêts pourraient jouer dans les décisions concernant la libération de détenus et ne pas servir les intérêts la justice.
Si les Canadiens y réfléchissent bien, je doute qu'ils soient d'accord pour que le premier ministre décide quels détenus seront libérés ou non. Ce rôle revient à la Commission des libérations conditionnelles, et à juste titre. Les impératifs politiques ne doivent aucunement influencer ces décisions. C'est d'ailleurs pour cette raison que les juges ne sont pas élus, au Canada.
Je me demande pourquoi le gouvernement considère que la Commission des libérations conditionnelles ne sait pas faire son travail. Lorsque nous avons entendu des témoignages à propos du projet de loi C-587, j'ai eu la chance d'interroger Suzanne Brisebois, de la Commission des libérations conditionnelles, au sujet des activités de la commission. Je lui ai posé la question suivante: « De qui relève la Commission des libérations conditionnelles du Canada? » Voici ce qu'elle a répondu:
La commission est un tribunal administratif indépendant. Les membres potentiels doivent se soumettre à un processus de sélection rigoureux dans le cadre d'un concours [...]
Nous sommes comptables envers la population canadienne. Ici encore, la protection du public canadien est notre grande priorité et fait partie de notre mandat.
J'ai également posé à Mme Brisebois la question suivante:
La commission est-elle moins bien équipée que les autres instances pour traiter les dossiers les plus graves? Pourriez-vous nous dire si elle est particulièrement mal équipée pour traiter ces dossiers?
Elle a répondu ce qui suit:
Nos commissaires suivent une formation rigoureuse lors de leur intégration, que ce soit au bureau national ou dans les régions. Ils sont informés au sujet des divers aspects de la loi, de nos politiques, de nos procédures, de l'évaluation du risque et des divers outils actuariels au cours d'une période de formation très rigoureuse.
On devrait laisser la Commission des libérations conditionnelles faire son travail. Le fait de remplacer les décisions de la commission par des décisions politiques de la part du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile représente un pas en arrière.
Les libéraux ont appuyé la disposition du projet de loi C-587 visant à porter à 40 ans la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle ainsi que les modifications proposées en 2011 pour permettre l'imposition de périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Fait important, dans les deux cas, les changements ont préservé le pouvoir discrétionnaire de la magistrature lorsqu'il s'agit de déterminer les peines au criminel, dans le respect de la Charte. Tout en permettant d'imposer des peines plus sévères, ces changements ont préservé la capacité des juges d'imposer des peines proportionnelles à la gravité des crimes.
Contrairement au projet de loi C-587, ce projet de loi limiterait le pouvoir discrétionnaire des juges d'une façon qui ouvrirait la voie à une contestation en vertu de la Charte. Comme je l'ai dit, nous sommes ouverts à l'idée d'accroître la période d'inadmissibilité, pourvu que ce soit la Commission des libérations conditionnelles qui prenne toutes les décisions une fois la période écoulée. Cette approche permettrait de préserver le pouvoir judiciaire des juges de manière à ce que les peines soient conformes aux droits constitutionnels.
J'aimerais d'ailleurs parler du fait que le gouvernement actuel n'a aucun respect pour la Constitution et, surtout, pour la Charte canadienne des droits et libertés.
Cette semaine, Amy Minsky, de Global News, a révélé que les conservateurs ont gaspillé près de 7 millions de dollars de l'argent des contribuables pour tenter, en vain, de défendre des mesures législatives et des pouvoirs exécutifs qui violent les droits des Canadiens. Ils ont notamment dépensé 1 million de dollars pour empêcher les réfugiés de bénéficier de soins de santé, près de 350 000 $ pour tenter de nommer un juge fédéral du Québec à la Cour suprême, et plus de 425 000 $ pour tenter de mettre fin aux activités d'un centre d'injection supervisée.
J'ai appris la semaine dernière, grâce à une question inscrite au Feuilleton, que le gouvernement conservateur a dépensé au moins 257 825,17 $ dans le cadre de l'affaire Ishaq parce que le gouvernement veut faire en sorte qu'une femme ne puisse pas porter le niqab au moment de prononcer le serment de citoyenneté. J'ai dit « au moins » parce que la cause est toujours en appel. Il n'y a vraisemblablement aucune chance que le gouvernement actuel gagne sa cause, mais il est clair qu'il veut semer la peur parmi les Canadiens et les diviser pour des raisons politiques. Je veux insister sur le montant consacré à l'affaire Ishaq: le gouvernement a dépensé plus de 257 000 $ pour qu'une femme ne puisse pas porter le niqab au moment de prononcer le serment de citoyenneté. Voilà un exemple flagrant d'une mauvaise utilisation de l'argent des contribuables.
Comme le savent les Canadiens, le gouvernement actuel méprise les tribunaux et encore plus la Charte. Nous nous souvenons tous des propos diffamatoires du premier ministre et du ministre de la Justice à l'endroit de la juge en chef de la Cour suprême. En tant qu'avocat, ils m'ont scandalisé; en tant que Canadien, ils m'ont profondément déçu.
Les députés se souviendront également d'avoir appris que le gouvernement actuel fait fi des avis constitutionnels de ses propres avocats. Les députés ne sont pas sans savoir qu'Edgar Schmidt, avocat au ministère de la Justice, a révélé aux Canadiens que le gouvernement actuel va de l'avant avec ses projets de loi même lorsqu'ils ont au mieux 5 % de chances d'être conformes à la Charte.
À titre de porte-parole libéral en matière de justice, je reproche souvent au gouvernement de vouloir constamment modifier le Code criminel sans affecter les ressources nécessaires pour prévenir les actes criminels. En général, les politiques du gouvernement sont vouées à l'inefficacité, car elles ne se fondent pas sur des données probantes.
Comme je l'ai dit lorsque je suis intervenu à propos du projet de loi C-587, je songe en particulier aux compressions comme celles que le gouvernement a récemment imposées aux cercles de soutien et de responsabilité, un groupe de réinsertion communautaire qui vise à faire assumer aux délinquants sexuels la responsabilité du mal qu'ils ont commis et qui les aide à réintégrer la société à la fin de leur peine. Il a été démontré que les cercles de soutien et de responsabilité réduisent le taux de récidive des délinquants sexuels d'entre 70 et 83 %. C'est un changement incroyable.
Selon une étude du gouvernement, chaque dollar investi dans le programme a permis à la société d'économiser 4,60 $. Sur une période de cinq ans, 240 crimes sexuels ont pu être évités. Pourtant, le gouvernement a décidé de mettre fin au financement du programme. Cette décision est extrêmement irresponsable et elle entraîne un risque réel et constant pour la sécurité publique.
Revenons au projet de loi C-53, la Loi sur les peines de prison à vie purgées en entier. Je tiens à rappeler que les libéraux appuient fortement l'objectif poursuivi, qui est de réduire le traumatisme que constituent pour les familles des victimes les audiences de libération conditionnelles inutiles et répétées. Je me rappelle le témoignage émouvant de deux membres de la famille de victimes que nous avons entendu au cours des audiences sur le projet de loi C-587. Ce sont ces témoignages qui nous ont fait appuyer le projet de loi C-587. L'objectif visé —réduire le traumatisme des familles des victimes— peut et devrait être atteint au moyen de changements différents de ceux qui sont prévus dans le projet de loi C-53.
La principale raison pour laquelle nous n'appuierons pas le projet de loi, c'est qu'il remplacera la Commission des libérations conditionnelles par des décisions à saveur politique du ministre de la Sécurité publique. C'est un pas en arrière et une atteinte à la primauté du droit. De plus, c'est probablement inconstitutionnel.
Je me demande si ces considérations expliquent pourquoi le gouvernement a présenté cette mesure législative si près de la fin de la session, alors qu'il est impossible qu'elle soit adoptée.