Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Tina Widowski, et je suis professeure en comportement et bien-être des animaux à l'Université de Guelph.
Cette semaine, vous avez beaucoup entendu parler de codes et de normes fondés sur la science. Je voudrais aujourd'hui expliquer le point de vue du scientifique et sa façon d'aborder la question.
Depuis 20 ans, je m'intéresse surtout au bien-être des porcs et de la volaille. Plus récemment, mes recherches ont été axées sur les poules pondeuses. J'ai eu l'occasion de siéger à trois comités scientifiques chargés des codes de pratiques, soit les codes concernant les porcs et la volaille élevée pour la chair. Je préside également le comité chargé des pondeuses, dont les travaux se déroulent en ce moment; je fais aussi partie du comité directeur chargé du Modèle d’évaluation des soins aux animaux. C'est le modèle en voie d'élaboration pour faire des contrôles dans les exploitations en s'appuyant sur des codes de pratiques.
Les préoccupations au sujet des animaux d’élevage ne sont pas chose nouvelle; elles ont commencé à se faire sentir il y a près de 50 ans au Royaume-Uni et, de nos jours, elles influent sur les méthodes de production et de commercialisation des oeufs, de la viande et du lait partout dans le monde. J'ai donné quelques détails sur l'évolution dans l'histoire. Je ne vais pas y revenir, mais vous pouvez consulter ce passage pour vous faire une idée de la façon dont l'intérêt pour la question s'est propagé dans le monde.
L'intérêt pour cette question atteint un niveau sans précédent au Canada et cette tendance ne devrait pas s’inverser de sitôt. Les éleveurs de bétail et de volaille font face à des défis; ils ont déjà investi et continueront d’investir dans les systèmes de logement, les pratiques d’élevage et les normes de soins qui tiennent compte des préoccupations des consommateurs et de la collectivité en général.
Si nous considérons les divers secteurs de l'élevage du bétail et de la volaille, nous pouvons cerner quelques grands sujets de préoccupation au sujet de l'élevage moderne. Pour le grand public, le problème probablement le plus visible est celui du logement des animaux qui restreint leurs mouvements ou leurs comportements. Les systèmes de confinement qui vous sont probablement les plus familiers sont les cases pour les truies et les batteries de cages pour les pondeuses. Il y a aussi les stalles entravées et les systèmes zéro-pâturage pour les vaches laitières
Un autre problème apparaît lorsqu'on s'intéresse au logement en groupe: l'espace alloué aux groupes d'animaux. Cela concerne bien des secteurs de l'élevage. M. Dungate y a fait allusion à propos des normes appliquées par les PPC.
Un troisième problème concerne les pratiques de gestion d'application courante dans les exploitations et pouvant causer de la douleur ou de la détresse. On observe ces pratiques dans un certain nombre de secteurs de l'élevage. Ce sont notamment les procédures chirurgicales pratiquées sans anesthésie ni analgésie, de même que le transport et l’abattage. Ce sont à peu près tous les secteurs de l'élevage du bétail et de la volaille qui sont touchés.
Ce sont toutes des questions très émotives, et les points de vue varient. Les scientifiques spécialisés dans le bien-être animal, comme moi, ont pour tâche d’utiliser des mesures objectives pour éclairer les décisions éthiques sur ce qui constitue une bonne qualité de vie pour les animaux d'élevage. Pour ce faire, nous utilisons un éventail de techniques scientifiques. Je les passe rapidement en revue.
Une approche consiste à évaluer la santé générale et le comportement des animaux. Nous vérifions leur état de santé et les taux de morbidité et de mortalité. En laboratoire, nous pouvons étudier la physiologie du stress qui nous renseigne sur les réactions à différents contextes et à différentes pratiques. Nous évaluons les expériences subjectives et les sentiments. Nos études de neurobiologie animale nous apprennent que les animaux ont en commun des émotions de base avec les humains. Certaines émotions nous aident à survivre. Nous étudions les états de détresse, comme la peur, la frustration et la douleur, et les états de plaisir comme la satisfaction et le confort. Nous combinons les mesures comportementales, physiologiques et neurobiologiques pour évaluer si et dans quelle mesure les animaux se trouvent dans ces états en réaction aux modes de logement ou à différentes pratiques.
Enfin, nous cernons des comportements précis que les animaux sont très motivés à adopter, puis nous essayons de voir comment le logement peut influer sur leur comportement et ce que nous pouvons faire pour améliorer leurs conditions de vie.
Les sujets dont se préoccupe le plus le grand public, en tout cas, touchent aux systèmes de logement comme les cages traditionnelles des pondeuses et les cases pour les truies. Il ne faut pas oublier que ces systèmes ont été mis au point pour améliorer les conditions de vie des animaux, notamment leur santé et leur hygiène, pour réduire les agressions et favoriser l’alimentation individuelle. Ils présentent également des avantages économiques pour les producteurs et les consommateurs.
Les recherches sur les expériences subjectives des animaux et leur comportement portent à conclure qu'il est possible d'apporter des améliorations aux systèmes. Toutefois, lorsque nous essayons d'adopter des systèmes de remplacement, le comportement et la santé de l'animal... il faut faire des compromis qui ont un effet sur le bien-être. Si nous donnons plus d'espace et de liberté de mouvement, nous augmentons aussi les risques d'agression, de blessures et de maladie. Le passage d'un système à un autre est une affaire très complexe.
Les systèmes de logement de remplacement peuvent également nécessiter des immobilisations plus importantes, entraîner des coûts de production plus élevés et avoir une incidence plus lourde sur l’environnement. L'équation est très compliquée.
Les scientifiques canadiens en bien-être animal travaillent à l’élaboration des systèmes de logement en groupe de la prochaine génération pour les truies et des systèmes de logement aménagés pour les pondeuses qui permettent d’améliorer véritablement le bien-être des animaux, qui sont acceptables, du point de vue éthique, pour les consommateurs et la collectivité dans son ensemble et qui sont économiquement réalistes pour les éleveurs et les consommateurs.
Nous évaluons aussi la douleur ressentie par les animaux pendant des procédures chirurgicales, comme la castration des porcelets, et nous travaillons à mettre au point des moyens d’atténuer la douleur. Au Canada, plusieurs groupes de recherche travaillent au transport des porcs, des bovins et des volailles. Nous évaluons les temps de transport et les distances — au Canada, elles sont les plus longues au monde — et nous examinons la conception et la ventilation des remorques afin d’améliorer le confort des animaux transportés par camion.
Les travaux des spécialistes du bien-être animal au Canada éclairent directement les décisions d’ordre public. Le processus actuel d’élaboration de codes de pratiques au Canada fait appel à des scientifiques, comme vous l'avez appris. D'abord, nous faisons un examen très rigoureux de nos travaux et de ceux qui se font dans le monde entier. Nous communiquons l'information au comité de développement conjoint. Nous ne faisons pas de recommandations; nous communiquons un savoir. Puis, le comité multipartite tient compte de l’information scientifique et des facteurs pratiques, économiques et autres pour élaborer des normes de soin acceptables au Canada. C'est une démarche qui se fait publiquement.
Le Canada est depuis toujours un chef de file dans la science du bien-être des animaux. Il a une excellente réputation en ce domaine. Il a des spécialistes de calibre international qui s’attaquent à des problèmes complexes et siègent à des comités consultatifs stratégiques nationaux et internationaux. On pense notamment aux scientifiques d’Agriculture Canada, au CRSNG, aux chaires de recherches de l’industrie et à la chaire de recherche du Canada sur la protection des animaux.
Nos travaux sont soutenus par des subventions de l'industrie débloquées au moyen de programmes provinciaux et fédéraux de financement. Les coupes pratiquées récemment dans le budget d’AAC ont entraîné la perte de quelques-uns des meilleurs chercheurs du Canada en bien-être des animaux, tant des scientifiques bien établis que des scientifiques jeunes et prometteurs. Ils ont tous contribué largement à l'élaboration de la politique. Et cela survient à un moment où il y a une demande accrue de normes de bien-être animal fondées sur la science.
La recherche sur le bien-être des animaux est essentielle à l’élaboration de normes en matière de soins aux animaux fondées sur des données probantes et à l'évolution de systèmes de logement bénéfiques pour les animaux. Par conséquent, il est essentiel que la recherche, l’industrie et la politique de bien-être animal continuent d’être soutenues par les gouvernements provinciaux et fédéral, de façon que les producteurs canadiens demeurent concurrentiels et pour assurer une approche équilibrée de l’établissement de normes en matière de soins des animaux d’élevage au Canada.
Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité. J'ai hâte d'entendre vos questions.