Monsieur le Président, je suis heureux d'intervenir aujourd'hui à propos du projet de loi S-9, Loi sur le terrorisme nucléaire, qui modifie le Code criminel pour donner suite aux obligations du Canada conformément à la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, que j'appellerai « convention pour la répression », et l’Amendement à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, que j'appellerai « amendement ».
Comme on l'a expliqué, la convention pour la suppression est un traité multilatéral. Elle vise à harmoniser la criminalisation des actes relatifs au terrorisme nucléaire dans tous les États parties. Malheureusement, le Canada n'a toujours par ratifié cette convention, bien que nous l'ayons signée en 2005. Je me réjouis que nous soyons enfin prêts à la ratifier, mais je regrette que cela ait pris autant de temps.
La Convention sur la protection physique des matières nucléaires, que le Canada a signée en 1980, crée des engagements juridiquement contraignants pour les États parties à l'égard de la protection physique des matières nucléaires et définit des mesures relatives à la prévention, à la détection et à la répression des infractions relatives aux matières nucléaires.
En 2005, le Canada, ainsi que 87 autres États parties à la convention initiale, se sont réunis pour en modifier et renforcer les dispositions. Lors de cette conférence, l'amendement a été adopté par consensus. Il commencera à entrer en vigueur sous peu, bien qu'il n'ait pas encore été ratifié par un nombre suffisant de signataires, y compris le Canada. Nous devons aller de l'avant à cet égard.
La convention pour la suppression et l'amendement sont des éléments fondamentaux de la stratégie de la communauté internationale pour prévenir et déceler les actes relatifs au terrorisme nucléaire. Par conséquent, le projet de loi S-9 constitue une mesure législative nécessaire à la mise en oeuvre de la convention pour la suppression et de l'amendement, et il renforcerait le régime international existant. Le projet de loi a été débattu à fond à la Chambre, étudié en profondeur par le comité et longuement débattu au Sénat. Il représente un pas dans la bonne direction dans ce dossier.
Qui plus est, la protection des installations et des matières nucléaires est prévue dans la loi nationale de mise en oeuvre. Il ne faut jamais oublier que cette protection s'inscrit dans le contexte de la menace globale que constitue la prolifération nucléaire croissante, notamment la prolifération des activités en Iran et en Corée du Nord. Le désarmement nucléaire est donc un impératif absolu et le Canada doit être au premier plan des efforts déployés pour y parvenir.
Comme les députés connaissent assez bien la mesure législative, et que le secrétaire parlementaire a déjà parlé de la teneur et de l'importance du projet de loi dans son discours, je me contenterai d'en faire une brève description.
Bien entendu, la prévention du terrorisme nucléaire et de la prolifération nucléaire exigera une action internationale coordonnée. Le Canada doit continuer de jouer un rôle de chef de file à cet égard.
Après quelques remarques préliminaires au sujet de la teneur du projet de loi, je m'arrêterai au problème qui vient d'être soulevé, celui de la prolifération nucléaire en Iran, qu'il faut considérer dans le contexte de la quadruple menace que ce pays représente. Cette question a fait l'objet d'un échange entre un intervenant précédent et le secrétaire parlementaire. Je vais en parler, moi aussi.
Permettez-moi de passer très rapidement en revue le contenu du projet de loi.
Premièrement, le projet de loi S-9 rend illégal le fait de fabriquer un engin ou de posséder, d'utiliser, de transférer, d'exporter, d'importer, de modifier ou de jeter toute matière nucléaire ou radioactive ou tout engin dans l’intention de causer la mort, des lésions corporelles graves ou des dommages considérables à des biens ou à l’environnement. Il rend également illégal le fait de commettre un acte contre une installation nucléaire ou un acte perturbant gravement ou paralysant son fonctionnement.
Deuxièmement, le projet de loi S-9 rend illégal le fait de commettre l'un de ces actes dans l’intention de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.
Troisièmement, le projet de loi S-9 rend illégal le fait de commettre un acte criminel dans l’intention d’obtenir une matière nucléaire ou radioactive ou d’obtenir l’accès à une installation nucléaire.
Ces trois infractions sont punissables de l'emprisonnement à perpétuité.
Quatrièmement, le projet de loi S-9 rend illégal et punissable d'une peine d'emprisonnement de 14 ans le fait de menacer de commettre l'une des infractions susmentionnées.
En outre, le projet de loi classe ces nouvelles infractions parmi les activités terroristes prévues à l'article 83.01 du Code criminel, de sorte que leur perpétration entraîne l'application d'autres dispositions du Code criminel concernant, par exemple, la surveillance électronique et le prélèvement d'ADN.
En outre, aux termes du projet de loi, ces nouvelles infractions seront assujetties au principe de compétence extraterritoriale. Autrement dit, les tribunaux canadiens auront juridiction sur les particuliers poursuivis pour ces infractions, même si ces dernières n'ont pas été commises au Canada. Ce sont des mesures pertinentes, car elles représentent une approche internationale coordonnée pour lutter contre le terrorisme nucléaire.
Si on en croit les débats qui ont déjà eu lieu ici et au Sénat, le projet de loi semble bénéficier d'un appui généralisé dans les deux Chambres.
Tous les députés reconnaissent qu'il est important d'appliquer les lois pénales et d'harmoniser, au niveau international, la criminalisation des actes de terrorisme nucléaire. C'est précisément pour cette raison que l'inaction qui a caractérisé les huit années écoulées depuis la signature des conventions en 2005 est particulièrement regrettable.
En février, il y a un mois à peine, ma collègue de St. Paul's a eu l'occasion de s'enquérir des raisons de cette inaction auprès du ministre de la Justice lorsque ce dernier a comparu devant le Comité de la justice et des droits de la personne. Je ne peux pas passer sous silence l'explication qu'il a fournie car elle témoigne de l'approche du gouvernement à l'égard de l'établissement des priorités législatives, qui sont généralement à l'envers.
Ma collègue de St. Paul's a posé une question très directe au ministre à ce sujet. Elle a demandé pourquoi le gouvernement avait attendu huit ans avant de présenter un projet de loi de mise en oeuvre, alors que tout le monde semblait être en faveur d'un tel projet de loi.
Le ministre a répondu qu'il avait été dissuadé de le présenter parce que l'opposition faisait planer la menace d'obstruction chaque fois qu'un projet de loi en matière de justice pénale est présenté à la Chambre. Voici ce que le ministre a déclaré au Comité de la justice au sujet de l'obstruction faite par les partis de l'opposition:
[...] il était très difficile de faire adopter quelque loi que ce soit en matière de justice pénale. J'ai présenté des dizaines de projets de loi à la Chambre et si l'un des trois partis ne s'y opposait pas, les partis de l'opposition cherchaient souvent à en discuter à n'en plus finir [...]
L'explication du ministre est en soi choquante puisqu'il laisse entendre qu'il est anormal que les partis de l'opposition veuillent débattre des mesures législatives à l'étude, surtout qu'il est question de mesures législatives importantes en matière de justice pénale, et surtout du fait que le durcissement de la répression de la criminalité est l'une des priorités du programme législatif du gouvernement.
Il est faux et, dans ce cas, c'est aussi une manoeuvre de diversion, d'assimiler un débat approfondi sur le programme du gouvernement en matière de justice criminelle à de l'obstruction et de dire, au sujet du projet de loi S-9, que c'est la raison pour laquelle le ministre n'a pas présenté de mesure législative de mise en oeuvre. J'affirme que, sur ces deux points, le gouvernement déforme la réalité, comme je le disais.
Premièrement, pour ce qui est du programme législatif du gouvernement, les députés ont la responsabilité de se pencher sur les mesures législatives proposées, de les approuver. Nous avons exercé notre responsabilité en matière de surveillance publique que ce soit quand nous avons demandé quels coûts le projet de loi C-10 allait engendrer ou tenté de débattre un projet de loi omnibus. En fait, nous n'aurions pas pu faire de l'obstruction puisqu'une motion d'attribution de temps a été présentée dans les deux cas.
Par ailleurs, quel est le rapport entre le débat sur le programme de répression de la criminalité du gouvernement et le fait d'avoir attendu huit ans pour présenter une mesure législative de mise en oeuvre? J'affirme que cela ne peut pas justifier le temps qu'il a fallu pour que ce projet de loi soit présenté?
Pour ce qui est de la menace nucléaire et, maintenant, de la situation en Iran, dont j'ai dit que je parlerais dans le cadre des questions et réponses, permettez-moi de dire ce que nous pensons de la situation de l'Iran de Khamenei aujourd'hui. Je parle de Khamenei parce que je tiens à faire la distinction entre son régime et la population iranienne, qui est la cible d'une répression à grande échelle.
À vrai dire, la réalité de l'Iran de Khamenei présente quatre menaces interreliées.
Il y a la menace nucléaire; celle de l'incitation au génocide; celle du terrorisme international — nous avons d'ailleurs des preuves que les Iraniens sont très actifs dans ce domaine, que, seulement en 2012, il y a eu 22 attentats sur les cinq continents et que, chaque fois, on pouvait remonter jusqu'au Hezbollah iranien; et il y a finalement la menace de la répression à l'intérieur du pays, qui n'en sera évidemment que plus élevée si jamais l'Iran devenait une puissance nucléaire. Toutes ces questions sont liées entre elles, parce que, si l'Iran devenait une puissance nucléaire, la menace de terrorisme international s'en trouvera exacerbée. La répression en sol iranien sera elle aussi plus intense, et je ne parle même pas du problème d'incitation au génocide, qui est indissociable de toute la question de la prolifération nucléaire.
Passons maintenant au rôle que le Canada pourrait jouer par rapport à cette quadruple menace iranienne. Je parle ici des négociations du P5+1 qui viennent de se conclure à Almaty, mais qui devraient reprendre un jour ou l'autre. Je tiens à saluer la position du gouvernement dans ce dossier ainsi que le ministre des Affaires étrangères pour l'avoir exposée comme il l'a fait dernièrement.
Je tiens à parler de certaines exigences qui devraient absolument faire partie de la position de négociation du P5+1 et à expliquer, notamment parce que c'est un Canadien qui est à la tête de l'Agence internationale de l'énergie atomique et qu'il y a un lien à faire avec les négociations du P5+1, en quoi nous pouvons influer sur les négociations et battre en brèche la position iranienne, qui est axée, selon notre ministre des Affaires étrangères sur les atermoiements, le déni et les mystifications et qui utilise en fait les négociations — et les intervalles entre celles-ci — pour remettre à plus tard les mesures qu'il doit prendre et accélérer son programme d'armement nucléaire, souvent même pendant que les négociations sont en cours.
Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique, depuis la dernière fois que j'ai parlé du projet de loi S-9 à la Chambre, l'Iran a donné un nouveau coup de barre à son programme nucléaire en installant des centrifugeuses de pointe. Tout est noir sur blanc dans le rapport de l'agence, alors je n'insisterai pas trop longtemps sur ce point, mais je dirai seulement que l'intensification de la capacité nucléaire iranienne rend de plus en plus plausible la possibilité que l'Iran devienne une puissance nucléaire, sans que nous puissions y faire quoi que ce soit, ni même nous en rendre compte.
Je terminerai en exposant la manière dont nous devrions aborder les négociations du P5+1.
Premièrement, l'Iran doit se plier à l'exigence absolue qu'est la suspension vérifiable de son programme d'enrichissement de l'uranium, de manière à ce que la communauté internationale puisse contrecarrer la stratégie iranienne qui consiste à gagner du temps, nier les faits et mystifier plutôt qu'à désarmer.
Deuxièmement, l'Iran doit expédier à l'étranger son stock d'uranium enrichi, car il y a encore plus d'uranium enrichi à un degré supérieur, pour qu'il soit traité, puis renvoyé en Iran, afin d'y être utilisé dans un programme nucléaire civil soumis à des inspections et à une surveillance adéquates. Nous n'avons aucune objection à l'égard des programmes nucléaires civils. À l'instar de tout autre pays, l'Iran a le droit d'avoir un programme nucléaire civil et de faire usage de l'uranium notamment pour les isotopes médicaux. Les objections que nous avons concernent le programme d'armement.
Troisièmement, l'Iran doit fermer et démanteler de manière vérifiable son usine d'enrichissement d'uranium de Fordo, qui est enfouie sous une montagne, près de Qom. Les Iraniens ont au départ nié l'existence de cette usine, mais la zone deviendra bientôt impénétrable à moins que l'usine ne soit effectivement démantelée. L'Iran a reporté l'inspection de ces installations et, à plus forte raison, de leur démantèlement.
Quatrièmement, l'Iran doit suspendre sa production d'eau lourde dans son usine d'Arak. On oublie parfois que l'eau est également essentielle pour produire le plutonium utilisé dans les programmes nucléaires. La Corée du Nord s'en sert pour fabriquer ses armes nucléaires. Autrement dit, l'acquisition de l'arme nucléaire peut ne pas se faire uniquement par l'enrichissement d'uranium. Même si la suspension de l'enrichissement d'uranium est nécessaire, elle ne permettra pas, à elle seule, de s'assurer que le programme d'armement nucléaire est bel et bien abandonné.
Cinquièmement, l'Iran doit permettre aux inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique d'avoir accès immédiatement et sans restriction à toute installation nucléaire suspecte, car l'Iran a signé le traité de non-prolifération des armes nucléaires. L'Iran a donc non seulement l'obligation de ne pas utiliser l'énergie nucléaire dans un but militaire, mais également l'obligation d'ouvrir ses installations nucléaires pour qu'elles puissent être inspectées.
Sixièmement, les autorités iraniennes doivent permettre à l'Agence internationale de l'énergie atomique d'avoir accès au complexe militaire près de Téhéran où l'Iran aurait, selon les observations, effectué des essais de puissants explosifs — je fais référence au complexe militaire de Parchin —, peut-être en même temps que le développement d'une arme nucléaire.
Enfin, l'Iran doit permettre à l'Agence internationale de l'énergie atomique — et je rappelle que le président de l'agence est Canadien — d'installer, sur ses centrifugeuses, des dispositifs permettant de surveiller les niveaux d'enrichissement de l'uranium.
Voilà le genre d'approche qui est axée sur des limites à ne pas dépasser et qui peut être mise en oeuvre avec la participation du Canada, de manière à combattre la prolifération et contribuer au soutien des négociations du P5+1, qui devraient reprendre le mois prochain.
J'aimerais aussi aborder la question de la menace d'incitation, car l'incitation au génocide sanctionnée par l'État est inextricablement liée au programme de prolifération nucléaire. En fait, un comité composé de représentants de tous les partis du Comité des affaires étrangères de la Chambre avait déjà déterminé en 2010, et je cite le rapport du comité, que l'Iran a déjà commis le crime d'incitation au génocide au mépris de l'interdiction qui figure dans la Convention sur le génocide. Ce même comité avait recommandé que les États signataires de la convention ont non pas l'option, mais l'obligation, d'entreprendre les recours judiciaires prévus par la Convention sur le génocide pour obliger l'Iran à rendre des comptes.
Malheureusement, au moment où je parle, aucun des États signataires de la Convention sur le génocide, que ce soit le Canada, les États-Unis ou un pays européen, n'a entrepris un seul de ces recours judiciaires, que je vais brièvement résumer dans ma conclusion. Je rappelle à tous les députés que ces conclusions sont tirées d'un rapport qui avait reçu l'accord de tous les partis.
Premièrement, le Canada pourrait compter parmi les pays qui décideraient de simplement soumettre la question de l'incitation au génocide sanctionnée par l'État -- dans le contexte de la Convention sur le génocide — au Conseil de sécurité des Nations Unies afin qu'il en délibère et oblige les contrevenants à rendre des comptes. C'est une initiative modeste. Nous pourrions certainement poser un tel geste.
Deuxièmement, le Canada pourrait présenter une plainte interétatique contre l'Iran à la Cour internationale de justice, puisque l'Iran, étant également signataire de la Convention sur le génocide, a violé ses propres engagements.
Troisièmement, le Canada pourrait demander au Conseil de sécurité des Nations Unies qu'il soumette la question de l'incitation au génocide sanctionnée par l'État à la Cour pénale internationale pour qu'elle fasse enquête et poursuive les dirigeants iraniens qui ont violé ce traité.
Finalement, j'aimerais parler des droits de la personne. Il faut sanctionner les dirigeants iraniens et leur demander de rendre des comptes non seulement au sujet du programme d'armement nucléaire, mais aussi de la répression massive qu'ils exercent contre le peuple iranien. Il faut également exiger des comptes de la part de ceux qui participent à la prolifération du terrorisme international.
Ces quatre menaces, soit la menace nucléaire, la menace de l'incitation au génocide, la menace du terrorisme international et les violations des droits de la personne, trouvent toutes leur expression dans l'Iran de Khamenei. Il faut trouver une approche globale à cette quadruple menace. Le gouvernement a d'ailleurs déjà identifié cette quadruple menace, qui est à l'origine de la fermeture de l'ambassade iranienne au Canada et de notre ambassade en Iran. Je suggère au gouvernement d'appliquer ces solutions judiciaires afin que le Canada s'acquitte de ses responsabilités internationales.