Merci beaucoup.
Bonjour à tous. Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité spécial sur les coopératives de la Chambre des communes, je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
Je m'appelle Franck Lowery et je suis premier vice-président, avocat principal et secrétaire du Groupe Co-operators limitée.
Un Canadien sur trois est membre d'une coopérative ou d'une caisse d'épargne et de crédit. Notre pays compte plus de 10 000 coopératives et caisses d'épargne et de crédit qui emploient plus de 150 000 personnes et ont un actif combiné d'environ 167 milliards de dollars.
Le Groupe Co-operators est l'une de ces entités coopératives.
Nous appartenons à 45 coopératives, centrales de caisses de crédit, fédérations de caisses populaires, organisations agricoles et regroupements semblables, totalisant 4,5 millions de membres au Canada. Fiers de notre place parmi les plus grandes organisations de notre secteur au pays, nous offrons de l'assurance et des services financiers à plus de 2 millions de Canadiens. Nous nous employons à être l'assureur de prédilection pour les coopératives et les caisses d'épargne et de crédit. Nous offrons toutefois nos services à l'ensemble des Canadiens.
À l'instar des nombreuses coopératives qui ont vu le jour pour répondre à différents besoins socioéconomiques, le Groupe Co-operators a été mis sur pied par un regroupement d'agriculteurs qui recherchaient une protection d'assurance que les marchés financiers privés ne voulaient pas leur offrir. Tout le chemin parcouru depuis nos origines modestes montre bien à quel point le modèle coopératif peut être une formule gagnante en matière d'entrepreneuriat.
Nos valeurs coopératives s'accompagnent nécessairement d'un engagement en faveur des collectivités où nous sommes présents par le truchement de l'emploi, de la philanthropie, du développement économique local et du développement coopératif. De nouvelles petites coopératives faisant leur apparition un peu partout au pays peuvent ainsi bénéficier de subventions dans le cadre de notre fonds pour le développement coopératif. En outre, nous investissons dans l'infrastructure nécessaire au développement de coopératives. L'an dernier seulement, nous avons remis plus de 650 000 $ en droits d'adhésion et cotisations à différentes associations coopératives canadiennes. Notre fondation caritative offre du soutien pour les projets durables de développement communautaire. Nous fournissons bénévolement nos services aux fins du développement coopératif, au Canada comme à l'étranger.
Notre présidente et chef de la direction, Kathy Bardswick, est cette année la représentante du Canada au sein de l'Alliance coopérative internationale (ACI), ce qui nous rend également très fiers.
Parlons maintenant du rôle des coopératives au Canada.
Nous sommes bien placés pour savoir que les coopératives contribuent au maintien du tissu social canadien et à la survie des collectivités, car elles sont mises sur pied pour répondre à des besoins communs à la faveur d'une gestion démocratique. Le modèle coopératif est la forme d'entrepreneuriat la mieux adaptée pour la réalisation des objectifs des politiques sociales et publiques. Le caractère particulier des entités coopératives s'est démarqué au cours de la crise économique des quatre dernières années alors qu'elles ont généralement pu se passer des mesures publiques de sauvetage qui ont permis la survie de nombreuses entreprises à capital-actions ou de propriété privée. Pendant que la confiance de la population à l'égard du secteur financier et des activités connexes était mise à rude épreuve, nous pouvions plus que jamais miser sur les valeurs éthiques qui sont à la base du mouvement coopératif. Comme toutes les autres entreprises, les coopératives ont besoin d'un cadre réglementaire efficient qui ne va pas à l'encontre des investissements et de la productivité. Elles ont toutefois également besoin d'un environnement tenant compte du caractère unique de leur nature coopérative.
J'aimerais surtout vous entretenir de la nécessité pour la Loi canadienne sur les coopératives de tenir compte de ce caractère unique du mouvement coopératif. Il convient de modifier cette loi si l'on souhaite que les coopératives soient plus nombreuses et obtiennent de meilleurs résultats. En l'absence des changements requis, on fera obstacle à l'émergence de différentes variétés de coopératives capables de contribuer de façon importante à la prospérité future de l'économie canadienne en offrant de bons emplois et de la stabilité. La Loi canadienne sur les coopératives doit mieux reconnaître la nature unique de l'entreprise coopérative.
En 1998, la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) a servi de guide à la modernisation de la Loi canadienne sur les coopératives. La LCSA régit les sociétés commerciales à capital-actions, plutôt que les organisations axées sur leurs membres ou leurs valeurs comme les mutuelles, les coopératives ou les associations d'assistance mutuelle.
Comme il se doit, certaines dispositions d'application logique pour les sociétés par actions ne le sont pas nécessairement pour des organisations coopératives s'intéressant d'abord et avant tout à leurs membres.
Toujours concernant la Loi canadienne sur les coopératives, il y a trois problèmes que je souhaite porter à votre attention. Il y a d'abord la question du principe coopératif. En vertu du paragraphe 18(2), une personne peut demander au tribunal de trancher si elle croit qu'une coopérative n'est pas organisée ou exploitée ou n'exerce pas ses activités commerciales selon le principe coopératif. Ce principe défini à l'article 7 de la loi est essentiellement conforme à l'énoncé d'identité coopérative qui guide toutes les organisations coopératives sous l'égide de l'ACI.
L'article 329 de la loi permet à un tribunal ayant compétence dans le secteur où la coopérative a son siège social d'ordonner la tenue d'une vaste enquête en ouvrant droit à toutes sortes de recours possibles. En vertu de l'alinéa 313(1)a), un tribunal peut ordonner la liquidation et la dissolution d'une coopérative s'il est d'avis qu'elle n'exerce plus ses activités selon le principe coopératif.
Je vous invite à réfléchir sérieusement au sens de ces dispositions. Ainsi, une personne qui n'apprécie pas les coopératives ou qui voudrait en faire fermer une pour un motif ou un autre a accès à un recours pouvant mener à la dissolution de la coopérative sans que ses membres aient leur mot à dire, ce qui va à l'encontre du processus démocratique constituant l'essence même du mouvement coopératif. L'intéressé soumet alors sa requête à un juge qui connaît généralement très peu les coopératives et les lois qui les régissent, et rend de ce fait sa décision en s'appuyant sur la jurisprudence et les principes applicables aux sociétés par actions.
Sans vouloir trop entrer dans les détails de cette situation particulière, disons tout de même qu'il s'agit d'un recours draconien qui, même s'il n'a pas encore été utilisé à ma connaissance, dissuade de nombreuses grandes organisations d'adopter le régime de la Loi canadienne sur les coopératives. Plus une organisation prend de l'ampleur, moins elle sera donc portée à se placer sous le coup de cette loi.
Pour corriger la situation, nous vous soumettons très respectueusement qu'il faudrait confier la tâche de déterminer si la coopérative continue d'exercer ses activités suivant le principe coopératif à un groupe d'experts nommés par l'ACC et le CCCM, plutôt qu'à un tribunal normalement chargé d'appliquer les lois régissant les sociétés par actions. En outre, il faudrait modifier cette exigence en indiquant que la coopérative doit « généralement » exercer ses activités selon le principe coopératif. L'échelle des sanctions devrait débuter par un délai, de six mois par exemple, accordé à la coopérative fautive pour rectifier le tir.
Le deuxième problème touche en fait la loi dans son ensemble. Comme on l'a rédigée en s'inspirant d'une loi conçue pour les sociétés par actions, plutôt que pour des entités axées sur leurs membres, elle comporte des articles dont l'application peut être logique dans le contexte d'une société par actions pas vraiment démocratique où la valeur des votes varie en fonction de la classe d'actions détenues ou dont les actionnaires minoritaires ne jouissent d'aucun droit, mais qui n'ont pas nécessairement leur raison d'être pour une entreprise coopérative administrée suivant un régime démocratique.
Il existe de nombreuses dispositions législatives autorisant un recours pour abus afin de protéger les actionnaires minoritaires des sociétés par actions, mais rien de semblable pour les coopératives. On peut vraiment se demander comment des mesures pareilles ont pu se retrouver dans une loi sur les coopératives, mais c'est pourtant bel et bien le cas. Nous estimons qu'il convient de se pencher sur ces anomalies et d'apporter les correctifs qui s'imposent.
Le droit à la dissidence est un autre concept parfaitement logique dans le contexte de la loi régissant les sociétés par actions dont certains actionnaires minoritaires n'ont pas d'influence véritable. Dans le cas des coopératives, il est désormais cependant reconnu que les votes sont répartis entre les membres, plutôt qu'en fonction des capitaux de chacun. Par définition, le principe voulant que chaque membre ait droit à un vote s'applique aux coopératives de premier niveau.
Enfin, pour les sociétés qui sont en fait des instruments d'investissement appartenant en large partie aux détenteurs de capitaux et dont l'un des propriétaires peut vouloir acheter les parts d'un autre, il est approprié de recourir aux règles touchant les acquisitions forcées — exigeant notamment la majorité au sein d'une minorité. Ce n'est pas nécessairement la même histoire dans le cas des coopératives.
Les entités coopératives sont intrinsèquement et par définition des institutions démocratiques.
Au sein d'une démocratie, chacun a le droit d'exprimer son désaccord, mais c'est la majorité qui l'emporte et les dissidents doivent respecter la décision prise collectivement. J'ai pu l'entendre ce matin même: une personne, un vote. Nous ne pouvons pas, par exemple, nous opposer à la façon dont nos impôts sont dépensés pas plus qu'à toute autre décision de politique publique prise au nom des citoyens par les élus du peuple. Les coopératives sont des regroupements autonomes de personnes aux fins d'un objectif commun dont elles contribuent à la réalisation par la voie démocratique — comme c'est le cas pour notre pays dans son ensemble.
Dans une organisation ou une société véritablement démocratique, à partir du moment où la majorité a décidé de la voie à prendre, tous les membres doivent suivre cette voie. Même si les gens ne sont pas nécessairement d'accord, le principe démocratique autorise les élus du peuple à établir les politiques publiques. Si jamais les élus négligent de le faire, ils seront sans doute défaits et remplacés par d'autres. C'est la sanction à laquelle ils s'exposent, plutôt qu'à un recours pour abus ou à un droit de dissidence.
Mon dernier élément ne se retrouve pas dans la loi, mais nous croyons que vous devriez envisager son inclusion, avec le libellé approprié.
Depuis environ un an, il est beaucoup question des mesures de démutualisation des compagnies d'assurance de biens et risques divers au Canada. Il n'existe actuellement aucune réglementation en la matière, mais le gouvernement a fait part de son intention de soumettre des mesures semblables à des consultations publiques dans le courant de l'été.
Le secteur de l'assurance-vie a connu une vague de démutualisation il y a une dizaine d'années. Le gouvernement de l'époque a adopté des règlements régissant ces démutualisations. Nous savons tous comment les choses ont tourné.
Comme j'ai déjà travaillé pour des mutuelles, je peux vous dire comment je vois le processus de démutualisation. L'entreprise est transformée en société à capital-actions et ses actions finissent par aboutir sur les marchés publics. Le processus fait des gagnants et des perdants, généralement à l'avantage d'une faible minorité de titulaires de polices, d'administrateurs, de cadres supérieurs, de courtiers et d'experts-conseils qui touchent des bénéfices inattendus. Compte tenu du grand nombre de titulaires de polices avec participation, ce phénomène a été moins marqué dans le secteur de l'assurance-vie, mais il le sera bien davantage dans l'industrie des assurances de biens et risques divers si le gouvernement adopte des règles similaires.
C'est un processus qui n'est pas vraiment avantageux pour les mutuelles, les coopératives et les associations d'assistance mutuelle. De plus, tous les citoyens ayant contribué au fil des ans à la richesse et aux profits de ces compagnies n'en tireront aucun bénéfice. Ce sera le cas uniquement pour les titulaires de polices en vigueur ou relativement récentes, même s'ils ne sont pas vraiment à l'origine de la vaste majorité de la richesse et des surplus engrangés.
Les bénéfices engendrés par des opérations semblables font en sorte que les mutuelles, les coopératives et les associations d'assistance mutuelle ne pourront jamais atteindre collectivement une taille leur permettant de soutenir la concurrence des sociétés à capital-actions du secteur privé. Même si plusieurs générations ont contribué à créer les excédents en soutenant la nature démocratique de l'entreprise, il y en a toujours quelques-uns qui n'hésitent pas à prendre leur bénéfice en faisant fi de toute démocratie.
En fait, cela devrait procurer un avantage aux autres organisations axées sur leurs membres dans un contexte où les fusions semblent essentielles au maintien de la capacité concurrentielle, mais c'est plutôt le contraire qui se produit.
Dans le cas d'une entreprise comme le Groupe Co-operators, si nous souhaitions garder une société dans le secteur des mutuelles, en vertu d'une réglementation semblable à celle s'appliquant à la démutualisation des compagnies d'assurance vie, il nous faudrait essentiellement procéder à sa démutualisation, retirer tous les bénéfices associés au statut de membre, et en faire l'acquisition comme un actif. Ainsi, ceux qui ont accès à de grandes quantités de capitaux sont ceux que notre système autorise...