Monsieur le Président, je tiens à féliciter tous les députés qui se sont exprimés dans une langue autochtone sur ce projet de loi historique, dans le cadre de ce passionnant débat qui se déroule sur le territoire traditionnel de la nation algonquine anishinabeg.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais situer le contexte et faire un bref historique du projet de loi, en soulignant que les députés peuvent désormais s’exprimer dans leur propre langue ici. Aujourd’hui, le premier intervenant a parlé en cri, pendant qu’un interprète traduisait ses propos.
Au début de l’année, le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre, que je préside, a entrepris une étude sur l’utilisation de langues autochtones à la Chambre. Il a présenté des recommandations à la Chambre qui ont été approuvées par l’ensemble des députés, ce qui est fantastique. Pour la première fois de notre histoire, les députés ont le droit de s’exprimer dans une langue autochtone au cours des délibérations de la Chambre et des comités, avec interprétation simultanée.
Imaginez les jeunes jeunes autochtones à la maison, dans une ville, un village ou une réserve, qui apprennent que leur langue peut être utilisée dans la plus noble institution démocratique du pays. Imaginez la force, l’espoir et le soutien que cela doit leur donner à l’égard de leur propre langue.
Il s’agit là d’une initiative extraordinaire de ce Parlement. C’est le député de Winnipeg-Centre, le premier à intervenir dans le débat d’aujourd’hui, qui est à l’origine de cette initiative. Il a fait toute son intervention en cri, comme d’autres députés.
J’aimerais raconter une histoire à mes collègues. Nous misons énormément sur les jeunes. Comme les députés le savent, le premier ministre s’est doté d’un conseil jeunesse, tout comme de nombreux députés. J’ai assisté à une rencontre de jeunes organisée, je pense, à l’invitation de la ministre des Relations Couronne-Autochtones. Une jeune Autochtone du Yukon — je pense qu’elle a d’ailleurs déjà pris la parole devant les Nations unies — a expliqué que les gens disent toujours qu’une personne qui a un emploi, qui fait des progrès dans la vie et qui devient forte, pourra mettre en valeur sa culture et sa langue, tout en nous faisant profiter de cette diversité créative et passionnante. Elle a avancé que ce n’était pas vrai, que c’était comme mettre la charrue devant les bœufs. Elle affirme que nous devons d’abord avoir confiance dans notre langue et notre culture, parce que c’est ce qui donne aux gens la force de réussir à l’école et dans la vie. Lorsqu’ils ont confiance en eux, les gens savent d’où ils viennent et sont très fiers d’eux, dans leur langue. Il va sans dire que la langue est le fondement même de la culture.
Comme on l’a mentionné précédemment dans ce débat, la langue, c’est bien plus que la traduction de mots. Les langues sont l’expression de nos modes de vie. En inuktut, par exemple, il y a plusieurs mots distincts pour désigner la neige, tandis qu’en anglais ou en français, il n’y en a pas beaucoup. La langue est le reflet d’une culture, d’où sa grande importance dans le mode de vie des gens.
Les statistiques indiquent que les peuples autochtones du monde entier qui sont fiers d’eux-mêmes, qui connaissent leur langue et qui aiment leur culture réussissent mieux dans la vie que les autres.
C’est un grand pas que la Chambre des communes accomplit aujourd’hui et elle peut compter sur un solide appui. C’est très intéressant de voir ce qui se passe à la Chambre des communes aujourd’hui.
C’est un grand pas vers la réconciliation, en partie pour réparer un préjudice que nous avons grandement contribué à créer. Non seulement les étrangers qui sont venus au Canada dépassent en nombre les premiers habitants du territoire, mais, malheureusement, nous avons pris des mesures qui ont affaibli leurs langues, comme les pensionnats, la rafle des années 1960 et le déménagement de villages.
C'est pourquoi le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, est une si bonne chose. D'abord, il garantirait les droits linguistiques compris dans les droits dont il est question à l'article 35 de la Constitution, comme le droit des peuples autochtones de développer et de préserver leurs langues. Ensuite, le projet de loi permettrait d'assurer un financement adéquat et stable pour les langues. Je reviendrai sur ce sujet en détail plus tard puisqu'on l'a déjà abordé. Enfin, il permettrait de revitaliser et de renforcer les langues autochtones. Un bureau du commissaire aux langues autochtones serait mis en place pour veiller à ce que tout cela soit fait.
Comme l'ont indiqué de nombreux députés à différents stades du débat, il faut absolument agir rapidement, car les langues autochtones disparaissent. Heureusement, dans ma région et ailleurs aussi, de nombreux dirigeants et aînés autochtones ont commencé à faire des enregistrements de leurs langues pour pouvoir les préserver et donner aux jeunes la possibilité de les revitaliser. Je pense que le dernier aîné qui parlait encore couramment le tagish dans ma région est décédé. S'il n'était pas le dernier, chose certaine, il n'y a plus beaucoup de locuteurs de cette langue. Il ne faut donc pas perdre de temps.
Quand les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, plus de 90 langues autochtones coexistaient. Il en reste encore plus de 70, mais certaines sont parlées par très peu de gens, comme l'a constaté le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre lors de son étude sur le sujet. Ce projet de loi doit être mis en oeuvre le plus rapidement possible si nous voulons freiner le déclin de ces langues, les faire connaître et inciter les jeunes à se les réapproprier. Il permettra en outre de donner suite aux appels à l'action nos 13, 14 et 15 de la Commission de vérité et réconciliation et de paver la voie à la mise en oeuvre des articles 11 à 16 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Cette mesure législative a été élaborée conjointement avec les Premières Nations, et c'est ce qui explique pourquoi un certain nombre d'articles et de principes ont été aussi soigneusement mis au point.
J'aimerais prendre un instant pour parler de financement. Pour préserver, faire connaître et rétablir une langue, il faut de l'argent, et le gouvernement en est conscient. Dans le dernier budget, il a annoncé que 330 millions de dollars sur cinq ans, et 117 millions par la suite, serviraient précisément à cet usage. Le projet de loi n'est même pas encore en vigueur, et divers projets ont déjà vu le jour un peu partout au pays. Les sommes allouées ont grimpé en flèche — elles étaient d'à peine 5 millions de dollars en 2017.
Le gouvernement tenait à ce que le financement nécessaire soit assuré pour les cinq prochaines années. Cela dit, rien n'aurait empêché un futur gouvernement d'y mettre fin. Voilà pourquoi le paragraphe 5d) du projet de loi précise que tous les futurs gouvernements devront financer les activités jugées pertinentes. Ce sera inscrit dans la loi. Je suis persuadé que le commissaire saura y voir. Ce genre de disposition se retrouve rarement dans les textes législatifs, mais nous avons décidé d'en inclure une dans ce cas-ci.
Voici ce que dit le paragraphe 5d):
[La présente loi a pour objet] de mettre en place des mesures visant à faciliter l'octroi d'un financement adéquat, stable et à long terme en ce qui touche la réappropriation, la revitalisation, le maintien et le renforcement des langues autochtones;
Cela préserve le financement. Comme je l’ai dit, nous l’avons fourni maintenant, mais cela le préserve pour l’avenir, quel que soit le parti politique au pouvoir.
C’est une initiative unique. Elle a été très instructive pour les députés, qui ont entendu des députés autochtones et d’autres députés nous fournir de l’information sur leurs régions respectives. Je tiens également à présenter quelques faits intéressants au sujet de ma région.
Ma circonscription couvre l’ensemble du Yukon et les territoires traditionnels de 14 Premières Nations. Certains Européens pensent que tous les Autochtones en Amérique du Nord sont pareils, qu’ils parlent la même langue, ont la même culture, dansent les mêmes danses. Ce n’est évidemment pas le cas.
Ma région représente un millième de la population du Canada, mais elle compte huit groupes linguistiques, soit les Gwich’ins, les Tutchones du Nord, un peu de Upper Tananas, de Tutchones du Sud, de Tagishs et de Tlingits, un tout petit peu de Tahltans et de Kaskas. Chacun de ces groupes a une culture et une histoire différentes. Leurs langues sont différentes. Au nord, il y a aussi quelques Inuvialuit.
Je vais décrire les huit Premières Nations du Yukon pour que les gens disposent des renseignements sur ces groupes linguistiques qu’ils n’auraient pas autrement.
Le savoir traditionnel est très important. Il s’agit d’un type unique de connaissances transmises oralement, d’une génération à l’autre. Selon la tradition orale, les peuples des Premières Nations du Yukon vivent sur ce territoire depuis que Crow, une créature mythologique de l’époque, a créé le monde et l’a mis en ordre. Les archéologues calculent que les premiers humains sont arrivés au Yukon il y a plus de 10 000 ans, après avoir traversé l’isthme de Béring en provenance de l’Asie ou parcouru la distance le long des côtes.
Aujourd’hui, les peuples des Premières Nations appartiennent aux groupes linguistiques athapascans ou tlingits. Je vais parler brièvement des huit groupes particuliers qui les composent.
Parlons d’abord des Gwich’ins. Les Gwich’ins forment le groupe le plus septentrional du Yukon. Ils habitent un vaste territoire où sont parlés quatre dialectes différents. Les Yukonnais connaissent surtout les Gwich’ins Vuntut, qui habitent à Old Crow. Il y a ensuite les Gwich’ins Tetlit dans les Territoires du Nord-Ouest, les Gwich’ins Tukudh dans la région de Blackstone et les Gwich’ins de l’Alaska.
La Première Nation des Gwich’ins Vuntut est l’organisation politique moderne des Gwich’ins du Yukon. En mai 1993, les Gwich’ins Vuntut ont signé un accord définitif à titre de Première nation du Yukon. Leur population vit le long de la rivière Porcupine et elle observe des cycles annuels de subsistance. Au centre de leur vie se trouve la harde de caribous de la Porcupine.
J’ouvre une parenthèse pour parler de la lutte importante qui est menée dans le but de protéger la harde de caribous de la Porcupine. Si cette harde disparaît, ce sera un génocide culturel pour les Gwich’in de l’Alaska, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, car toute leur vie tourne autour de cette harde. Leurs vêtements — y compris les gilets semblables à ceux que je porte aujourd’hui — et leur nourriture dépendent de la harde de caribous. Quand j’y suis allé, je les ai vus manger du caribou trois fois par jour. Le caribou est vraiment au cœur de leur culture. Il est absolument fondamental de ne pas réduire ce troupeau.
M. Trump et les républicains ont adopté une loi autorisant le forage sur les terrains de mise bas du caribou. Le vêlage, bien sûr, est une partie très sensible du cycle de vie du caribou, et ces activités de forage pourraient mettre en danger la harde, qui compte actuellement environ 130 000 bêtes. Les Gwich’in se battent depuis des décennies pour protéger cette région, avec l'aide de l’ambassade du Canada à Washington. Je participe depuis une vingtaine d’années à la lutte contre tout forage dans la réserve faunique nationale de l’Arctique. Le Canada a la responsabilité de le faire. Nous avons une entente avec les États-Unis pour protéger la harde de caribous de la Porcupine.
Le deuxième groupe dont je vais parler est celui des Häns, qui vivent là où les rivières Yukon et Klondike se rencontrent. Leur peuple a vécu ses plus grands changements lorsque la ruée vers l’or du Klondike a entraîné des bouleversements sociaux et des déplacements de population.
Le chef Isaac, à l’époque, était très prévoyant et il a emporté les chansons et les danses des Häns dans un village de l’Alaska, où il a demandé aux gens de les préserver. Il ne voulait pas les perdre avec l’afflux massif de nouveaux arrivants. Dawson était la plus grande ville à l’ouest de Chicago ou de Winnipeg à l’époque de la ruée vers l’or.
Le chef Isaac a emporté les chansons et un bâton de danse et les a confiés à ses hôtes d'Alaska. Le bâton de danse s’appelait un gänhäk. Plus tard, le bâton a été ramené et maintenant, il y a un effort de revitalisation de la culture.
Le prochain groupe parle le haut tanana. Il s’agit de quelques personnes du côté du Yukon; la plupart sont en Alaska, près de Beaver Creek. Beaucoup de Premières nations se déplaçaient selon la période de l’année et l’endroit où on pouvait trouver le gibier, alors elles n’étaient pas installées là où passe la route de l’Alaska aujourd'hui. L’effet de cette route sur ces Premières Nations pourrait faire l’objet d’un discours en soi, et je ne me lancerai pas dans cette voie pour l’instant.
Je passe ces groupes en revue plus rapidement que je ne le voudrais, et je n'aurais pas le temps de donner plus de détails.
Le prochain grand groupe parle le tutchone du Nord. Ses membres habitent la partie centrale du Yukon, souvent appelée le cœur du Yukon. Le conseil tribal tutchone du Nord compte trois Premières Nations, soit la nation Na-Cho Nyak Dun, la nation de Selkirk et la nation de Little Salmon/Carmacks. Les habitants des petits villages de Fort Selkirk et de Minto vivaient dans cette région avant la construction de la route du Klondike, que nous, les anciens, appelons la route Mayo.
Le groupe suivant, le cinquième, est celui des locuteurs du tutchone du Sud, comme nous avons traité des Gwich'in, des Häns et des locuteurs du haut tanana et du tutchone du Nord.
Les locuteurs du tutchone du Sud occupent des régions se trouvant dans le Sud-Ouest du Yukon. De nombreuses régions traditionnelles et sites de villages étaient autrefois les centres d'activité commerciale de ces peuples nomades. Bien que bon nombre de ces endroits aient été graduellement abandonnés avec la construction de la route de l'Alaska, ils sont toujours perçus avec respect comme les terres d'origine des peuples qui parlent le tutchone du Sud.
L'école qui est située à cet endroit est celle où ma fille de 10 ans suit son cours préféré et où mon fils de 6 ans a eu sa meilleure note. C'est probablement grâce aux exceptionnels enseignants parlant le tutchone du Sud qui y enseignent. C'est aussi une école d'immersion française.
La Première Nation de Kluane, les Premières Nations de Champagne et d'Aishihik, ainsi que le Conseil Ta’an Kwäch’än et la Première Nation de Kwanlin Dun sont également dans cette région. Les Premières Nations de Champagne et d'Aishihik ont peut-être mis sur pied la première garderie d'immersion au Canada. L'immersion se fait dans la langue tutchone du Sud.
C'est aux Jeux olympiques de Calgary qu'un membre des Premières Nations du Yukon a chanté l'hymne national en tutchone.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, les langues du groupe suivant sont pratiquement disparues. Au mieux, il n'en reste que quelques locuteurs à l'heure actuelle. Je parle du tagish. En fait, les Tagish, près de la région de Carcross, ont beaucoup collaboré avec les gens qui participaient à la ruée vers l'or, contrairement à ce qui s'est produit dans d'autres régions d'Amérique du Nord. Ils ont aidé les gens à s'installer et ils leur ont servi de guides. Ils sont venus de l'océan jusqu'à ce qu'on appelait les « sentiers de la graisse » parce que les Autochtones transportaient avec eux de la graisse d'eulakane, un poisson, pour en faire le commerce.
Kate Carmack, soeur du célèbre Skookum Jim, a eu le grand honneur, dernièrement, d'être la première Autochtone intronisée au temple de la renommée du secteur minier du Canada pour avoir participé à la découverte de filons qui sont à l'origine de la plus importante ruée vers l'or que le monde ait connue.
Comme je l'ai dit, il y avait une belle coopération de la part des Tagish, mais aussi des Tinglits, un peuple de l'intérieur des terres, qui empruntaient ces sentiers pour y faire du commerce. Il y a quelques générations, certains d'entre eux ont quitté la côte pour s'installer à l'intérieur des terres, dans les régions de Teslin, de Carcross et d'Atlin.
Les Kaskas habitent dans le Sud-Ouest du Yukon, qu'ils partagent avec le Conseil des Dénés de Ross River, la nation de Liard, quelques peuples du Nord de la Colombie-Britannique et d'autres communautés. Ils ont des liens d'amitié avec les Dénés des Territoires du Nord-Ouest.
[Le député s'exprime en Gwich'in ainsi qu'il suit:]
[Les propos du député sont traduits ainsi:]
Je vous remercie de vos commentaires.
[Traduction]