Monsieur le Président, je prends la parole au sujet de la question de privilège qui a été soulevée par le député de New Westminster—Burnaby à propos du vote par appel nominal sur la motion no 126 des crédits faisant l'objet d'opposition du Budget provisoire des dépenses de cette année.
Comme vous le savez, monsieur le Président, de nombreux députés libéraux sont entrés à la Chambre après la lecture par le vice-président adjoint de la question concernant ce crédit. Après une heure de recours au Règlement, la présidence a invité les députés à faire preuve d'honnêteté en indiquant s'ils étaient présents au moment de la lecture de la question. S'ils étaient absents, la présidence a demandé aux députés de se manifester et de retirer leur vote.
C'est exactement ce qu'ont fait un certain nombre de députés. Ils ont fait preuve d'honnêteté et d'un sens de l'honneur. Cela dit, ils ont été plus nombreux à rester silencieux, malgré le fait qu'ils étaient évidemment entrés dans la Chambre après la lecture de la question par le Président. Je sais que les Canadiens ont vu la vidéo. En fait, ils m'ont envoyé des messages à ce sujet. Les Canadiens ont vu ce qui s'est passé. Nous avons tous vu ce qui s'est passé. Si vous regardez la vidéo, monsieur le Président, vous serez à même de confirmer ce que je dis. Je sais qu'on a aussi soumis ce point à la présidence à ce moment-là.
À la page 81 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, on cite un extrait d'une décision rendue par la Présidente Sauvé en 1980:
[...] bien que nos privilèges soient définis, la violation de privilège n’est pas circonscrite. On aura beau inventer de nouvelles façons de s’immiscer dans nos délibérations, la Chambre pourra toujours conclure, dans les cas pertinents, qu’il y a eu violation de privilège.
En ce qui concerne l'incident qui s'est produit pendant le vote, on pourrait conclure que certains députés ont trouvé une façon particulière et troublante d'induire la Chambre en erreur de façon délibérée, et qu'ils ont ainsi nui aux travaux de la Chambre. Lorsque nous parlons d'induire la Chambre en erreur, il est normalement question des propos tenus, mais ce n'est pas la seule façon d'induire quelqu'un en erreur. Dans le cas qui nous occupe, les députés l'ont fait par leurs gestes, leur inaction ou des omissions.
Voici comment la 24e édition de l'ouvrage d'Erskine May décrit un outrage, à la page 15:
De façon générale, tout acte ou omission qui entrave ou gêne l'une ou l'autre Chambre du Parlement dans l'exécution de ses fonctions ou ce qui entrave ou gêne un membre ou un officier de cette Chambre dans l'exécution de ses fonctions ou qui tend, directement ou indirectement, à avoir ce résultat peut être considéré comme un outrage même s'il n'y a pas de précédent d'une telle infraction.
Tout d'abord, je soutiens que le fait qu'ils se soient levés et qu'ils aient voté même s'ils n'avaient pas entendu le Président lire la motion, chose dont tout le monde a été témoin, y compris les Canadiens qui nous suivaient à la télévision, constitue un outrage à la Chambre.
Il est important de souligner qu'il n'est pas question d'un accident ponctuel ou d'une erreur commise par inadvertance par quelqu'un qui ne faisait pas attention au vote. Ce genre de chose s'est déjà produite à la Chambre. Nous savons tous que cela peut arriver. Il est possible que des députés entrent dans l'enceinte, qu'ils se rendent compte qu'ils n'ont pas entendu le vote et qu'ils le signalent au Président. Ce n'est pas de cela qu’il est question dans ce cas-ci.
Comme je l'ai dit plus tôt, il y a eu une heure de recours au Règlement à la Chambre avant et après le vote par appel nominal. Il est franchement impossible qu'un député présent à ce moment-là ne se soit pas rendu compte de la situation et de la polémique qui avait été déclenchée à la Chambre.
La deuxième chose qui me préoccupe est l'inaction, ou encore l'omission volontaire, des députés en question. Ils sont restés silencieux après avoir été interpellés par le vice-président adjoint et ont donc délibérément induit la Chambre en erreur concernant le vote par appel nominal sur la motion no 126.
Par conséquent, les comptes rendus de la Chambre sur ce vote sont simplement erronés et donc faux. Les comptes rendus ont été falsifiés par l'inaction des députés qui n'ont pas pris les mesures qu'on leur avait demandé de prendre. À la page 82 de l'ouvrage de Bosc et Gagnon, il est écrit que falsifier les comptes rendus de la Chambre et induire délibérément la Chambre en erreur sont considérés comme des outrages.
C'est une question très grave qui est au coeur même du système parlementaire de gouvernance démocratique au Canada. Il est possible que, dans les faits, le gouvernement ait perdu un vote de confiance ce soir-là. Tous ceux qui étaient présents lors du vote et tous les Canadiens qui en ont été témoins ont vu ce qui s'était passé.
C'est une chose que de tenir pour acquise l'honnêteté des députés, mais, même si la Chambre tient pour acquis que nous agissons en toute honnêteté, si des preuves viennent révéler qu'il y aurait eu des écarts quant à cette honnêteté, la Chambre et la présidence ont alors l'obligation d'agir.
C'est une chose pour un député de dire qu'il est honorable, mais s'il existe des preuves selon lesquelles il ne s'acquitte pas de ses fonctions de député de manière honorable, on ne peut pas et on ne devrait jamais ignorer ces preuves. Comme c'est écrit à la page 82 du Bosc et Gagnon, « falsifier des documents [...] appartenant à la Chambre » et « tenter délibérément d'induire en erreur la Chambre » sont considérés à la fois comme des types d'infraction et d'outrage. C'est un grave problème qui constitue une atteinte profonde à notre système. Comme je l'ai dit, le gouvernement aurait pu perdre un vote de confiance ce soir-là.
J'aimerais citer un passage du Beauchesne, qui se trouve à la page 3 de la 6e édition. On peut lire que les « principes du droit parlementaire canadien sont [de] protéger la minorité et tempérer l'imprévoyance ou l'oppression de la majorité; [et de] garantir une conduite ordonnée des affaires publiques ». Plus loin, à la même page, on lit ceci: « [...] le Canada se trouve assuré de la responsabilité ministérielle et peut tenir pour acquis qu'en toute circonstance un véritable gouvernement, doté d'un programme législatif, dirigera ce pays. Le système suppose également [...] une opposition disposée à attaquer le gouvernement en vue de l'amener à modifier ses lois ou à y renoncer ».
Les votes sur le Budget provisoire des dépenses auraient dû entraîner des conséquences. Le crédit no 126, qui a été contesté, aurait dû être rejeté. Si le vote sur ce crédit s'était tenu de façon honorable et légale, ce qui aurait dû être le cas, il est fort probable que ce crédit aurait été rejeté. Le projet de loi de crédits fondé sur le Budget provisoire des dépenses, le projet de loi C-96, aurait donc dû être modifié en conséquence avant d'être adopté par la Chambre.
Les preuves ne manquent pas à cet égard. De nombreuses preuves montrent que le gouvernement a carrément bafoué la convention constitutionnelle concernant l'indépendance du procureur lorsqu'il a cherché à protéger ses amis dans l'affaire SNC-Lavalin. Il y a aussi amplement de preuves montrant qu'une cinquantaine de députés ont induit la Chambre en erreur. Les caméras ont pleinement capté l'incident, et les greffiers au Bureau et le vice-président en ont aussi été témoins. C'était évident. Il s'agit d'une autre pierre angulaire de notre Constitution non écrite. Les libéraux minent le principe de confiance dans leur propre intérêt.
Pendant les votes sur le Buget provisoire des dépenses, le gouvernement a tenté d'interférer avec le déroulement normal des choses. Si nous n'agissons pas, il parviendra à interférer avec le droit parlementaire, ce droit qui est censé protéger nos principes démocratiques et protéger la Chambre de la tyrannie d'un gouvernement majoritaire, d'un gouvernement qui vient d'utiliser sa majorité pour mettre un terme aux travaux du comité de la justice, puis du comité de l'éthique. Nous voyons maintenant que le gouvernement majoritaire truque les votes à la Chambre des communes pour éviter de perdre un vote de confiance et de devoir faire face au verdict des Canadiens lors d'élections.
Comme je l'ai dit plus tôt, certains députés libéraux ont trouvé un moyen unique et préoccupant d'essayer d'induire la Chambre en erreur, ce qui peut avoir des conséquences graves et ne peut pas être ignoré. Il est bien possible que le gouvernement ait, en fait, perdu un vote de confiance. Néanmoins, étant donné qu'il n'y avait, jusqu'à ce jour, aucun mécanisme en place pour que ces députés rendent compte de leurs actions, le gouvernement semble l'avoir échappé belle.
C'est pour cela, monsieur le Président, que nous vous demandons d'intervenir. Cette question de privilège pourra peut-être déboucher sur un mécanisme de reddition de comptes. À tout le moins, c'est une question qui mérite certainement d'être étudiée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.
Il est dit ceci dans la seconde édition du Privilège parlementaire au Canada de Joseph Maingot, à la page 237:
Finalement, en cas d'incertitude, le Président se pose la question suivante:
« L'acte en question constitue-t-il à première vue une atteinte au privilège [...] autrement dit, la plainte du député est-elle fondée? Si le Président a le moindre doute, il devra [...] laisser à la Chambre le soin de trancher la question. »
Pour finir, je vous demande, monsieur le Président, de conclure que la question de privilège soulevée par le député de New Westminster—Burnaby est fondée à première vue.